Le retour de Monroe. Puissance américaine, impuissance européenne

17 décembre 2025

Temps de lecture : 11 minutes

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Le retour de Monroe. Puissance américaine, impuissance européenne

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La fièvre ne disparaît pas en cassant le thermomètre. La stratégie de sécurité nationale (NSS) 2025 de l’administration Trump a suscité des réactions épidermiques et défensives dans l’Union européenne. Pourtant, loin d’être une provocation, elle agit comme un miroir : les États-Unis s’occupent avant tout d’eux, mais ils nous tendent également l’image de nos vulnérabilités, avec la brutalité du franc-parler, mais aussi avec la loyauté d’un allié qui nous rappelle à nos responsabilités.

La NSS 2025[a] assume sans honte le recentrage sur l’intérêt national américain. Elle annonce au monde un retour explicite, assumé et durci à la logique de la doctrine Monroe, qu’elle qualifie de « corollaire de la doctrine Monroe ». La NSS inscrit également clairement ses priorités dans une vision stratégique de l’énergie abondante et bon marché, concept qui était également celui de l’UE avant sa politique de décarbonation.

La géopolitique sans le mot

À la fin de la lecture de ces vingt-neuf pages, une question surgit : « Ai-je vu le mot géopolitique ? » On relit, on cherche : on ne le trouve pas, et ce n’est évidemment pas un hasard. Le vocabulaire de cette stratégie de sécurité nationale 2025 révèle la recomposition doctrinale américaine. Ce texte est très pragmatique pour sa population, au point que le terme « géopolitique », plutôt technique, y est de fait banni.

Le terme « géopolitique » (« geopolitics/geopolitical ») n’apparaît pas, alors que le contenu est éminemment géopolitique, tant dans son inspiration que dans sa structure. Depuis la fin de la guerre froide, les NSS précédentes utilisaient volontiers le vocabulaire de la « géopolitique », dans une rhétorique se voulant à la fois libérale et stratégique. Le document de 2025 marque explicitement une rupture avec cette tradition : il critique des élites qui auraient cherché à instaurer une « domination permanente du monde » et à arrimer la politique américaine à des institutions internationales jugées transnationales et dissolvantes de la souveraineté. On est donc dans une logique de réaction contre un langage considéré comme technocratique ou académique, auquel appartient justement le terme « géopolitique ».

Pourtant, le texte raisonne explicitement en termes de rapports de puissance, de contrôle des espaces, de chaînes de valeur, de migrations, d’énergie et de « balance of power » — autrement dit, dans une grille de lecture typiquement géopolitique —, mais en refusant le terme lui-même. Le vocabulaire privilégié est celui de la souveraineté nationale, de l’« America First », du refus de la « global domination » et de la méfiance envers les organisations internationales. Autrement dit, il s’agit d’assumer une géopolitique de puissance tout en la présentant comme du « bon sens national » plutôt que comme une discipline intellectuelle. L’objectif est de s’adresser au public intérieur : les rivalités de puissance sont décrites, mais sans recourir au jargon des think tanks et de la tradition des « grand strategists » de l’après-guerre froide.

L’absence du mot « géopolitique » traduit une volonté politique de rompre avec le langage des élites globalistes et des institutions multilatérales. La NSS 2025 pratique une géopolitique de fait — hémisphère occidental prioritaire, rééquilibrage vis-à-vis de la Chine, pression sur l’Europe, l’énergie comme instrument de puissance —, tout en rebaptisant cette démarche « protection des intérêts vitaux » et « America First » pour la rendre politiquement acceptable auprès de l’opinion américaine. Pour l’analyste, il s’agit bien d’un texte géopolitique substantiel, mais enveloppé dans une rhétorique de souveraineté et de sécurité intérieure plutôt que dans le vocabulaire classique de la géopolitique.

À l’inverse, le mot « hémisphère » revient une douzaine de fois. Le concept d’« hémisphère » devient structurant : il ne désigne pas un « Occident » élargi incluant l’UE, mais l’aire américaine au sens de la tradition monroïste, centrée sur la sécurité du territoire des États-Unis et la maîtrise politico-économique de leur environnement continental. L’« hémisphère occidental » est mobilisé comme un espace prioritaire à « reprendre en main », face aux incursions de puissances extérieures et aux flux jugés déstabilisateurs (migrations, trafic de drogue, prise de contrôle d’infrastructures stratégiques), ce qui inscrit la NSS 2025 dans la continuité de la doctrine Monroe, tout en en durcissant le contenu opérationnel. La référence récurrente à « Our hemisphere » consacre une vision quasi patrimoniale de cet espace, conçu comme une condition préalable à la liberté d’action globale des États-Unis : la prééminence doit d’abord être assurée dans les Amériques, puis être projetée vers l’Indo-Pacifique, l’Europe ou le Moyen-Orient, et a fortiori vers l’Afrique, qui est le parent pauvre de cette stratégie, à laquelle moins d’une page est consacrée.

