266e successeur de saint Pierre, Robert Francis Prevost est devenu Léon XIV. Sa vie, entre Chicago, Chiclayo et Rome, en fait un pape au cœur des capitales du monde et de l’Église.
Article paru dans le no58 – Drogues La France submergée
Lorsque le cardinal français Dominique Mamberti a annoncé le nom du nouveau pape, à la loggia de la basilique Saint-Pierre, un moment de flottement s’est dégagé de l’assistance face à un nom inconnu du grand public. La première surprise passée est venue la seconde : le choix du nom de pape, Léon. Un cardinal américain, évêque au Pérou, supérieur de l’ordre des Augustins à Rome, tel est le profil très particulier de Léon XIV.
Pronostics déjoués
Encore une fois, les pronostics journalistiques ont été déjoués, qui voulaient faire de l’élection un combat politique entre conservateurs et progressistes. Telle n’était pas la logique des cardinaux électeurs qui voulaient d’abord un pasteur, capable de conduire le monde vers le Christ, un chef, capable de diriger la Curie de façon ordonnée et souple, et un pacificateur, capable de réparer les plaies du précédent pontificat. Après le pape péroniste, autoritaire et solitaire, les cardinaux ont élu un pape augustinien, spirituel et pasteur. Un pape qui s’est placé dans la filiation des Léon : Léon XIII (1898-1903), Léon Ier le Grand (440-461), qui combattit Attila, mais aussi Léon III (795-816), qui couronna Charlemagne en 800, et Léon X (1513-1521), fils de Laurent de Médicis, qui, après des années de crise, réussit à s’accorder avec François 1er, s’opposa aux ambitions de Charles Quint et dut faire face à un autre augustin en la personne de Martin Luther.
À lire aussi : François, le dernier des péronistes
Léon XIV est un pape théologien et missionnaire, un canoniste, attentif au droit de l’Église, un homme de gouvernement, qui a été évêque, directeur d’un ordre religieux et préfet de l’un des plus importants dicastères à Rome, celui chargé de nommer les évêques dans les diocèses du monde. Léon XIV est d’abord un pape de la romanité. Il a été formé à Rome, ville où il fut ordonné prêtre en 1982, il y a vécu plusieurs décennies pour ses responsabilités à la direction de l’ordre des Augustins. Léon XIV est un homme des capitales : Chicago comme capitale économique américaine, Rome comme capitale de la chrétienté. Mais c’est aussi un homme des provinces : celle du diocèse de Chiclayo, au Pérou, celles de son ordre, qu’il a visité durant ses douze ans de direction. C’est un homme de livres et un homme de terrain.
Le conciliateur
Si le pontificat de François fut particulièrement apprécié par les médias, il n’a pas suscité le même enthousiasme chez les fidèles. Aux audiences générales du mercredi, la foule était de moins en moins nombreuse. Ces audiences étaient moins suivies que celles de Benoît XVI. Durant la maladie du pape François, en février, l’indifférence régnait dans les rues de Rome. Il fallut que les principaux cardinaux organisent eux-mêmes des prières sur la place Saint-Pierre, alors qu’elles avaient été spontanées lors de la maladie de Jean-Paul II, en 2005. Voulant tout contrôler, jusqu’à la nomination des prêtres du diocèse de Rome, établissant une chape de plomb qui sanctionnait le moindre propos, François a fini isolé et coupé de la ville dont il était pourtant l’évêque. En apparaissant revêtu des ornements pontificaux, que François avait refusés, en choisissant la férule papale de Benoît XVI, Léon XIV a clos la parenthèse François et a cherché à restaurer la grandeur de l’Église, convaincu que la pompe sublime le sacré et que le sacré mène à la foi. La beauté est la richesse des pauvres, que ce soit la beauté de la musique, des ornements ou de la liturgie. Le misérabilisme bergoglien a lassé et Léon XIV, dès sa première apparition, a rompu avec celui-ci.
À lire aussi : Funérailles du pape François : un rituel séculaire
La paix et les conflits
Recevant, le 16 mai, les ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège, Léon XIV a prononcé un texte essentiel dans lequel il a exprimé sa vision de la paix et du rôle diplomatique joué par l’Église. Il a commencé par remercier la Secrétairerie d’État pour son rôle et son travail. Une phrase en apparence anodine mais qui la remet au centre du jeu diplomatique, quand François avait diminué son rôle et son pouvoir en menant une diplomatie parallèle qui bien souvent contournait l’action de ses diplomates. Par cette phrase, Léon XIV montre qu’il compte s’appuyer sur son administration et sur les compétences de la Curie. Il a ensuite délivré une leçon de méthode en expliquant ce qu’est pour lui la paix et quel est le rôle de l’Église dans un monde en guerre.
