Podcast – À Sayyeda Zeinab, les Syriens se mobilisent  pour les villes meurtries de Fou’a et Kefraya

19 octobre 2016

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Podcast – À Sayyeda Zeinab, les Syriens se mobilisent pour les villes meurtries de Fou’a et Kefraya

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De ses voyages, Agnès Richieri, diplômée de Sciences-Po et de l’Institut Européen de Journalisme, rapporte des images, des témoignages, des entretiens, des événements qu’elle présente tantôt sous la forme tantôt d’articles, tantôt d’entretiens, tantôt encore de photographies. Au gré de son humeur et des opportunités. De ces choses vues et de ces paroles entendues, elle tire des analyses personnelles qu’elle fait partager aux lecteurs du site Conflits, au rythme d’une intervention originale chaque mois. Voir et écouter sans a-priori, n’est-ce pas la première étape de toute réflexion ?[/colored_box]

Photo : Un cheikh chiite harangue la foule sur le stade de Sayyeda Zeinab. © Agnès Richieri

À l’approche de la grande fête chiite de l’Achoura célébrée le 12 octobre cette année, la ville de Sayyeda Zeinab, située à 10 km au sud de Damas, est en pleine effervescence. Un flot de pèlerins, majoritairement chiites, venus d’Iran, Afghanistan, Irak, Pakistan et Bahreïn, ne cesse d’affluer dans cette ville d’une centaine de milliers d’habitants, sans que la guerre environnante trouble leur dessein. Car c’est en son cœur que réside l’un des principaux lieux saints chiites : le mausolée de Zeinab, petite-fille du prophète Mahomet et fille d’Ali que les chiites, à la différence des sunnites, vénèrent comme le premier imam.

Chiisme et merchandising

Me voici donc embarquée au milieu de femmes vêtues d’abayas noires typiques du Golfe qui se faufilent vers l’entrée du mausolée. Dans les dédales du marché qui entourent le lieu saint, je croise de nombreux visages aux traits presque asiatiques et m’étonne de voir autant de personnes aller et venir sans encombres au travers des nombreux points de contrôle qui parsèment la petite ville. Ciblée à répétition par des attentats meurtriers, dont le dernier remonte à février 2016, Sayyeda Zeinab fait l’objet d’une attention particulière en termes de sécurité. De curieux murs de béton protègent chaque file d’attente devant le principal checkpoint de la ville, afin d’éviter qu’une voiture piégée ne fauche trop de voitures, m’explique-t-on.

Mais ce sont finalement les étals du marché qui attirent le plus mon attention. Couverts de tissus sur lesquels sont inscrits des extraits du Coran, on y trouve, sans surprise, tous les goodies habituels, porte-clefs, casquette et t-shirts aux couleurs du Hezbollah, le parti de Dieu libanais chiite particulièrement apprécié dans cette ville. Mais ce n’est rien comparé aux débordements de gadgets à l’effigie des nombreuses milices chiites qui opèrent aujourd’hui en Syrie aux côtés de l’armée régulière comme la Brigade des Fatimides afghans ou la Brigade de Zeinab d’origine pakistanaise. On y trouve même des t-shirts de la force Al Qods iranienne et partout le portrait d’Abbas, fils de l’imam Ali et figure vénérée par les chiites pour son courage lors de la bataille historique de Kerbala. Il est aujourd’hui le symbole de la milice « Abu al-Fadl al-Abbas » composée de combattants irakiens, l’une des premières à être intervenue en Syrie. Initialement, sa mission principale était de protéger les lieux saints chiites comme Sayyeda Zeinab. Et on comprend mieux le merchandising autour du mausolée quand on sait à quel point cette mission fut un outil de mobilisation essentiel pour recruter des combattants d’origine chiite venus de l’ensemble du Moyen-Orient.

Quatre villes meurtries

C’est dans le stade principal de la ville, à quelques centaines de mètres du mausolée, que cette fois l’activité bat son plein. Un évènement est organisé, comme tous les soirs depuis une semaine, en soutien à la population des villages de Fou’a et Kefraya. Ces deux enclaves à majorité chiite, situées au Nord-Est d’Idlib, sont encerclées depuis mars 2015, lorsque que des groupes liés à Al-Qaida et au Jaysh al Fatah ont pris le contrôle de l’ensemble de la province. Un siège que l’armée régulière ne peut rompre militairement du fait de l’éloignement des deux villages de la ligne de front.

Femme chiite appelant à soutenir les villages de Fou’a et Kefraya. © Agnès Richieri.

Femme chiite appelant à soutenir les villages de Fou’a et Kefraya. © Agnès Richieri.

