<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Ces Émirats unis à la France

19 septembre 2022

Temps de lecture : 8 minutes
Photo : French President Emmanuel Macron and UAE President Sheikh Mohamed bin Zayed al-Nahyan state dinner held at the Grand Trianon of the Versailles castle near Paris on July 18, 2022.//04SIPA_SIPA.1769/2207191115/Credit:ROMAIN GAILLARD-POOL/SIPA/2207191130
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Ces Émirats unis à la France

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Puissance arabe en pleine expansion, les Émirats arabes unis (EAU) sont aujourd’hui l’un des alliés les plus proches de la France. Dans un contexte de crises géopolitique et énergétique où les alliances sont remises en cause, les deux pays bénéficient d’une relation de stabilité et confiance. Débutée au lendemain de l’indépendance des EAU, cette dernière se consolide toujours. Elle s’explique par des intérêts communs et par la fiabilité d’Abu Dhabi. Analyse de la relation France-EAU et du modèle émirati, un État moderne et prospère, doté d’une stratégie de puissance cohérente.  

État très pauvre lors de son indépendance, les EAU sont parvenus en 50 ans à devenir une puissance régionale de premier plan au rayonnement mondial. Les raisons de ce succès ? Une exploitation rationnelle des ressources naturelles, une politique économique et d’investissements diversifiés, une forte stabilité politique, une appréhension réaliste des flux économiques mondiaux et une constance diplomatique.

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Une relation historique aux multiples facettes

L’alliance franco-émiratie, conduite depuis un demi-siècle avec le premier ambassadeur français en poste à Abu Dhabi, Paul Martin, qui présenta ses lettres de créance en 1974, recouvre des secteurs variés et notamment de pointe : défense, énergie, espace, industrie, mais aussi la culture ou le luxe. Ils représentent aujourd’hui l’un des plus gros excédents commerciaux de Paris[1]. Cette relation privilégiée repose sur la convergence explicite d’intérêts mutuels sur la scène internationale. Comme le rappelait l’Élysée à l’occasion de la visite, le 15 mai 2022, à Abu Dhabi, du président Emmanuel Macron : « Les Émirats arabes unis sont un partenaire stratégique de la France »[2].

Les accords de partenariats signés ces derniers mois témoignent de la vitalité actuelle de la relation. En décembre 2021, puis en avril 2022, se conclut un mégacontrat portant sur la vente de 80 Rafales, de Dassault Aviation, aux forces armées émiraties[3]. Un achat qui illustre une volonté de collaboration militaire plus intégrée. Quelques mois plus tard, le 18 juillet, les deux pays signent un large « accord de coopération stratégique » dans le domaine de l’énergie. Un partenariat qui vise explicitement à faire cause commune face à la crise énergétique actuelle et sur fond de transition écologique.

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Un pays stable et prospère

Monarchie fédérale unissant sept émirats, dont les principaux, Abu Dhabi (la capitale) et Dubaï, les EAU sont un État politiquement stable depuis sa création. Cette stabilité a permis au pays d’accroitre progressivement sa puissance depuis son indépendance.

Les institutions sont notamment parvenues à absorber l’arrivée massive de travailleurs étrangers sans provoquer de heurts majeurs. Ces derniers, de confessions et de cultures diverses, composent 90% des 10 millions d’habitants que compte la fédération. Sur ce total, près de 13% sont chrétiens. Si le pays a pour religion officielle l’Islam malékite (école du sunnisme), les institutions prônent la tolérance religieuse et le gouvernement lutte contre les discriminations religieuses. En témoigne la visite, historique dans la région, du Pape François en 2019[4] ; mais aussi les licences accordées pour la construction d’édifice religieux[5].

Ce système politique fonctionnel a permis au pays de déployer une stratégie d’accroissement de puissance. À l’origine, elle se base sur deux items principaux : l’usage de la rente hydrocarbure et l’investissement dans les flux de la mondialisation. Un des symboles les plus notoires est l’Émirat de Dubaï et sa cité-État futuriste. Hub aérien, commercial et touristique, la ville est aussi une place financière mondiale.

Grâce à sa puissance financière, logée principalement dans la capitale Abu Dhabi, via ses fonds souverains regroupant des centaines de milliards de dollars d’actifs, le pays a aussi la capacité de financer sa diversification économique. La nouvelle stratégie industrielle du pays, baptisée « Opération 300 milliards » vise par exemple à multiplier par trois la part de l’industrie dans le PIB de la fédération[6]. Selon la Coface, la diversification économique du pays est aujourd’hui plus élevée par rapport à ses voisins de la région[7]. La part des hydrocarbures y est encore forte, mais se réduit d’année en année. Elle représente aujourd’hui 30% du PIB et 52% des exportations (Business France). À titre de comparaison l’économie du Qatar est nettement plus dépendante de sa rente gazière qui représentait en 2021 autour de 40% de son PIB et 87% de ses exportations[8].

