Depuis la chute des Khmers rouges en 1979, le Cambodge connait une longue série d’instabilité politique. Si la dynastie Hun contrôle de fait le pays, la situation démocratique est très loin d’être stabilisée
7 janvier 1979. Des troupes vietnamiennes, soutenues par des dissidents khmers rouges regroupés au sein du Front uni national pour le salut du Kampuchéa (FUNSK), renversent le régime de Pol Pot. C’est la fin de quatre années de terreur et de folie génocidaire (1975-1979) qui a causé la mort de près de deux millions de Cambodgiens, soit près de 20% de la population. Sur les cendres d’un pays ruiné et à la population martyrisée par le génocide, tout reste à rebâtir.
Le Cambodge nouveau débute par la proclamation de la République populaire du Kampuchéa (RPK), sous influence vietnamienne. Le nouveau gouvernement, dirigé par Heng Samrin, peine toutefois à asseoir sa légitimité car les Khmers rouges continuent la guérilla depuis les zones frontalières, avec le soutien de la Chine. C’est le début d’une nouvelle guerre civile, qui marque les années 1980.
Des années de sang
Le Cambodge est divisé en quatre grands partis : le régime installé, soutenu par le Vietnam, les Khmers rouges, soutenus par la Chine, le mouvement royaliste de Norodom Sihanouk et le mouvement républicain de Son Sann. Le gouvernement ne contrôle pas le pays, le Cambodge est marqué par la guérilla et les luttes de pouvoir.
Après dix ans de luttes intenses, un cessez-le-feu est conclu en 1991 (Accords de Paris). Une administration provisoire, supervisée par l’ONU, est mise en place. Les armes se taisent, les réfugiés peuvent revenir.
Le retour de la monarchie
En 1993, des élections démocratiques organisées sous l’égide de l’ONU donnent la victoire au FUNCINPEC. Norodom Sihanouk retrouve son trône et devient roi du Cambodge. Mais le Parti du peuple cambodgien (PPC), dirigé par Hun Sen, refuse les résultats. Un compromis est trouvé : le Cambodge devient une monarchie constitutionnelle avec un gouvernement de coalition et deux Premiers ministres : Norodom Ranariddh et Hun Sen. C’est le début de la dynastie des Hun, qui dirige toujours le Cambodge aujourd’hui.
Hun Sen prend le pouvoir
La coalition éclate en 1997, lorsque Hun Sen orchestre un coup de force militaire contre le FUNCINPEC. Il devient l’homme fort du pays. Depuis lors, le PPC domine la vie politique, consolidant son pouvoir à travers un contrôle accru sur les institutions, les médias et la justice. Les élections suivantes (1998, 2003, 2008, 2013) sont entachées d’accusations de fraudes, d’intimidations et de répression de l’opposition. En 2017, la principale formation d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), est dissoute par la Cour suprême. Son dirigeant, Kem Sokha, est arrêté, et son co-fondateur, Sam Rainsy, est exilé. La mise en place de la démocratie est une vue de l’esprit.
Cambodian Prime Minister Hun Sen Independence Day celebration in front of Royal Palace in Phnom Penh, Cambodia, Saturday, Nov. 9, 2013. (AP Photo/Heng Sinith)/HS112/528766180887/1311090820
Un autoritarisme permanent
En 2018 et 2023, le PPC remporte sans réelle opposition des élections quasi-plébiscitaires. Hun Sen conserve le pouvoir pendant près de 40 ans, avant de passer le flambeau à son fils, Hun Manet, en août 2023. Cette transition dynastique marque un tournant : le Cambodge entre dans une phase de néo-autoritarisme héréditaire, avec des institutions façonnées pour perpétuer le contrôle du pouvoir par une même famille.
Norodom Sihanouk, né à Phnom Penh en 1922 et décédé à Pékin en 2012, a été plusieurs fois roi déchu du Cambodge. Couronné roi en 1941 sous le protectorat français, il abdique en 1955 en faveur de son père. Redevenu roi en 1993 après la fin de la guerre civile, il abdique de nouveau en 2004, cette fois en faveur de son fils, Norodom Sihamoni (né en 1953).
La dynastie Hun Sen, une famille à la tête du Cambodge
Si le Cambodge est de nouveau une monarchie depuis 1993, c’est une famille et ses affiliés qui dirige le pays, les Hun père et fils.
Hun Sen entre dans la vie politique cambodgienne sitôt terminé l’épisode des Khmers rouges. Tout au long des années 1980, il participe à la guerre civile pour tenter de prendre le pouvoir.
