À Washington, le président finlandais a fait une entrée remarquée sur la scène internationale. Doublant le rôle de Mark Rutte, le secrétaire général de l’OTAN, il est parvenu à pousser Donald Trump vers une politique plus agressive vis-à-vis de la Russie. Après la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Anchorage en Alaska, voici le portrait d’un golfeur finlandais qui a placé son pays, autrefois neutre, dans une quasi-guerre avec Moscou.
Un article à retrouver dans le N60 de Conflits. Vatican. La puissance du temps long.
Stubb, la « souche » en suédois, est né à Helsinki le 1er avril 1968 dans une famille issue de la minorité suédoise de Finlande, installée de longue date sur la côte est du golfe de Botnie. Mais son père et son grand-père ont grandi en Carélie, dans la ville de Vyborg, annexée par l’URSS en 1940, ce qui les a contraints à revenir sur leurs terres d’origine. Vyborg est connu aujourd’hui pour être le terminal russe du gazoduc Nord Stream qui contournait les pays de la Baltique avant d’être détruit par les services ukrainiens. Autre rupture marquante, le remariage du père d’Alexander Stubb avec une russophone de Finlande. Du côté maternel, il est le petit-fils du grand physicien finlandais Kai Setälä (1913-2005). Ces racines familiales, parfois tortueuses, vivent toujours, comme le président finlandais le reconnaissait lui-même au micro de France Inter l’été dernier. Reprenant à son compte la longue histoire du royaume de Suède, dont la Finlande n’était qu’une province jusqu’en 1918, Stubb revendique un double héritage finno-suédois et une trentaine de conflits avec la Russie. Mais qui est donc ce président finlandais si influent à Washington et à Bruxelles ?
Le jeune Alexander est plutôt un bon élève qui étudie dans les années 1970 dans la banlieue d’Helsinki et, puisque son père est un haut dirigeant de la ligue finlandaise de hockey sur glace, il voyage beaucoup. Avec sa jeune équipe de hockey, le jeune Alex traverse l’Atlantique à 13 ans et revient de New York subjugué. Les années Reagan commencent. Tandis qu’on lui offre la possibilité d’une année d’échange scolaire à Daytona Beach en Floride, il saute sur l’occasion. Son père le pousse à devenir joueur professionnel de golf et lui fait passer de nombreux étés au Canada et aux États-Unis. En 1986, son excellent niveau lui permet, à 18 ans, d’obtenir son inscription à l’université Furman de Greenville en Caroline du Sud. « Je suis finlandais de naissance, mais sudiste par la grâce de Dieu ! » témoigne-t-il à ses nouveaux amis américains. Mais à l’université, le jeune golfeur est initié à la géopolitique de la Baltique et aux questions énergétiques par le professeur de sciences politiques Brent Nelsen. Sérieux, réseaux et ambitions, le ton est donné. L’Amérique triomphe de la guerre froide. Le temps de la démocratie et de la paix semble venu et le jeune Stubb a soif de participer à ce nouveau monde idéal.
Un apparatchik européen
Alexander Stubb abandonne sa potentielle carrière de golf et retourne en Europe. En 1993, il passe un diplôme de langue à la Sorbonne, puis s’inscrit au collège d’Europe à Bruges où il obtient une maîtrise en 1994. Un an plus tard, la Finlande rejoint les 12 avec le Danemark et la Suède. C’est là, sur les bancs du collège de Bruges, qu’il rencontre sa future épouse, l’avocate anglaise, Suzanne Innes. Ils auront une fille Emilie en 2001 et un garçon Oliver Johan en 2004. En attendant, il poursuit ses études à la London School of Economics et obtient en 1999 un doctorat en politique internationale. Cette année charnière marque l’adoption par la Finlande de l’euro. Sa thèse analyse le processus de négociation du traité d’Amsterdam signé en 1997. Il est vite repéré par la diplomatie finlandaise qui le recrute pour participer à Bruxelles aux négociations du futur traité de Nice en 2001. L’enjeu est de partager le pouvoir européen avec dix nouveaux pays membres. Stubb commence à enseigner au collège d’Europe de Bruges. Au sein de la commission Prodi, il suit les travaux de la commission présidée par Valéry Giscard d’Estaing en vue de la Constitution européenne de 2004. Repéré par les libéraux finlandais, il est élu au Parlement européen la même année. En 2005, le texte est rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas, mais il renaît sous la forme du traité de Lisbonne en 2008. Il y a déjà plus de dix ans que la Finlande est entrée dans l’Union européenne et Alexander Stubb est l’un des rares dirigeants à en comprendre les mécanismes. Sa carrière universitaire et diplomatique coïncide avec l’intégration européenne de la Finlande. Ce cheminement intellectuel est la clé pour comprendre la personnalité politique de Stubb.