Devenus un symbole de la cause chiite en Syrie, ces villages ont vu leur sort lié à celui des deux villages sunnites de Zabadani et Madaya situés près de la frontière libanaise eux même assiégés par l’armée régulière syrienne et le Hezbollah depuis juillet 2015. « Un premier accord a été conclu il y a un an pour évacuer les blessés, explique Elia Samman, le bras droit du ministre de la Réconciliation. En décembre plusieurs centaines de civils et combattants blessés ont ainsi pu quitter les villes de Zabadani vers le Liban et la Turquie d’un côté et celles de Fou’a et Kefraya vers la Turquie puis par avion vers le Liban et la Syrie de l’autre. » Depuis, la situation est bloquée pour le plus grand malheur des civils bloqués à l’intérieur de ces villes. « La cause humanitaire et le sort des civils sont systématiquement manipulés par les acteurs lors des négociations, continue Samman. L’aide qui est finalement acheminée est souvent accaparée par les hommes armés qui les revendent à prix d’or à l’intérieur. »

C’est pour leurs proches restés dans les villages chiites que les habitants de Sayyeda Zeinab se réunissent. Un message de soutien mais aussi un appel à l’aide car tous sont convaincus que leur sort est oublié de la communauté internationale. Telle femme dont les deux fils combattent pour défendre Fou’a enrage : « Nous voyons tous les grands de ce monde s’asseoir ensemble pour décider de notre avenir avec leurs bouteilles d’eau, leur air conditionné et leurs mouchoirs pendant qu’ici on meurt ! » Les évacuations de blessés, principale revendication des proches, s’effectuent à un rythme sporadique et le nombre d’évacués se compte à chaque fois par dizaines seulement. Mona, une jeune diabétique, a été évacuée il y a une semaine de Fou’a aux côtés de quatre autres blessés et de manière simultanée avec des habitants de Madaya. « Le plus dur est la maladie omniprésente dans la ville, décrit-elle. On manque de médicaments donc beaucoup de personnes contractent des hépatites ou doivent être amputées faute d’antibiotiques. » Après des années de combats, toutes les infrastructures (hôpitaux, évacuation des eaux, écoles) sont abîmées ou tout simplement fermées et l’eau potable se fait rare. « Les largages d’aide humanitaires sont accaparés par les hommes armés lorsqu’ils ne sont pas détruits par le choc de l’atterrissage, continue-t-elle. La population civile est alors forcée de se débrouiller avec ce qu’il y a. Elle boit l’eau de pluie, transforme des pneus en semelles de chaussures et faute de farine, broie des pâtes pour faire du pain. »

Surtout la population ne comprend pas pourquoi un accord n’est toujours pas conclu et respecté. « On ne demande pas la reprise militaire de nos villages, s’exclame l’un des organisateurs de l’événement. Mais tout de même, nous avons beaucoup plus souffert que les habitants de Nubl et Zahra qui eux ont été libérés en début d’année. » Ces deux villages chiites au nord-ouest d’Alep ont effectivement été récupérés par l’armée régulière syrienne et des forces iraniennes en janvier dernier après trois ans de siège. Mais leur situation géographique était d’une toute autre importance. Situés entre la Turquie et Alep, leur libération entrait dans une stratégie plus large de récupération de la ville d’Alep en coupant la route d’approvisionnement des rebelles. Foua et Kefraya, eux, sont aujourd’hui au centre de la zone occupée par les rebelles syriens dans le nord du pays.

Leur sort, faute de solution diplomatique, sera donc intimement lié à l’issue de la bataille d’Alep qui, si elle tourne en faveur du régime, permettra à celui-ci de prendre en tenaille la province d’Idlib depuis Alep par le Nord et Hama par le Sud où les combats font aussi rage aujourd’hui. Les milices chiites évoluant en Syrie seront alors certainement de la partie.

Agnès Richieri

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À propos de l’auteur
Agnès Richieri

Agnès Richieri

Journaliste spécialiste du Moyen-Orient et de la région des Grands Lacs, Agnès Richieri est titulaire d’un Master en Affaires internationales de l’IEP de Paris et d’un Master Grands Reportages à l’Institut Européen du Journalisme. Passionnée de géopolitique et de photographie, elle a été la correspondante du journal La Croix en Egypte et au Kurdistan irakien avant de couvrir à partir de 2015 la crise présidentielle au Burundi. En parallèle, elle a continué sa formation en arabe auprès de l’INALCO. Elle collabore régulièrement avec le journal La Croix et la revue Alternatives Internationales.
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