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Interdépendance géostratégique

Outre ce modèle de développement qui attire Paris, l’alliance entre la France et les EAU se nourrit des interdépendances géostratégiques qui unissent les deux pays. Pour Paris, les Émirats arabes unis sont un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme et participent à la sauvegarde des intérêts français sur l’« arc de crise », cette zone géographique qui court du Caucase au Sahel en passant par le Levant, la péninsule arabique et le Maghreb. En plus de jouxter l’Europe, et donc la France, cet arc a la particularité de toucher à des intérêts considérés comme stratégiques, voire vitaux par Paris (sécurité nationale, énergie, influence, etc.). Les EAU s’alignent, dans ces régions, sur la politique française. En témoigne par exemple leur investissement dans le Sahel déstabilisé par les groupes armés terroristes (GAT)[9] ; ou encore leurs actions en méditerranée orientale face à la Turquie[10]. Le pays est aussi en général très actif dans la lutte contre les Frères musulmans et le djihadisme international.

Du côté d’Abu Dhabi, la France est un allié militaire majeur qui contribue à la défense de son territoire en cas d’agression extérieure (notamment l’Iran ou les Houthis). En outre, cette coopération offre aux EAU de nombreux leviers d’actions lui permettant de s’imposer progressivement comme une puissance internationale. La collaboration militaire resserrée entre les deux pays a débuté dès les années 1970, et se consolide via plusieurs accords signés en 1991, après la 1ʳᵉ guerre du Golfe, puis en 1995 et en 2009[11]. Cette coopération débouche, à partir de 2009, sur l’installation d’une base militaire divisée en trois implantations, maritime, aérienne et terrestre. Cette base a joué un rôle important dans le cadre de l’opération « Chammal » menée par la France contre l’État islamique (EI) en Irak. Des manœuvres conjointes sont également menées régulièrement. Comme les exercices de tir menés cet été entre le 5e régiment de cuirassiers et des éléments des forces émiraties[12]. De facto, ces manœuvres participent à la création d’une culture militaire commune et favorisent l’interopérabilité entre les deux armées.

Cette forte intégration militaire se traduit par la fidélité du pays à la BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) française. À tel point qu’à certaines périodes, les capacités des forces armées émiraties furent jusqu’à 70% d’origine française. Plusieurs livraisons sont prévues dans un futur proche : corvettes (Naval Group), avions ravitailleurs (Airbus), hélicoptères de transport (Airbus), etc. Le mégacontrat de 80 Rafales de dernière génération (standard F4) – le plus important signé par la France depuis des décennies- est le symbole de cette dynamique.

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Contrer la double crise énergétique

Dans le secteur de l’énergie, la coopération s’est aussi étroitement resserrée en 2022. Elle a pour origine immédiate les conséquences de la guerre russo-ukrainienne sur le marché des hydrocarbures. D’autres impératifs s’y adjoignent, comme la transition énergétique verte. Les EAU s’y montrent particulièrement actifs via des projets dans le nucléaire, l’hydrogène ou les énergies renouvelables.

Ainsi, la France et les Émirats ont signé le 18 juillet un « accord de partenariat stratégique global sur la coopération énergétique »[13]. Il prévoit d’identifier et de faciliter les investissements mutuels dans le domaine de l’énergie. Les deux pays souhaitent par-là pouvoir créer « un cadre stable de long terme » dans le domaine de l’énergie. Selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, qui sera en visite dans le pays prochainement, cet accord « permet de faire face aux enjeux pressants de la sécurité énergétique à court terme, tout en préparant un avenir décarboné ».

Quelles sont les modalités concrètes de cet accord ? Le lendemain de la signature, Total Énergies et Abu Dhabi National Oil Compagny (ADNOC) annonçaient un nouveau partenariat concernant de futurs projets de production de gaz et de pétrole[14]. Le partenariat prévoit aussi, à court terme, la livraison de diesel en remplacement de la Russie qui assurait jusqu’ici 25% des importations françaises. La sécurisation des importations de carburant était un enjeu crucial – le parc automobile français est composé à 55% de véhicules diesel – posé par le gouvernement dès le printemps 2022[15].