Le ralliement sous la bannière de l’OTAN
Le 1er avril 2008, le jour de ses 40 ans, il devient ministre des Affaires étrangères de Finlande. Son objectif est d’intégrer le pays dans l’OTAN. Ses compétences techniques et linguistiques sont reconnues et, en 2011, il est facilement élu député au Parlement finlandais, ce qui lui permet de s’ancrer définitivement dans l’arène politique finlandaise. Il est reconduit au gouvernement comme ministre des Affaires européennes et du Commerce extérieur jusqu’en 2014. Il a mis en œuvre les élargissements européens vers l’Europe de l’Est et soutient désormais une politique orientale de l’Union européenne en direction de la Biélorussie et de l’Ukraine. La révolution de Maïdan à Kiev vient à point en 2014. La marche vers l’est de la démocratie européenne semble inarrêtable. Son engagement pour l’Ukraine européenne et otanienne s’avère d’ailleurs payant. Il est nommé Premier ministre par le président finlandais en 2014, à la tête d’une coalition de centre droit. Il échoue néanmoins à faire entrer la Finlande dans l’OTAN après les accords de Minsk, où la France et l’Allemagne jouent les premiers rôles. Sa coalition perd les élections de 2015 et il rebondit au ministère des Finances jusqu’en 2016. Accusé par ses rivaux de mentir sciemment sur la situation économique du pays et de tweeter sans réfléchir, il perd la tête de son parti et doit se contenter en 2017 d’une vice-présidence de la Banque européenne d’investissement comme bon de sortie. Son mandat s’achève en 2020 et il part enseigner en Italie. C’est la traversée du désert.

//LEHTIKUVA_LKFTVX20251010034623VGZF_TOAL31AWW/Credit:Uwa Iduozee/LEHTIKUVA/SIPA/2510101055
“Un homme venu du froid pour souffler le chaud à Washington”
La nouvelle offensive de l’armée russe en Ukraine en 2022 remet ses idées atlantistes au goût du jour. La séduisante Première ministre sociale-démocrate Sanna Marin fait entrer la Finlande dans l’OTAN en 2023. Aux yeux de l’opinion finlandaise, il apparaît comme un Cassandre. Le 11 février 2024, il remporte l’élection présidentielle face au candidat écologiste avec près de 52 % des suffrages. Le poste n’est pas honorifique : le président de la République conduit la politique étrangère du pays et ses forces armées. La joie n’est que de courte durée car, neuf mois plus tard, Donald Trump fait son retour à la Maison-Blanche. Il a promis à ses électeurs une paix rapide avec Poutine. Tout l’édifice d’Alexander Stubb menace de s’écrouler…
Une passerelle transatlantique nommée Lindsay Graham
À peine les républicains américains revenus au pouvoir, le sénateur néoconservateur de Caroline du Sud Lindsey Graham, connu pour son interventionnisme démocratique, rend visite au nouveau président finlandais à Helsinki. Les deux hommes ont des souvenirs communs en Caroline du Sud et Graham a la confiance de Trump. D’après l’enquête du Wall Street Journal publiée le 13 août 2025 par Vera Bergengruen, l’influent sénateur retrouve Stubb à la conférence internationale de sécurité à Munich en février 2025 et persuade le président finlandais de se remettre au golf. Il fait en sorte qu’il puisse être invité en mars 2025 au Trump International Golf Club de West Palm Beach, tout prêt de Mar-a-Lago, la résidence préférée du président des États-Unis. Stubb arrive pour le petit déjeuner en compagnie du sénateur Graham, de l’ancien député républicain de Caroline du Sud Trey Gowdy et de la légende du golf sud-africain Gary Player. L’approche est un succès. Trump et Stubb s’apprécient et se revoient aux funérailles du pape François en avril. Ils s’appellent à des heures tardives ou échangent des textos. Le triathlète Stubb a pour mission de réconcilier Zelenski et Trump après l’humiliation publique subie dans le Bureau ovale, en direct devant les caméras, le 1er mars 2025. C’est ensuite la réception grandiose que Trump met en scène pour accueillir Poutine en Alaska le 16 août. Tout Washington est en émoi et Bruxelles avec elle. Stubb apparaît comme le dernier moyen pour Macron, Starmer et Merz de reconnecter Zelenski à la Maison-Blanche. Le président ukrainien a publiquement remercié son homologue finlandais pour lui avoir permis de revoir Donald Trump.
