Le positionnement des pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) vis-à-vis de la Chine et de l’Occident est complexe et nuancé. Il varie selon les intérêts stratégiques, économiques, géopolitiques et historiques propres à chaque pays membre.
L’Asean, en tant qu’une force géopolitique non négligeable, voire de plus en plus puissante, comporte les membres suivants : la Birmanie, Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam.
Formée le 8 août 1967 en pleine guerre froide, le but revendiqué de l’ASEAN était alors de contenir le communisme, promu notamment par la Chine de l’époque. Les pays membres se caractérisent par leurs pratiques répressives visant les mouvements communistes sur leur propre territoire et leur soutien indéfectible aux États-Unis en matière de politique extérieure[1].
Un changement progressif s’est amorcé avec l’ouverture de la Chine après 1978, initiée par les réformes de Deng Xiaoping. Depuis, l’évolution de la relation entre l’ASEAN et la Chine se caractérise par une dynamique ambivalente : d’un côté, une coopération économique de plus en plus étroite ; de l’autre, des tensions géopolitiques persistantes, notamment avec les Philippines sous Marcos Jr autour de la mer de Chine méridionale, bien que largement atténuées au fil du temps au travers des négociations relatives au Code de conduite.
Équilibrisme stratégique (« hedging [2]»)
Beaucoup de pays de l’ASEAN adoptent une stratégie d’équilibrisme entre la Chine et les puissances occidentales (notamment les États-Unis et l’Union européenne). Ils cherchent à tirer parti des avantages économiques de la Chine (investissements, commerce, intégration régionale via la BRI, etc.), à maintenir des liens sécuritaires et économiques avec l’Occident (en particulier avec les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’UE) et à éviter de choisir un camp, en misant sur une diplomatie multivectorielle.
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Par exemple pour Singapour : accueille des navires américains pour des raisons de sécurité et en même temps, accepte des investissements massifs de la Chine dans ses infrastructures. Et pour Vietnam : coopère économiquement avec la Chine et se rapprochent militairement des États-Unis, du Japon et de l’Inde.
Bien que l’ASEAN tente de parler d’une seule voix, chaque pays adopte une posture spécifique, influencée par sa géographie, son histoire, ses intérêts stratégiques et ses dépendances économiques.
Rôle central de la Chine
La Chine est un partenaire commercial majeur pour tous les pays de l’ASEAN : premier partenaire commercial de l’ASEAN depuis 2009, acteur central dans BRICS, dans l’initiative Belt and Road (BRI) et dans le RCEP (Partenariat économique régional global) et fournisseur clé d’infrastructures, de technologies, et de capitaux.
En avril 2025, les BRICS se composent des dix États,[3] dont l’Indonésie, le poids lourd d’ASEAN. Son intégration dans le giron des BRICS contribuera non seulement à garantir le maintien du statu quo actuel, mais offrira également aux candidats voisins, tels que la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam des raisons d’être optimistes[4].
Dix ans après l’annonce de l’Initiative la Ceinture et la Route (BRI), l’engagement cumulé dans le cadre de la BRI a dépassé la barre des 1 000 milliards de dollars, avec environ 596 milliards dollars pour les contrats de construction et 420 milliards de dollars en tant qu’investissements non financiers[5]. De nombreux projets de la BRI ont obtenu des résultats positifs, améliorant les infrastructures, favorisant le commerce et stimulant le développement économique des pays participants. Par exemple, le chemin de fer Bandung – Jakarta et le chemin de fer Laos – Chine.
Le RCEP[6] est un accord de libre-échange entre quinze pays autour de l’océan Pacifique construit sur l’initiative de l’Asean. Les signataires sont les dix pays membres de l’ASEAN, ainsi que cinq autres pays qui possèdent déjà un accord de libre-échange bilatéral avec l’ASEAN, à savoir : l’Australie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Le RCEP a créé de nouvelles opportunités commerciales entre les pays asiatiques et accélérera la reprise économique de la région. L’accord éliminera les droits de douane sur plus de 90% des marchandises au cours des 10 à 15 prochaines années à venir et introduira des règles sur l’investissement et la propriété intellectuelle pour promouvoir le libre-échange. L’accord couvre environ 30% de la population mondiale, du produit intérieur brut (PIB) mondial et du commerce mondial.
Cependant, certains pays Asean expriment des inquiétudes sécuritaires, notamment à propos de la tension dans la mer de Chine méridionale, des disputes territoriales et d’une dépendance économique croissante.