Souveraineté d’abord — même en Europe 

Le terme « souveraineté » ou ses dérivés apparaissent 15 fois. Cette insistance de la NSS 2025 sur la souveraineté s’explique d’abord par la volonté de l’administration Trump de réaffirmer la primauté de l’État-nation américain face à ce qui est perçu comme une érosion de l’autorité politique par les institutions multilatérales, les accords internationaux contraignants et l’extension des normes de gouvernance mondiale. Cette rhétorique s’inscrit dans une vision « America First » selon laquelle la sécurité nationale ne se comprend plus comme une gestion collective d’un ordre international libéral, mais comme la protection d’un espace politique, économique et culturel national contre des contraintes extérieures jugées illégitimes, qu’il s’agisse d’organisations internationales, d’accords internationaux, comme l’Accord de Paris, d’alliés devenus trop exigeants ou de puissances rivales. Ce recentrage doctrinal poursuit un double objectif : à l’intérieur, il s’agit de parler à une base électorale qui voit dans la mondialisation institutionnalisée la cause de la désindustrialisation, de la fragilisation des classes moyennes et de l’affaiblissement des identités nationales (on observe le même phénomène dans la population de l’UE) ; à l’extérieur, il s’agit de reconfigurer la hiérarchie des engagements des États-Unis en légitimant la réduction des « obligations globales » au profit de la défense de l’économie américaine, de la réindustrialisation et du contrôle des chaînes de valeur stratégiques, notamment face à la Chine.

Dans cette perspective, la notion de souveraineté devient un concept pivot qui permet à la fois de délégitimer les demandes européennes en matière de climat, de régulation numérique ou de normes sociales, présentées comme des instruments de « capture normative » du pouvoir américain, et de justifier un discours très critique à l’égard de l’Union européenne, accusée de sacrifier les souverainetés nationales au profit d’un appareil supranational affaiblissant sa capacité de défense et son dynamisme économique. La multiplication des occurrences du terme dans la NSS 2025 constitue ainsi un marqueur idéologique : elle signale un retour explicite à une conception westphalienne et hiérarchique de l’ordre international, structurée par la doctrine Monroe revisitée et l’« hémisphère occidental » en tant que priorité stratégique, tout en fournissant au pouvoir exécutif américain un langage de légitimation pour résister aux pressions de ses alliés, reconfigurer ses alliances et, in fine, subordonner toute coopération internationale à l’intérêt national tel que défini unilatéralement par la Maison-Blanche.

On observera d’ailleurs que l’institution multilatérale par excellence ― les Nations unies — n’est même pas mentionnée dans la NSS 2025. Cette absence de toute référence explicite aux Nations unies n’est pas un oubli, mais un désaveu profond à l’égard d’un multilatéralisme jugé improductif, voire contre‑productif. Cette invisibilité traduit un diagnostic implicite : loin d’être le pivot opératoire de la gouvernance mondiale, l’ONU s’est enfermée dans une inflation normative et procédurale qui n’a ni prévenu les crises de sécurité (Ukraine, Moyen-Orient, Afrique), ni assuré l’efficacité des régimes qu’elle promeut, au premier rang desquels le dispositif climatique des COP. Celles‑ci illustrent, aux yeux des stratèges américains, la dérive d’un système où s’additionnent climatisme idéologique, bureaucratie et anti‑américanisme, pour aboutir à des engagements « Net zero » coûteux pour les économies occidentales sans contrainte symétrique pour les grands émergents, et sans lien réel avec les exigences de puissance, de sécurité énergétique et de compétitivité. Dans ce contexte, la NSS 2025 réaffirme la primauté de l’État-nation, la centralité de la souveraineté et le recours privilégié à des arrangements bilatéraux ou à des coalitions ad hoc, reléguant l’ONU au rang de forum périphérique, utile au mieux comme espace de communication, mais désormais non nécessaire à la légitimation ni à la conduite effective de la politique de puissance des États-Unis.