« C’est très difficile », témoigne le président finlandais dans un français impeccable à France Inter. « La politique des relations internationales de Donald Trump est très transactionnaliste. » Donald Trump veut bien écouter les doléances européennes à condition qu’ils imposent des tarifs douaniers à la Chine, qui soutient économiquement la Russie et lui achète son énergie. La Finlande a pourtant montré l’exemple et dispose de 64 avions F-35 en plus de ses 60 F-18. Son artillerie surveille 1 300 km de frontière avec la Russie. Pourtant, devant ses homologues européen et américain, Stubb fait profil bas. « Ma ligne est d’être toujours dans le back-office européen. » Idéaliste et technocrate, Stubb est resté un haut fonctionnaire influent.
Le faucon d’Helsinki
Pendant la guerre froide, la Finlande était le rendez-vous en terrain neutre qu’affectionnaient les États-Unis et l’Union soviétique. C’est à Helsinki que furent signés les accords de 1973 sur l’OSCE. L’organisation de sécurité et de coopération en Europe symbolisait « la détente » entre les deux blocs antagonistes. Cette détente fut à l’origine de la perestroïka de Gorbatchev et de la chute du pacte de Varsovie en 1989 et 1990. L’Amérique a gagné la guerre froide, pas seulement avec des missiles balistiques, mais aussi avec une patiente diplomatie et une guerre culturelle féroce. En 2016, Donald Trump avait d’ailleurs rencontré son homologue russe à Helsinki, capitale encore neutre d’une nation non membre de l’OTAN. Mais cette position médiane de la Finlande n’est plus d’actualité pour Alexander Stubb. Dans sa dernière publication, The Triangle of power. Rebalancing the new world order, qui paraît début 2026 chez un éditeur américain de Washington (Columbia Global Reports), Stubb dessine trois grands pôles identiques aux débuts de la guerre froide. Tout d’abord l’Occident, défini comme un vaste espace démocratique. « L’ouest pour moi, c’est à peu près 50 pays qui ont une démocratie comme le Japon ou l’Australie et les autres, qui travaillent sur la base des mêmes valeurs, comme la démocratie et les droits fondamentaux » lance Stubb au micro d’Ali Baddou et Marion L’Hour. L’Occident n’est pas une géographie, mais un conglomérat qui regrouperait des nations dans un multilatéralisme contre le multipolarisme de la Chine et de la Russie. Pour Stubb, si l’Ouest veut gagner, « il faut s’allier avec le Sud, comme l’Inde ou l’Afrique du Sud ». Mais qui se cache derrière ce « il » sinon le patron américain de ce pôle occidental ? La théorie internationaliste et interventionniste, classique au Parti démocrate américain, est passée de mode au Parti républicain, en dehors de quelques figures comme Lindsey Graham. Tout le travail de Stubb est de faire revenir les néoconservateurs au Parti républicain.
« Les Russes et surtout Poutine ne comprennent que le pouvoir, donc il faut pousser, faire pression », répète Alexander Stubb un peu partout. Selon lui, Poutine ne lâchera plus un seul morceau de l’Ukraine et n’est plus capable de signer un compromis avec l’Europe. En somme, Stubb veut poursuivre la guerre quoi qu’il en coûte, et ne signer la paix qu’aux conditions fixées par Zelenski. Il faut donc élargir les sanctions économiques. Ses opposants l’accusent d’arrogance, d’insulter ses homologues pendant les réunions diplomatiques, ou de trop se préoccuper de ses performances de triathlète. Mais Stubb est sûr de son fait.