En 1979, il devient ministre des Affaires étrangères du nouveau régime, affilié au Vietnam. Il a seulement 27 ans. Six ans plus tard, en 1985, il devient Premier ministre, poste qu’il occupe pendant près de 40 ans, laissant le pouvoir à son fils en 2023. S’il accepte le retour de la monarchie et qu’il cède la couronne à Norodom Sihanouk, il ne lâche rien en revanche du pouvoir, plaçant ses proches aux postes clefs, contrôlant également la vie économique. Son autoritarisme est sans pitié pour les opposants politiques. Les élections sont l’objet de nombreuses fraudes, les votes sont manipulés et détournés.
Prenant le contrôle du Parti du peuple cambodgien (PPC), il en fait un instrument politique à sa main, lui permettant de contrôler son pays et d’asseoir son pouvoir. Rien ne lui échappe, nombreux sont les hommes politiques qui lui doivent leur carrière, créant un système de fidélité tout à son avantage.
Sous la main de fer des Hun, les médias sont contrôlés, les libertés publiques réduites, la répression et le contrôle des populations omniprésents.
Les rapports internationaux soulignent la grande importance de la corruption au Cambodge. Le pays a obtenu 21 points sur 100 au Corruption Perceptions Index de 2024 publié par Transparency International. L’indice de corruption au Cambodge a atteint en moyenne 21,05 points entre 2005 et 2024, atteignant un niveau record de 24,00 points en 2022 et un niveau historiquement bas de 18,00 points en 2008. Les ONG, dont Amnesty international, souligne les atteintes portées à la liberté d’expression, le travail forcé, la répression contre les journalistes.
Hun Sen a mis en place un « système prébendier » tout à son avantage, comme l’analyse François Bafoil : « La maîtrise des fonds financiers par Hun Sen passe d’abord par la centralisation des ressources à son profit. Un grand nombre d’agences (ou Autorités) en charge des activités publiques relèvent de sa seule autorité, à l’exclusion des ministères sectoriels. Dans chacune d’elles, Hun Sen occupe la fonction de responsable suprême, et son autorité s’exerce également sur les unités déconcentrées au niveau des administrations provinciales. »
Hun Sen contrôle ainsi le gaz, le pétrole et le tourisme, dont les revenus des temples d’Angkor
« Ainsi en est-il de l’Autorité du pétrole et du gaz ou encore de l’Agence Apsara, chargée de recueillir et de gérer les ressources en provenance des activités touristiques des temples d’Angkor. Alors qu’elle devrait être logiquement placée sous la tutelle du ministère du Tourisme, cette Agence est dirigée par le Premier ministre auquel tous ses revenus sont transférés. »
Les millions générés par les touristes pour l’achat des droits d’entrée à Angkor « ont été intégralement versés à Hun Sen, sans que personne ne puisse préciser l’usage qui en a été fait » constate François Bafoil.
Une famille liée à la puissance chinoise
Une autre source de revenu essentielle pour le Cambodge est celle des fonds des donateurs étrangers. « Le Cambodge est en effet le pays le plus largement doté par ceux que l’on appelle les donors, qu’il s’agisse des organisations bancaires (Banque mondiale et Asian Development Bank-ADB) ou des pays étrangers (Japon, Nouvelle-Zélande, Australie, Union européenne, Chine). »
Cette aide internationale arrive sans aucune coordination ni aucun contrôle. Et dans ce domaine, la Chine ne cesse de monter en puissance, devenant le premier bailleur du Cambodge. « Or, contrairement à ses prédécesseurs occidentaux qui cherchent à conditionner leurs aides au respect ou à la défense des droits de l’homme, le grand voisin du Nord n’exprime aucune conditionnalité en la matière, ce qui ne peut que convenir à l’équipe de Hun Sen » analyse encore François Bafoil. Et cela tombe bien, car la Chine est devenue le premier investisseur du Cambodge. Une manne qui n’est pas près de s’éteindre pour la famille Hun puisque le fils a succédé au père.
Hun Manet (1977) est préparé très tôt à exercer le pouvoir. Il est envoyé aux États-Unis pour étudier (West Point) ainsi qu’au Royaume-Uni. En 2018, il est nommé commandant de l’armée royale cambodgienne et en 2023, son père démissionne en sa faveur de son poste de Premier ministre. Mais Hun Sen demeure président du Sénat et de nombreux membres de la famille sont placés dans les postes clefs de l’appareil d’État : police, armée, ministères régaliens, ainsi que dans les médias et les entreprises d’État. Derrière la figure historique du roi du Cambodge, c’est bien une dynastie familiale qui a les rênes du pouvoir.