Ce choix lexical est loin d’être anodin. En refusant le langage abstrait de la géopolitique pour lui substituer un registre de souveraineté, de sécurité intérieure et de protection de l’« hémisphère », le document cherche à ancrer une stratégie de puissance dans une rhétorique de bon sens national, adressée en priorité au public domestique. C’est précisément cette tension entre la substance géopolitique et la mise en récit souverainiste qui fait de la NSS 2025 un document charnière dans lequel les États-Unis assument pleinement la logique de puissance tout en rejetant le langage universaliste et institutionnel qui la sous-tendait depuis la fin de la guerre froide.

De Monroe à la technopuissance

La nouvelle stratégie des États-Unis se base également sur la technologie, un terme qui revient 13 fois dans ce texte de 29 pages. La technologie n’est pas un accessoire, mais l’armature du pouvoir américain. Washington affiche l’ambition de rester la nation la plus avancée sur les plans scientifique et technologique, de protéger sa propriété intellectuelle et de faire prévaloir ses normes, d’abord dans les domaines de l’intelligence artificielle, des biotechnologies et de la technologie quantique. La NSS propose une réindustrialisation ciblée sur les secteurs critiques et émergents, appuyée par des outils tarifaires, la restauration des chaînes de valeur et la sécurisation des minéraux critiques, le tout faisant l’objet d’une veille permanente par la communauté du renseignement. L’« énergie dominante » (que nous développerons dans un second article) est présentée comme un multiplicateur technologique, car une énergie abondante et bon marché doit « aider à maintenir l’avantage dans les technologies de pointe telles que l’IA ».

Dans la NSS 2025, les minéraux critiques apparaissent comme un pivot discret, mais central de la stratégie de puissance technologique ; au carrefour de la réindustrialisation, de la sécurité des chaînes d’approvisionnement et de la compétition géopolitique, l’accès à ces minéraux est crucial. Le document lie explicitement l’accès sûr et « indépendant » aux matières premières stratégiques, des minerais aux produits finis, à la fois à la capacité militaire, à la robustesse de l’économie et à l’objectif de ne plus dépendre de puissances étrangères pour des intrants essentiels.

Dans cette optique, Washington entend à la fois élargir l’accès des États-Unis aux minéraux critiques et contrer les pratiques économiques prédatrices qui visent à verrouiller ces ressources au profit d’adversaires. Pour ce faire, il prévoit d’utiliser de manière offensive la diplomatie commerciale, les tarifs, la finance publique et l’intelligence économique afin de surveiller les chaînes d’approvisionnement et de réduire les vulnérabilités. L’Afrique et le reste du « Global South » sont intégrés à ce dispositif non plus en tant qu’objets d’aide, mais en tant que terrains d’investissement ciblés dans l’énergie et les minerais critiques, au bénéfice des entreprises américaines. L’objectif est de concurrencer les fournisseurs extérieurs déjà présents, de lier davantage ces pays au dollar et aux technologies américaines, et de transformer la question minérale en instrument durable d’arrimage géopolitique à un ordre mené par les États-Unis. Les fonctionnaires américains basés à l’étranger sont invités à jouer un rôle proactif pour aider les entreprises américaines à investir dans ces exploitations minières.

Sur le plan militaire, l’investissement dans l’intelligence artificielle, le quantique et l’autonomie, la relance de la base industrielle et la coopération public-privé en cybersécurité doivent pérenniser une dissuasion fondée sur la supériorité technologique. Enfin, les États-Unis souhaitent convertir cette avance en influence par le biais de normes et de coalitions d’export-contrôle et de coopération high-tech conditionnant l’accès aux marchés et aux capitaux. Autrement dit, la « puissance des standards » et des écosystèmes technologiques devient la clé de voûte d’un « America First » géoéconomique.

L’UE, alliée choyée, mais sommée de grandir

La section consacrée à l’Union européenne s’intitule « Promouvoir la grandeur de l’Europe ». Washington y affirme aimer l’Europe, souhaiter sa prospérité et vouloir un partenaire fiable pour relever les défis mondiaux à venir. Cependant, l’UE n’est pas au centre de la stratégie, contrairement à ce que certains laissent entendre : 868 mots lui sont consacrés, contre près de 2 000 à l’Asie, ce qui montre clairement l’ordre des priorités.