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Méfiance et dépendance vis-à-vis de l’Occident
Les États-Unis restent un garant de sécurité pour certains pays (ex. : Philippines, Singapour, Thaïlande), notamment via la présence militaire, les alliances et exercices conjoints et l’aide militaire et économique.
Mais il y a aussi une méfiance, les pays Asean perçoivent un manque de constance de la politique étrangère américaine. Ils soupçonnent aussi une sorte de néocolonialisme ou d’interférences politiques (droits de l’homme, démocratie).
Approche régionale de l’ASEAN
L’ASEAN tente de jouer un rôle de médiateur ou de tampon dans la rivalité sino-occidentale par la promotion du multilatéralisme, du dialogue et de la neutralité, via des forums comme l’ASEAN Regional Forum (ARF), l’East Asia Summit, etc. et également en insistant sur les principes de non-ingérence et de consensus.
Signes d’une tendance d’évolution ?
Pour la première fois depuis 2020, date à laquelle l’enquête The State of Southeast Asia a posé cette question, la Chine dépasse les États-Unis : 50,5 % des personnes interrogées dans la dernière édition 2024 de l’enquête régionale estiment que l’ASEAN devrait s’aligner sur la Chine plutôt que sur les États-Unis, une forte augmentation par rapport aux 38,9 % en 2023[7]. À l’exception des Philippines, de Singapour et du Vietnam, les sept autres pays de l’ASEAN préféreraient choisir la Chine plutôt que les États-Unis. Même la Thaïlande, alliée des États-Unis par traité, ferait ce choix. Compte tenu de très faible écart, ce résultat ne peut pas être interprété, à ce stade, comme un bouleversement ou un changement radical. Il montre, peut-être, le début d’une tendance d’évolution.
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Le sommet de l’Asean des 26 et 27 mai à Kuala Lumpur est l’occasion pour le groupe régional de tenter de multiplier les partenariats, notamment avec les pays du Golfe. Face aux droits de douane imposés par Donald Trump, les dirigeants de l’Asie du Sud-Est montrent qu’en plein doute sur la mondialisation, ils se détourneraient, peut-être, des États-Unis en faveur de la Chine et du Golfe[8]. L’administration Trump s’est montrée peu réactive aux sollicitations de l’Asie du Sud-Est, en témoignent les demandes malaisiennes restées sans réponse pour organiser un sommet ASEAN–États-Unis. En contraste, la Chine intensifie ses efforts diplomatiques : en visite en Malaisie, le Premier ministre Li Qiang a mis en garde contre l’unilatéralisme et le protectionnisme, affirmant son opposition aux pratiques occidentales perçues comme menaçant l’ordre économique mondial.
[1] Cf. Wikipedia : ASEAN – The Association of Southeast Asian Nations.
[2] Hedging (la couverture) est une stratégie globale de politique étrangère combinant approches compétitives et coopératives, utilisée pour gérer des intérêts nationaux concurrents dans un contexte d’incertitude quant à la répartition future du pouvoir (Cf. Iván González-Pujol, Théorisation de la stratégie de couverture : intérêts nationaux, objectifs et instruments mixtes de politique étrangère, Centre d’études de l’Asie de l’Est, Université autonome de Madrid, le 14 mai 2024).
[3] Cf. En avril 2025, les BRICS se composent des dix États suivants : Afrique du Sud, Brésil, Chine, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie, Inde, Indonésie, Iran, Russie. L’Adhésion de l’Arabie saoudite, officiellement annoncée, est finalement suspendue (Géo Confluence).
[4] ASIE – GÉOPOLITIQUE : L’ASEAN à l’heure des BRICS, Gavroche Hebdo, le 24/01/2025.
[5] Cf. Alex Wang, Belt & Road Initiative (BRI) : le bilan d’étape et son avenir, Revue Conflits, le 19 octobre 2023.
[6] Cf. Alex Wang, RCEP vs CP-TPP vs IPEF : une gigantesque partie de go dans l’Indopacifique, Revue Conflits, le 17 juin 2023.
[7] Sharon Seah, State of Southeast Asia Survey 2024: Choosing China over the US is neither a tidal shift nor a sea change, 03 Apr 2024.
[8] Toscane O’Sullivan, L’Asean se détourne des États-Unis en faveur de la Chine et du Golfe, Figaro international, le 26 mai 2025.