Liban : l’impossible désarmement des camps palestiniens ?

2 novembre 2025

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Photo : Le Liban (c) Conflits

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Liban : l’impossible désarmement des camps palestiniens ?

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Le nouveau président du Liban souhaite désarmer les camps palestiniens présents sur le territoire libanais. Un désarmement qui est pour l’instant un voeu pieu, comme l’a rappelé le meurtre récent d’un jeune Libanais.

Cinquante ans après le début de la guerre du Liban, la question du désarmement des camps palestiniens a refait surface dimanche 26 octobre avec le meurtre d’un jeune Libanais, Elio Abou Hanna, dans le camp de Chatila, à Beyrouth, alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture. Ce drame a immédiatement ravivé les tensions et les traumatismes d’un conflit que le pays n’a jamais réellement surmonté. Dans les milieux chrétiens, la colère s’est exprimée avec une intensité qui rappelle les fractures communautaires de la guerre civile, mais qui réactive surtout une question n’ayant jamais été résolue : celle de la présence d’une armée palestinienne sur le sol libanais.

Un article de Mark Elian

L’héritage des Accords du Caire

L’État libanais n’a cessé de répéter sa volonté d’imposer son autorité sur l’ensemble du territoire. Mais il n’a cessé également de se heurter à une réalité historique et politique complexe qui remonte à 1948, avec l’arrivée des premiers réfugiés palestiniens au Liban.

Le péché originel date de 1969, avec les Accords du Caire : ils accordent aux camps une autonomie sécuritaire et reconnaissent le droit des Palestiniens à mener la lutte armée contre Israël depuis le Sud-Liban. Le tout devant s’inscrire, dit-on pour ces accords qui demeureront secrets, dans le respect de la souveraineté libanaise. Cette disposition, conçue à l’époque comme une solution temporaire, s’est transformée au fil des années en un régime d’exception, affaiblissant durablement la souveraineté libanaise et contribuant à plonger le pays dans la guerre civile (1975-1990).

Le Liban (c) Conflits

Malgré l’annulation des Accords du Caire sous la présidence d’Amine Gemayel en 1987, et malgré la signature des Accords de Taëf en 1989 qui prévoyaient, entre autres, le désarmement de toutes les milices, les camps palestiniens ont continué à échapper au contrôle direct de l’État. Les résolutions internationales, notamment la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU (2004), réaffirmant la nécessité du désarmement de toutes les forces non étatiques, sont restées lettre morte sur ce point.

Des zones de non-droit au cœur du territoire libanais

Le Liban compte aujourd’hui une douzaine de camps palestiniens. Parmi eux, Aïn el-Helwe, dans le sud du pays, symbolise la complexité de la situation : c’est à la fois le plus grand camp, le plus peuplé, et l’un des plus instables. Il est, depuis les années 1980, le théâtre d’affrontements récurrents entre factions rivales, principalement entre le Fatah, dont est issu le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, et des groupes islamistes radicaux.

L’armée libanaise, cantonnée aux abords du camp en vertu d’un accord tacite, n’y entre qu’exceptionnellement. Dans la capitale libanaise, à Sabra, Chatila, Mar Elias ou Burj al-Barajneh, la situation est similaire : les comités sécuritaires palestiniens assurent l’ordre interne, tandis que les forces armées libanaises se tiennent à distance. Dans ces enclaves, ce n’est pas la loi libanaise qui s’applique, mais celle des factions palestiniennes dominantes.

Entre volonté politique et impuissance structurelle

À plusieurs reprises, les autorités libanaises ont réaffirmé leur intention de désarmer les camps. En 2006, puis en 2010, des commissions mixtes libano-palestiniennes ont été créées pour examiner les modalités d’un désarmement progressif. Mais chaque tentative s’est heurtée à la même double résistance, celle des factions palestiniennes, qui considèrent leurs armes comme une garantie de sécurité face à l’incertitude politique, et celle d’un État libanais divisé et fragile, incapable de mettre en œuvre une telle décision.

Si un accord pour le désarmement des camps a été conclu fin mai entre le président libanais Joseph Aoun et le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors de la visite de ce dernier à Beyrouth, le processus en question, prévu initialement pour mi-juin, a pris deux mois de retard.

Quant à son application, elle demeure extrêmement timide. En effet, l’Autorité palestinienne peine à exercer son contrôle sur l’ensemble des camps. De nombreuses factions, au premier rang desquelles figure le Hamas, refusent de se lancer dans une telle démarche.

Une souveraineté en suspens

Le meurtre d’Elio Abou Hanna a plus que jamais relancé le débat sur la souveraineté du Liban. Dans un message empreint de dignité, mais de fermeté, le père du jeune homme s’est adressé directement au président de la République à travers les médias locaux, appelant à mettre fin à l’anomalie que représentent, selon lui, les armes palestiniennes dans les camps. « Je suis libre de me rendre à Sabra et Chatila, a-t-il déclaré. Ce sont des territoires libanais. » Ces mots, relayés dans tout le pays, ont résonné comme un rappel brutal de l’incapacité de l’État à faire respecter sa souveraineté sur son propre territoire.

Le président Aoun, dans son discours d’investiture du 9 janvier 2025, avait affirmé avec force « le droit de l’État à monopoliser les armes ». Ce principe a été réaffirmé un mois plus tard dans la déclaration ministérielle du gouvernement Nawaf Salam. À l’époque, plusieurs formations politiques, dont les Forces libanaises et le parti Kataëb, avaient apporté leur soutien au duo Aoun-Salam à condition qu’ils œuvrent, entre autres, à rétablir l’autorité de l’État et à désarmer toutes les milices présentes sur le territoire libanais. Mais des mots à la réalité, la différence est grande.

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