Léon XIV a rappelé que la paix n’est pas un négatif, c’est-à-dire l’absence de guerre, qu’elle n’est pas un laps de temps entre deux conflits. La paix est d’abord un don, qui se reçoit et se construit : « Dans la perspective chrétienne, la paix est avant tout un don, le premier don du Christ : “Je vous donne ma paix” (Jn 14, 27). » La paix véritable doit aussi faire attention au langage, « car on peut blesser et tuer aussi par des mots, pas seulement par des armes. » Le pape a redit son soutien à la diplomatie multilatérale et aux instances internationales ainsi qu’à l’action essentielle des ambassadeurs, qui doivent être des envoyés de paix.
Mais la paix est aussi l’œuvre de la justice. Une justice qui repose sur la défense de la famille, des personnes fragiles, des enfants, des travailleurs. Une justice qui doit éteindre la misère et veiller à l’harmonie des sociétés et des peuples. En cela, Léon XIV reprend la pensée classique de l’Église, qui rappelle que la défense de la famille, des couples et du mariage est la première condition de la paix véritable. Ce que rappelait Léon XIII, cité par Léon XIV, la famille est « antérieure à toute société civile » (Rerum novarum, 1891). Dans l’ordre de la création de la société politique, il y a d’abord la personne, créée à l’image de Dieu, puis la famille, qui consiste en l’union de deux personnes, puis la nation, qui est une union de familles, et enfin l’ordre international, qui est la coopération des nations entre elles. Tout part donc d’abord de la personne humaine et de la famille. C’est pourquoi l’Église, dans sa doctrine sociale, qui ne se limite pas aux sujets économiques, explique que, pour préserver la paix mondiale, il faut commencer par préserver la paix des familles et la paix interne des nations. Toute atteinte à la dignité humaine, comme l’esclavage ou l’élimination des plus faibles, est une atteinte à la justice et donc à la paix. La paix ne consiste pas seulement dans les armes qui se taisent mais aussi, d’abord, dans le respect de la dignité de la personne.
D’où l’importance de la vérité, qui est le troisième pilier évoqué par Léon XIV. S’il a fait référence à l’intelligence artificielle, c’est parce que celle-ci peut brouiller les frontières entre virtuel et réalité. Parce qu’elle peut aussi effacer la vérité de l’homme, réduit à l’état de machine, et parce qu’elle peut conduire à l’orgueil, qui est un mensonge de l’homme sur lui-même, qui s’imagine être comme un dieu. L’intelligence artificielle est un outil qui, comme tous les outils, peut conduire à un bien plus grand ou dissoudre la paix, la justice et la vérité.
Léon XIV a rappelé que le premier élément de la vérité est de pouvoir parler franchement, librement, sans chercher à blesser les personnes, puisque la vérité est liée à la charité : « Dans la perspective chrétienne, la vérité n’est pas l’affirmation de principes abstraits et désincarnés, mais la rencontre avec la personne même du Christ qui vit dans la communauté des croyants. »
À lire aussi : Vatican : le conclave, un système très codifié vieux de plusieurs siècles
L’Occident et l’Orient
Cette recherche de la paix a été réaffirmée dans l’homélie prononcée lors de sa messe d’installation. Une cérémonie qui a débuté par la prière de Léon XIV près du tombeau de l’apôtre Pierre, s’inscrivant dans la filiation du ministère pétrinien, entouré des patriarches orientaux catholiques ; là aussi comme un lien entre la capitale qu’est Rome et les provinces que sont les régions orientales, mais des provinces où le Christ est né et où le christianisme fut fondé. Durant cette cérémonie, l’Évangile fut lu en latin et en grec, rappelant ainsi que Rome est autant orientale qu’occidentale, qu’elle est issue de la culture grecque et de la culture latine. L’Orient n’est pas une périphérie de la romanité, mais son centre historique, puisque c’est de là que tout est parti et que c’est sur cette terre d’Orient qu’ont vécu un grand nombre de Pères de l’Église qui ont contribué à façonner le christianisme. C’est en Orient que s’est tenu le concile de Nicée (325) où fut rédigé le Credo toujours prié aujourd’hui. Et puisqu’il est romain, ce sont ces échanges entre capitales et provinces que Léon XIV va devoir vivifier tout au long de son pontificat.
À lire aussi : Le Vatican, une puissance différente