<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> En Syrie, massacres et insécurité au quotidien

27 octobre 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Credit:Asaad Al Asaad/SIPA/2503072011

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En Syrie, massacres et insécurité au quotidien

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Les massacres de 2025 contre les Alaouites, les Druzes et les chrétiens ont anéanti la confiance des minorités envers le nouveau régime syrien. Malgré ses dénégations, Ahmad al-Charaa peine à dissocier son pouvoir des exactions du HTC. Entre vengeance communautaire, haine sociale et peur du déclin, la Syrie replonge dans un cycle d’exclusions et d’exodes irréversibles.

Les massacres de mars contre les alaouites[1], et ceux de mai et juillet contre les druzes[2] ont brisé la confiance des minorités envers le nouveau gouvernement. Les Kurdes rejettent désormais l’idée de désarmer et de s’intégrer sans garanties sérieuses, craignant de subir le même sort.

Persécution des alaouites

Ahmad al-Charaa prétend qu’il n’est pas responsable de ces massacres, ce que contestent différents articles de presse[3] et rapports[4]. Les témoignages recueillis lors de mon dernier séjour en Syrie, en septembre 2025, confirment l’implication du HTC. Ainsi, à Homs, la police a interdit aux forces de sécurité de pénétrer dans les quartiers alaouites, les dirigeant vers la région côtière. L’objectif était d’atteindre le cœur alaouite pour prévenir toute tentative de rébellion, en évoquant la possibilité d’une insurrection alaouite orchestrée par des membres de l’ancien régime.

Au début du mois de mars, des membres des forces de l’ordre ont en effet été tués à Lattaquié et près de Jableh. Cependant, ces décès semblent plus liés à des actes individuels qu’à une réelle insurrection.

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La semaine sanglante (du 4 au 9 mars 2025) a fait de source officielle 1400 morts, mais le nombre est largement sous-évalué. Une personne de connaissance travaillant au Croissant-Rouge m’a ainsi affirmé qu’il y a eu 800 morts dans le quartier de Qoussour, à Banias, tandis que le régime n’en reconnaît que 300. La défense civile, incarnée par les Casques Blancs, une ONG qui s’est illustrée aux côtés des rebelles durant la guerre, est vite venue remplacer le Croissant Rouge qui fut tout simplement expulsé de la zone, permettant de cette façon à l’organisation proche du pouvoir de minimiser l’ampleur du massacre, selon mes interlocuteurs[5]. Aucune conséquence n’a été imposée aux responsables du carnage.

Depuis mars dernier, il ne s’est pas passé une journée sans qu’un assassinat ou une disparition d’alaouite n’ait été recensé. Les jeunes hommes vivent dans la terreur et cherchent à tout prix à quitter le pays. Des femmes sont enlevées et forcées de se marier à des jihadistes, en affirmant qu’elles ont choisi librement de rejoindre l’élu de leur cœur lorsqu’elles réapparaissent en niqab. Les familles se taisent par honte et surtout peur des représailles[6]. Cela est accentué par les nombreux licenciements dans la fonction publique et dans l’armée, qui concernent presque exclusivement des membres de la communauté alaouite. Cela a pour conséquence de priver de ressources des centaines de milliers de Syriens.

Les druzes connaissent une situation semblable depuis le mois de mai 2025, date de l’offensive contre leurs fiefs de la banlieue de Damas, durant laquelle une centaine de personnes furent tuées. L’attaque du Jebel Druze en juillet n’a fait qu’amplifier la défiance à l’égard du nouveau régime. Désormais, ils optent pour l’exil ou le séparatisme, comme le réclame le cheikh druze Hikmat al-Hijri[7].

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Vers une disparition des chrétiens syriens

Les chrétiens, trop dispersés et affaiblis par une émigration intensive pendant le conflit, n’ont guère de territoire protecteur. Leur nombre a considérablement diminué depuis 2011, passant de 1,2 million (5 % de la population) à moins de 300 000 (1,5 % de la population).

Avec une moyenne d’âge élevée, il est maintenant impossible de renouveler les communautés. Le clergé a choisi de se soumettre aux nouvelles autorités pour préserver ce qui reste. Mais, les chrétiens craignent d’être les prochaines victimes du régime. En juin 2025, un attentat suicide perpétré dans une église de la banlieue de Damas, Mar Elias, a causé la mort de 20 personnes. Ce type d’attaque n’avait pas été observé depuis le massacre des chrétiens de Syrie en 1860. Il a profondément traumatisé la communauté et a entraîné de nouveaux départs.

Des chrétiens sont également assassinés ou maltraités en raison de leur religion. Fin septembre, deux jeunes hommes furent abattus dans le Wadi Nassara, à l’ouest de Homs[8]. À Qosseyr, les réfugiés sunnites de retour les accusent d’avoir participé à leur éviction de la ville aux côtés du Hezbollah. Ils les poussent au départ pour s’emparer de leurs biens.

La ville chrétienne de Méhardeh, isolée dans une région sunnite, a payé les localités voisines pour éviter qu’elles n’assouvissent leur désir de vengeance. Les habitants ont dû accepter de détruire dans le cimetière la stèle où figurent les noms des 200 civils tués par les roquettes tirées depuis les villages environnants durant le conflit[9].