Le ton employé à propos de l’Europe est rugueux. Le document décrit un continent fragilisé par la migration de masse, le vieillissement démographique, certaines politiques climatiques et un contrôle croissant de la parole et de la pensée, au point d’évoquer un risque d’« effacement civilisationnel » si rien ne change. Cet avertissement sévère s’inscrit toutefois dans une logique cohérente : les États-Unis souhaitent des partenaires coresponsables de leur défense, de leur sécurité énergétique et de leur prospérité. Pour leur commerce, ils ont besoin d’une Europe prospère.

Dans le même temps, la NSS 2025 affiche un attachement explicite à l’Europe, décrit comme « stratégiquement et culturellement vital » et pilier de la prospérité transatlantique. Washington dit vouloir « aider l’Europe » à se renforcer, à préserver sa liberté et sa sécurité, et à retrouver sa confiance civilisationnelle (« L’Amérique est, c’est compréhensible, sentimentalement attachée au continent européen — et, bien sûr, à la Grande-Bretagne et à l’Irlande »). Mais cet appui va de pair avec une attente de puissance : une Europe plus robuste sur le plan économique, plus autonome sur le plan militaire, et un partenaire actif pour empêcher toute domination adverse du continent. L’insistance sur une « Europe forte » autonome en matière de défense et non dominée par un adversaire suggère, en creux, une volonté durable de coprospérité et de cosécurité avec l’Europe.

Cependant, cette bienveillance s’accompagne d’un scepticisme envers l’Union européenne en tant qu’organe transnational, jugé attentatoire à la souveraineté. L’Amérique de Trump privilégie une Europe des nations, unies par les intérêts, les échanges et la défense, plutôt que par l’intégration institutionnelle. Autrement dit, la stratégie loue l’Europe et la relation transatlantique, tout en conditionnant ce « capital d’affection » à une Europe plus sûre d’elle, souveraine et contributrice à l’effort commun.

Cette situation préoccupante est également reconnue par d’autres organismes. Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, la plus grande banque américaine, dresse un constat sévère de la situation de l’UE, qu’il considère désormais comme le maillon faible de l’Occident. Selon lui, le véritable danger pour le monde occidental ne vient ni de la Chine, ni de l’intelligence artificielle, ni même des cyberattaques ou des menaces russes, mais de l’UE elle-même, affaiblie sur les plans économique et stratégique. Comme l’administration Trump, il estime que cette fragilité dépasse le cadre régional et affecte directement les intérêts des États-Unis, car un allié européen affaibli réduit la capacité de l’Amérique à défendre efficacement ses propres intérêts. Il pointe du doigt la perte d’attractivité de l’UE pour les entreprises, les investissements et l’innovation, malgré ses réussites en matière de protection sociale.

Les capitales européennes n’ont pas réagi de manière unanime. Giorgia Meloni, la cheffe du gouvernement italien, a salué une stratégie qui « dit seulement la vérité » sur les faiblesses de l’UE. La Lettonie invite à « lire la NSS dans son ensemble » et à « passer des mots aux actes » en matière de défense. À Varsovie ou à Athènes, on cherche à concilier l’attachement au parapluie américain et le renforcement d’un pilier européen crédible.

En revanche, Bruxelles (UE), Paris et Berlin dénoncent des formulations jugées offensantes et rejettent toute immixtion extérieure dans la politique interne de l’UE. Pourtant, si elle écoute sa population, l’UE sait que sa construction politique et énergétique atteint ses limites et que son modèle de sécurité est devenu intenable sans refondation.

Droits de l’homme : stratégie à Washington, idéologie à Bruxelles

Cette préférence pour une Europe des nations s’inscrit dans un principe plus général que Donald Trump entend appliquer partout : la primauté des nations. Selon la NSS, l’unité fondamentale de la vie politique demeure l’État-nation. Il est « naturel et juste » que chaque pays mette ses intérêts en premier et protège sa souveraineté. Washington encouragera ses partenaires à faire de même, tout en s’opposant aux empiétements des organisations transnationales les plus intrusives.

Au Moyen-Orient, cette logique se double d’un refus explicite d’imposer des modèles occidentaux : les États-Unis entendent tourner la page des injonctions à abandonner des traditions et des formes historiques de gouvernement, « encourager et applaudir » les réformes lorsqu’elles naissent de manière organique, et « accepter la région, ses dirigeants et ses nations tels qu’ils sont », en coopérant d’abord sur des intérêts communs. Cela n’équivaut pas à renier tout discours sur les libertés, mais la défense appuyée des « libertés fondamentales » est surtout réservée aux démocraties et aux alliés des États-Unis, et non à une exportation universelle de normes au Moyen-Orient, et par extension en Afrique, dont tant de pays ont des valeurs éthiques bien différentes de celles qui prévalent à Paris. Dans ce contexte, il est raisonnable d’inférer une moindre volonté « d’imposer un mode de vie occidental » et une priorité donnée à la souveraineté politique et culturelle des États.

