<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Bon courage pour l’adhésion de l’Ukraine

28 septembre 2022

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Crédits: Mourad Allili/SIPA

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Bon courage pour l’adhésion de l’Ukraine

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Il faut plonger dans « Serviteur du peuple » pour comprendre comment les Ukrainiens perçoivent l’Union européenne, quels sont les espoirs qu’ils placent en elle. Énorme succès populaire, cette série humoristique diffusée entre 2015 et 2019 a rendu célèbre Volodymyr Zelensky. Hier acteur comique, il a été élu président de l’Ukraine en 2019, à la tête du parti baptisé… Serviteur du peuple. La série décrit parfaitement les obsessions et les travers du peuple ukrainien et de ses dirigeants : la corruption, les passe-droits à tous les niveaux, le jeu trouble entre les politiques et les oligarques, la sébile tendue à l’Europe ou au FMI. Dans « Serviteur du peuple », l’UE est le Graal absolu, convoité par tous. Au fil des épisodes, on comprend ce fantasme national sur l’Europe et comment beaucoup espèrent gruger la Commission pour en tirer le maximum de profits…

Drôle et ancrée dans le quotidien, cette série hilarante a une suite que ses scénaristes déjantés n’avaient pas imaginée : l’Ukraine atteint enfin son rêve, avec le statut officiel de pays candidat à l’UE, accordé au terme d’une procédure accélérée par le sommet de l’UE du 23 juin. « C’est le point de départ d’une nouvelle histoire pour l’Europe, a exulté le président Zelensky. Vous avez pris l’une des décisions les plus importantes pour l’Ukraine depuis son indépendance il y a trente ans. » Les dirigeants européens, surtout ceux de l’Ouest, ont toutefois approuvé ce statut avec une certaine prudence. Ils savent que leur décision a été prise dans l’urgence, dans le climat d’émotion et de solidarité suscité par l’agression russe. Ils devinent que ce choix plus médiatique que stratégique va déporter le centre de gravité de l’Europe vers l’Est, avec des conséquences bientôt lourdes à gérer. Géant géographique (600 000 km2), démographique (42 millions d’habitants) et agricole de l’UE, l’Ukraine pourrait un jour capter la majorité des budgets de pré-adhésion, de la politique agricole commune, des fonds structurels et d’investissements de l’UE. La facture sera salée pour le contribuable européen.

À Kiev, on a déjà sorti les calculettes. Tout le monde connaît le « cadeau » offert à la Pologne lors de son adhésion – plus de 20 milliards d’euros versés entre 2004 et 2006. L’Ukraine espère plus. Dans « Serviteur du peuple », on voit bien comment cette manne peut encourager toutes les magouilles. Rares sont les responsables qui rappellent les contraintes liées à un agenda très long ou à des réformes douloureuses. « L’avenir ensemble » annoncé avec excitation par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, est à l’horizon de dix ou vingt ans. Emmanuel Macron l’a confirmé : « Le processus qui s’engage sera exigeant. » Officiellement candidates, depuis 2005 et 2014, la Macédoine du Nord et l’Albanie en savent quelque chose. Elles attendent toujours l’ouverture de la phase finale de leur adhésion. Les Balkans restent eux aussi bloqués en salle d’attente. Ces pays n’ont pas beaucoup apprécié le traitement de faveur accordé à l’Ukraine. De son côté, la Russie sait que le processus prendra beaucoup de temps. Elle fait de cette adhésion un non-événement. Vladimir Poutine précise que son pays n’a « rien contre ». Serguei Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, est serein : « L’adhésion de l’Ukraine à l’UE ne présente aucun risque. »

L’article 49 du Traité sur l’Union européenne prévoit de fastidieuses étapes sur au moins une décennie. « Serviteur du peuple » illustre d’ailleurs de façon cocasse et documentée les dossiers prioritaires : l’alignement du droit national ukrainien sur les normes européennes, la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, la stabilité des institutions, l’indépendance de la justice et des médias, la protection des minorités. Zelensky n’en ignore rien : il avait été élu, en 2019, pour combattre ces fléaux. À la veille de la guerre, le 24 février, il n’avait obtenu aucun résultat. Sa popularité était tombée au plus bas.

Un conseil pour les négociateurs de la Commission de Bruxelles ou de la Banque centrale, avant toute visite de travail à Kiev : visionner de toute urgence les 51 épisodes de « Serviteur du peuple » ! Pour éviter de se précipiter et pour défendre un peu mieux les intérêts des citoyens de l’Union européenne.

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.

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