Entre la Chine et les Philippines, les tensions ne cessent de croître. Les deux pays ont la même volonté de contrôler les détroits et les îlots stratégiques. 2026 devrait être une année tendue.
Un nouvel ambassadeur chinois a pris ses fonctions à Manille et annonçait qu’entre autres priorités de sa feuille de route figure en bonne place la recherche d’un certain apaisement entre les deux capitales : « Je me réjouis de travailler avec vous pour gérer nos divergences et intensifier la coopération entre nos deux pays. Nos divergences devraient être l’exception dans nos relations plutôt que la norme (…). En tant qu’ambassadeur, je défendrai fermement les intérêts nationaux et la dignité de la Chine, tout en servant de pont pour garantir que les relations sino-philippines se stabilisent plutôt que se détériorent, et que nos peuples se rapprochent plutôt que s’éloignent[1] ».
De bonnes intentions adressées au chef de l’État philippin en début de mois qui, en l’espace de quelques jours, souffraient déjà d’un crédit très amolli.
Des bonnes intentions à la réalité
De fait, le 17 décembre, le ministère chinois de la Défense employait un ton volontiers incisif, très éloigné du propos du diplomate nouvellement affecté dans la capitale de l’archipel : par l’entremise de leur porte-parole, les autorités militaires accusaient les Philippines de « proférer des mensonges éhontés et de « jouer les victimes alors qu’elles sont les agresseurs », de « trouver des excuses à leurs propres violations et provocations[2] », présentant de manière imagée le dernier incident maritime en date survenu cinq jours plus tôt entre bâtiments chinois et philippins près du récif de Sabina[3], dans l’archipel des Spratleys (mer de Chine du Sud).
Comme de coutume en pareille situation confuse et enflammée, deux versions très différentes des faits étaient défendues par les protagonistes, Pékin prétendant que les Philippines avaient rassemblé une petite armada sous le couvert d’activités de pêche « afin de provoquer des troubles » à proximité du récif de Sabina, en « ignorant les avertissements et les mises en garde répétés des garde-côtes », lesquels auraient agi de manière « raisonnable, légale, professionnelle et modérée ». Pour Manille, trois pêcheurs philippins ont été blessés et deux bateaux de pêche endommagés le 12 décembre après que des garde-côtes chinois aient coupé leurs amarres et tiré au canon à eau sur leurs embarcations, des actions « dangereuses » et « inhumaines » en soi.
Un incident sino-philippin de plus en mer de Chine du Sud ; puis un autre…
Ce énième accrochage sino-philippin en mer de Chine du Sud n’ayant certes fait ni victime, ni dégâts matériels rédhibitoires, succédait de peu à deux événements du même ordre survenus à proximité de deux autres points chauds récurrents où Pékin et Manille mettent à l’épreuve leur détermination : le 12 décembre, l’armée chinoise annonçait avoir « sévèrement mis en garde » puis « expulsé » de l’espace aérien au-dessus du récif de Scarborough[4] (où, un trimestre plus tôt, Pékin décrétait unilatéralement la création d’une réserve naturelle nationale) un appareil philippin, au mécontentement que l’on devine de Manille. Un mois plus tôt (mi-novembre), le groupe aéronaval américain articulé autour de l’emblématique porte-avions USS Nimitz avait rejoint les flottes philippine et japonaise en mer de Chine du Sud pour y mener des manœuvres conjointes … près de ce fameux récif de Scarborough. Outre-Atlantique, cette concentration de navires de guerre et de patrouilleurs – une des plus importantes du genre ces dernières années dans ce périmètre sensible – avait vocation à « démontrer (à Pékin) un engagement collectif à renforcer la coopération régionale et internationale en faveur d’un Indo-Pacifique libre et ouvert ». Une explication de texte qui, tout argumentée est-elle, peine bien entendu à soulever l’enthousiasme de la République populaire.
Laissons là le très disputé récif de Scarborough pour gagner Subi Reef (archipel des Spratleys ; récif de 16 km² contrôlé par Pékin[5]), quelque 500 km vers le sud-ouest, où, début décembre, les autorités philippines déploraient le tir de fusées éclairantes contre un avion philippin patrouillant à proximité dudit récif. Une patrouille certes de routine, mais fort instructive, en cela que l’équipage philippin recensait lors de ce passage mouvementé une imposante présence navale chinoise, des plus composite (un navire-hôpital, des bateaux des garde-côtes et une trentaine de bâtiments de la milice maritime).
Manille, la présidence de l’ASEAN et le laborieux code de conduite
Mi-novembre, lors d’une cérémonie organisée dans la capitale, le président philippin, Ferdinand Marcos Jr, grandiloquent, prononçait le discours de lancement de la présidence philippine de l’ASEAN pour l’année 2026. Une responsabilité particulière pour cette nation du sud-est asiatique, mélange complexe de fierté nationale, d’écueils régionaux et d’arbitrages parfois (sinon souvent) alambiqués ; un honneur spécial intervenant par ailleurs à un moment historique lui aussi particulier.