C’est l’application concrète d’un « réalisme flexible » qui vise à instaurer des relations pacifiques et commerciales sans imposer de « changements démocratiques ou sociaux » contraires aux histoires et aux cultures locales. Autrement dit, de l’hémisphère occidental à l’Indo-Pacifique en passant par le Moyen-Orient, la stratégie privilégie un internationalisme des souverainetés : des relations d’État à État, fondées sur des intérêts explicites, des coopérations sélectives et des normes qui renforcent d’abord la capacité des nations à décider pour elles-mêmes, tout en réservant la défense appuyée des « libertés fondamentales » au monde démocratique et à nos alliés.

Migrations et sécurité : l’UE au pied du mur

Concernant la question migratoire, la NSS affirme même que « l’époque des migrations de masse, c’est fini ». Cette position rejoint les préoccupations d’une opinion publique européenne inquiète. Refuser d’agir, comme le fait une partie de l’élite de Bruxelles-Strasbourg, ne fait qu’aggraver le malaise. L’Italie et la Hongrie en témoignent : leur résistance frontale aux injonctions de la Commission illustre la fracture entre une UE ancrée dans les réalités et une UE idéologique. La Hongrie paie un million d’euros par jour, en plus d’une amende initiale de 200 millions d’euros, pour ne pas danser comme le siffle Ursula von der Leyen. Je rentre de Budapest, où le contraste avec Bruxelles, dans les rues ou le métro, est frappant.

Selon la NSS, atteindre 5 % du PIB est une condition politique pour rester crédible au sein de l’OTAN. L’autonomie stratégique n’est pas synonyme d’anti-américanisme, mais de maturité politique : la souveraineté européenne s’éprouve d’abord dans la capacité à se défendre, et non dans la proclamation d’idéologies nouvelles.

La leçon de la NSS est limpide : croire qu’un continent désarmé, dépendant sur le plan énergétique, en proie à une crise économique et entravée par sa propre bureaucratie pourrait peser face à des États puissants relève de la naïveté. Pour opérer une véritable renaissance, il faut revenir à l’esprit de la Communauté européenne d’avant Maastricht, privilégiant la coopération plutôt que la contrainte idéologique.

La NSS montre que l’UE était autrefois fondée sur la paix, la réconciliation et la prospérité, rendues possibles par une énergie abondante et bon marché. Aujourd’hui, l’Union s’est éloignée de cet esprit fondateur, oubliant la prospérité et l’amélioration du niveau de vie de sa population, comme le stipule pourtant l’article 1 du traité Euratom, un texte que beaucoup à la Commission aimeraient voir disparaître. Cette situation a engendré le désenchantement des peuples, qui ont compris que la Commission s’intéressait davantage à la mondialisation et aux diverses idéologies, notamment celle du climat, qu’à leur pouvoir d’achat.

Comme le rappelle le livre des Proverbes, « l’ami qui blesse par fidélité vaut mieux que l’ennemi qui multiplie les embrassades ». En secouant l’UE, les États-Unis rendent un service salutaire : ils nous rappellent que la liberté d’expression, la souveraineté, la sécurité, l’énergie et la prospérité sont indissociables. Briser le thermomètre pour ignorer la fièvre ne rendra pas l’UE plus forte.

Dans cette première partie, nous nous sommes concentrés sur les fondements de la NSS 2025, en mettant en lumière la cohérence interne de cette vision stratégique et la hiérarchisation qu’elle opère entre les instruments de puissance — diplomatie, défense, souverainé, économie, et technologie. Si l’énergie y occupe manifestement une place centrale, véritable fil conducteur de la stratégie américaine, son analyse détaillée fera l’objet d’un essai spécifique consacré aux dimensions énergétiques et à leurs implications géopolitiques.

[a] https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2025/12/2025-National-Security-Strategy.pdf

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À propos de l’auteur
Samuele Furfari

Samuele Furfari

Samuel Furfari est professeur en politique et géopolitique de l’énergie à l’école Supérieure de Commerce de Paris (campus de Londres), il a enseigné cette matière à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) durant 18 années. Ingénieur et docteur en Sciences appliquées (ULB), il a été haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années.

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