Le groupe Total est un ancien partenaire de l’ADNOC. Cet accord conforte la position favorable du groupe dans le pays.  Il pourrait aussi pondérer les approvisionnements de GNL (gaz naturel liquéfié) en provenance d’acteurs comme les États-Unis : fin mars, l’Union européenne avait signé un accord destiné à augmenter les livraisons américaines pour les substituer partiellement au gaz russe. L’accord comporte aussi un volet nucléaire. Les EAU sont le premier pays du Golfe à s’être doté d’une centrale [nucléaire][16]. Plusieurs groupes français sont déjà présents dans l’exploitation et la maintenance de la centrale de Barakah (EDF, Andra, groupe CERAP). Or, selon certains acteurs français de la filière, les EAU pourraient envisager la construction de nouvelles tranches de réacteurs[17]. Le nouveau contrat de coopération pourrait alors favoriser la filière française (EDF, Framatome, Orano, etc.) à qui le chantier de la centrale de Barakah avait échappé en 2009 au profit du coréen Kepco.

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Une alliance de « realpolitik »

L’alliance franco-émiratie est le symbole d’une certaine realpolitik à la française. Elle repose moins sur des principes multilatéraux et idéalistes que sur une approche réaliste des intérêts respectifs des deux pays. Pensée sur le long terme, elle procure aujourd’hui aux deux pays une relation solide et fiable ; qui leur permet de faire face aux secousses géopolitiques mondiales. Les partenariats et contrats, signés ces derniers mois, témoignent concrètement de cette adéquation.

Dès lors, cette alliance est à l’image de ce que devrait être le système d’alliances de la France, au détriment du tropisme atlantiste actuel. On remarque d’ailleurs que la France convainc systématiquement quand elle adopte des postures la démarquant du monde occidental. Portée par sa culture, son histoire et ses capacités, Paris bénéficie d’une image de puissance d’équilibre. Cette capacité à faire contrepoids [à Washington] est précisément l’une des raisons qui ont convaincu les EAU, à l’origine, de traiter avec Paris. Et ce sont pour les mêmes raisons que Paris parvient aujourd’hui à convaincre ou approcher des pays menacés comme la Grèce ; ou refusant les logiques de blocs, comme l’Indonésie.

[1] GUILLEMOLES Alain, Les Émirats arabes unis, un grand partenaire économique pour l’industrie française, La Croix, 15 mai 2022

[2] Ibid

[3] CABIROL Michel, Rafale : le mégacontrat aux Émirats arabes unis est entré en vigueur, La Tribune, 19 avril 2022

[4] Vatican News, Le Pape aux Émirats : un voyage sous le signe de la rencontre et du dialogue, 1er février 2019

[5] SALAMA Samir, Abu Dhabi: Legal norms to be set for places of worship, Gulf News, 19 juin 2022

[6] Business France Dubaï,  Fiche pays Émirats arabes unis 2022, Business France, 2022

[7] Coface, Émirat arabe uni, Principaux indicateurs économiques, [Site consulté le 13 septembre 2022] https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Emirats-arabes-unis

[8] Direction générale du Trésor, Les hydrocarbures au Qatar en 2021, ministère de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et économique, 21 janvier 2022

[9] AFP, Les Émirats arabes unis allouent 2 milliards de dollars à la Mauritanie, 2 février 2020

[10] LAGNEAU Laurent, Tensions en Méditerranée : Les Émirats arabes unis envoient quatre F-16 en Grèce, OPEX 360, 22 aout 2020

[11] PONS Frédéric sous la direction de SAINT PRO Charles, Les défis de la défense et la Sécurité, Géopolitique des Émirats arabes unis, Études Géopolitiques, 2019

[12] Ministère des armées, Opérations, FFEAU, Le 5e RC conduit une campagne de tir en coopération avec les forces armées émiriennes, [ site consulté le 12 septembre 2022] https://www.defense.gouv.fr/operations/actualites/ffeau-5e-rc-conduit-campagne-tir-cooperation-forces-armees-emiriennes.

[13]   Ministère de la Transition énergétique, La France et les Émirats arabes unis signent un accord de partenariat stratégique global sur la coopération énergétique, Presse, [site consulté le 10 septembre 2022)

[14] Capital, TotalEnergies signe un accord de partenariat stratégique avec les Émirats arabes unis, 19 juillet 2022

[15] AFP, Pétrole russe : la France aura assez d’«approvisionnements alternatifs» si besoin, estiment les professionnels du secteur, 09/03/2022

[16] Connaissance des Énergies,  Barakah : questions sur la « première centrale nucléaire du monde arabe », [Site consulté le 10 septembre 2022] https://www.connaissancedesenergies.org/barakah-questions-sur-la-premiere-centrale-nucleaire-du-monde-arabe-220218

[17] LE BILLON Véronique, Nucléaire : la France accède par la petite porte à Abu Dhabi, Les Échos, 22 novembre 2018

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Pierre d'Herbès

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