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Dans les quartiers chrétiens des différentes agglomérations, il est désormais impossible d’échapper à l’appel à la prière, car de puissants haut-parleurs y ont été installés par les nouvelles autorités pour relayer le chant des mosquées proches. Dans de telles conditions l’émigration va se poursuivre jusqu’à la disparition complète des communautés chrétiennes de Syrie.

Les personnes qui restent aujourd’hui espèrent seulement que le cours de l’immobilier augmente pour qu’elles puissent vendre leur patrimoine à un prix juste et partir rejoindre leurs enfants et petits-enfants à l’étranger. Les dernières communautés chrétiennes de Syrie s’éteindront naturellement.

Vengeance communautaire et vengeance de classes moteurs de l’insécurité

Les homicides, les enlèvements, l’extorsion et le vol sont des problèmes qui touchent tout le monde, sans distinction de groupe, mais les minorités sont les plus vulnérables en raison de la propagation de la haine religieuse et du reproche d’avoir coopéré avec l’ancien régime.

Les partisans d’Ahmad al-Charaa s’emparent illégalement de logements, qu’ils soient vacants ou occupés, en toute impunité. Il suffit d’accuser le propriétaire d’être un « fouloul » (agent de l’ancien régime) pour le chasser. Si le malheureux va se plaindre aux autorités, il risque en plus de se retrouver emprisonné et violenté[10]. En effet, les chefs locaux, appelés « cheikhs », n’hésitent pas à maltraiter les requérants, même s’ils sont de confession sunnite. Puisqu’ils sont restés sous le contrôle d’Assad au lieu de fuir à Idleb ou à l’étranger, ils sont considérés comme des collaborateurs.

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Les membres des classes supérieures urbaines sont particulièrement ciblés par les nouveaux arrivants, souvent issus des milieux ruraux et de condition sociale modeste. En parallèle à la vengeance communautaire, il faut ajouter la revanche de classe. Elle s’était déjà manifestée au début de la crise, car les rebelles avaient pillé les zones industrielles et commerciales, en particulier à Alep. Aujourd’hui, Ahmad al-Charaa, qui fait lui-même partie de la petite bourgeoisie de Damas, doit faire face au mécontentement de sa base populaire, qui le critique pour sa mansuétude envers les catégories aisées, jugées complices du régime précédent.

Il est vrai que la réhabilitation de Mohamed Hamsho, figure emblématique de l’oligarchie pro-Assad, peut surprendre. Bien qu’il ait proposé une fortune à Ahmad al-Charaa en échange de sa grâce, cela envoie un message négatif à la population. Car l’homme d’affaires, à la faveur de son association avec Maher al-Assad[11], a détruit des dizaines de milliers de logements dans les quartiers périphériques endommagés par les bombardements pour s’emparer du fer qu’il retraitait ensuite dans ses usines. Cela donne l’impression regrettable que, si les dirigeants ont changé, le système lui-même est resté intact.

[1] Balanche Fabrice, « Géographie du massacre des alaouites », Conflits, 24 mars, 2025. https://www.revueconflits.com/geographie-du-massacre-des-alaouites/

[2] Droz-Vincent Philippe, « Les violences inter-communautaires en Syrie et l’avenir de la transition », The Conversation, 30 juillet 2025 https://theconversation.com/les-violences-inter-communautaires-en-syrie-et-lavenir-de-la-transition-261892

[3] Maggie Michael, “Syrian forces massacred 1,500 Alawites. The chain of command led to Damascus”, Reuters, 30 juin 2025, https://www.reuters.com/investigations/syrian-forces-massacred-1500-alawites-chain-command-led-damascus-2025-06-30/

[4] United Nation, “Syria: Violence in Alawite areas may be war crimes, say rights investigators”, 14 août 2025, https://news.un.org/en/story/2025/08/1165649

[5] Entretiens en Syrie, septembre 2025.

[6] Amnesty International, “Syria: Authorities must investigate abductions of Alawite women and girls”, 28 juillet 2025, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2025/07/syria-authorities-must-investigate-abductions-of-alawite-women-and-girls/

[7] L’Orient le Jour, « Le cheikh Hijri réclame une « région druze séparée » dans le sud de la Syrie », 25 août 2025. https://www.lorientlejour.com/article/1474871/le-cheikh-hijri-reclame-une-region-druze-separee-dans-le-sud-de-la-syrie.html

[8] L’Orient le Jour, « Retour au calme après une fusillade meurtrière dans la région chrétienne de Wadi el-Nasara », 2 octobre 2025, https://www.lorientlejour.com/article/1479472/retour-au-calme-apres-une-fusillade-meurtriere-dans-la-region-chretienne-de-wadi-el-nasara.html

[9] Entretien personnel à Homs, septembre 2025.

[10] J’ai recueilli plusieurs témoignages à Damas, Alep, Lattaquié et Homs, lors de mon séjour en septembre 2025, de spoliations de logements.

[11] Maher al-Assad est le frère de l’ancien président syrien. Il était le commandant de la redoutable 4e division, plus connue pour le racket et le pillage que ses faits d’armes.

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À propos de l’auteur
Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Docteur en géographie politique, HDR, spécialiste de la Syrie et du Liban.

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