En effet, outre le contexte actuel sino-philippin hautement volatile en mer de Chine du Sud et son florilège d’incidents maritimes, de défiances et de provocations diverses, cette présidence annuelle qui échoit à Manille coïncide avec deux autres événements rendant potentiellement plus encore inflammable l’instable équation du moment : l’année 2026 célébrera le 50e anniversaire du Traité d’amitié et de coopération de 1976, traité fondateur de l’ASEAN ; en juillet 2026, d’autre part, interviendra le possiblement délicat 10e anniversaire de la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye désavouant (le 12 juillet 2016) les prétentions territoriales de Pékin en mer de Chine du Sud, estimant que, contrairement à ses velléités, la République populaire de Chine ne saurait aucunement se prévaloir de « droits historiques » sur tout ou partie de ces 3,5 millions de km². Donnant en cela raison à Manille, laquelle concluait que la Chine bafouait les droits souverains des Philippines dans leur zone économique exclusive (ZEE) ; un verdict sans équivoque pourtant depuis lors jugé nul et non avenu dans la capitale chinoise.
À diverses reprises déjà, le chef de l’État philippin Ferdinand Marcos Jr. a laissé entendre que sa priorité en tant que président en exercice de l’ASEAN serait de finaliser – à l’impossible (jusqu’alors), nul n’est tenu… – le très laborieux[6] Code de conduite (COC) pour la mer de Chine du Sud[7], serpent de mer s’il en est des chantiers (trop ?) ambitieux remplissant les armoires à projet de cette institution régionale adepte des procédures dilatoires.
On souhaite au président philippin de pouvoir mener à bien cette audacieuse initiative. Tout particulièrement lorsque l’on connaît la nette préférence de Pékin pour un Code de conduite flexible et non contraignant écartant tout contrôle externe et tout mécanisme de surveillance piloté par l’ASEAN ; une préférence jusqu’alors rédhibitoire pour divers pays de l’ASEAN, préférant (de loin) un accord solide et juridiquement fondé. Sans oublier que de longue date, les autorités chinoises pressent pour une interdiction des manœuvres militaires conjointes entre forces armées de l’ASEAN et des acteurs (occidentaux notamment) extérieurs…
Un Traité de défense mutuelle à l’aune des ambitions pékinoises
Mi-décembre, le Département d’État américain déplorait l’utilisation par les garde-côtes chinois de canons à eau et le sectionnement des amarres des pêcheurs philippins intervenus une poignée de jours plus tôt, prenant sans surprise le parti de leur allié[8] : « Ces actions agressives ont mis en danger les Philippins pêchant (près du récif de Sabina) pour gagner leur vie. Nous soutenons nos alliés philippins face aux actions provocatrices et aux tactiques de plus en plus dangereuses de la Chine à l’égard de ses voisins, qui compromettent la stabilité régionale ». Sans surprise là encore, dès le lendemain, les autorités chinoises faisaient part de leur courroux quant à cette réaction de Washington, considérant qu’elle incitait à la confrontation : « Les États-Unis ne sont pas partie prenante au contentieux en mer de Chine du Sud et n’ont pas le droit d’intervenir dans les affaires maritimes entre les parties concernées ».
En novembre 2021, à l’occasion des célébrations du 30e anniversaire des ASEAN-China Dialogue Relations, le président chinois Xi Jinping convenait que « des efforts conjoints sont nécessaires pour préserver la stabilité en mer de Chine méridionale et en faire une mer de paix, d’amitié et de coopération ». Quatre années et bien des événements plus tard, que demeure-t-il réellement – s’il reste seulement quelque chose… – de cette volonté dans l’ex-empire du Milieu ?
[1] South China Morning Post, 12 décembre 2025.
[2] China Daily, 17 décembre 2025.
[3] Dans l’archipel des Spratleys, ce haut-fond est situé dans la ZEE philippine, 150 km à l’ouest de la province de Palawan. Contrôlé par Manille, il fait également l’objet de revendications territoriales de la part de la Chine, du Vietnam et de Taiwan.
[4] 200 km à l’ouest de la province philippine de Zambalès. Superficie de 2 hectares à marée basse que se disputent Pékin, Manille et Taipei.
[5] Mais également revendiqué par les Philippines, Taiwan et le Vietnam.
[6] Les discussions à son sujet ont commencé au tournant du siècle dernier (South China Sea Declaration of Conduct (DoC) adoptée en 2002).
[7] Center for Strategic & International Studies, 7 novembre 2025.
[8] Pour mémoire, à l’été 1951, Washington et Manille concluaient un Mutual Defense Treaty, en vertu duquel, notamment, ces deux capitales reconnaissent qu’une attaque dans le Pacifique contre l’un ou l’autre pays mettrait en danger la paix des deux et s’engagent à agir de concert pour faire face à ce péril commun. Un traité dénoncé par les autorités chinoises.











