Petit village niché dans le Berry, Concressault cache une histoire fascinante, entre vestiges médiévaux, héritage écossais et folklore de sorcellerie. Ses ruines de château, liées à l’influence du duc Jean de Berry et aux Stuarts, témoignent d’un riche passé, tandis que son musée de la sorcellerie, aujourd’hui disparu, a marqué les esprits. Plongez dans les secrets d’une commune où la grande Histoire croise le mystique et l’insolite.
Par Paco Milhiet, docteur en géographie qualifié aux fonctions de maître de conférences. Auteur du livre Géopolitique de l’Indo-Pacifique aux éditions Cavalier bleu. Sa famille paternelle est originaire du village de Concressault.
Chaque année, aux alentours du 14 juillet, la commune d’Aubigny-sur-Nère, petite ville de 5 500 habitants dans le nord du Cher, se pare de ses plus beaux atours pour célébrer son histoire écossaise. Il y a 600 ans, en 1423, cette cité fut donnée par le roi de France Charles VII à Jean Stuart, connétable d’Écosse, en récompense de son aide précieuse apportée à la couronne de France face aux Anglais pendant la guerre de 100 ans, notamment lors de la bataille de Baugé (1421). La cité d’Aubigny restera aux mains de la famille écossaise pendant plus de 200 ans, et cette « Auld Alliance » est célébrée chaque année en grande pompe. Outre le festival annuel, devenu une attraction touristique majeure, un centre culturel dédié trône dans le château des Stuart et contribue au dynamisme et à la renommée de la ville.
À près de dix kilomètres à vol d’oiseau, le paisible village de Concressault offre un tout autre décor. Bordé par la Sauldre, affluent du Cher, ce bourg tranquille de 200 habitants n’a pas connu le même essor que son illustre voisine : 20 ans déjà que le dernier commerce y a fermé boutique, 10 ans que le musée de la Sorcellerie, autrefois site touristique phare du département, est resté sans repreneur. Pourtant, derrière cette apparente discrétion, Concressault cache une histoire singulière. Le château, aujourd’hui en ruine, s’inscrivit dans le legs architectural majeur du duc Jean de Berry (1340-1416), et constitua un ouvrage hors norme aux fonctions ambiguës. Signe de l’importance historique de cette fortification, Concressault fut léguée à Jean Stuart deux ans avant Aubigny en 1421. Ce dernier portait d’ailleurs le titre de Seigneur de Darnley et de Concressault.
Lieu microcosmique de la grande histoire de France, où vestige archéologique et récits métaphysiques se confondent, Concressault n’a pas fini de nous dévoiler tous ses mystères.
Un village berrichon, une microhistoire française
Située au nord-est du département du Cher, dans le dénommé Pays Fort (la terre y est fertile mais lourde et difficile à travailler), la commune s’enracine au cœur de l’un des plus anciens territoires du royaume de France, le Berry, étroitement lié à la dynastie capétienne comme domaine royal ou terre d’apanage. À son échelle communale, Concressault a traversé les tumultes de la grande Histoire de France.
Des silex et outils taillés découverts témoignent d’une présence de chasseurs cueilleurs préhistoriques. Pendant l’antiquité, la toponymie gallo-romaine de la commune, Concordiae Saltus (le bois de la concorde) suggère peut-être un ancien lieu de culte. La ville a constitué de manière plus documentée une étape sur l’antique voie romaine reliant Briare à Bourges (Avaricum-Brivodrium). La présence d’une motte castrale à proximité de l’actuel château indique peut-être l’existence d’un édifice de fortification plus ancien, probablement construit en bois entre le VIIIe et le IXe siècles.
Sous Philippe Auguste (1165-1223), alors que les Anglais de Jean sans Terre et leurs alliés menaçaient le Berry, Concressault y joua le rôle stratégique de zone tampon et première ligne de défense du royaume de France. C’est à cette époque qu’une première fortification en pierre est construite. Après la victoire du roi de France à Bouvines (1214), la région jouit d’une paix relative, mais les pillages reprennent lors de la guerre de Cent Ans (1337-1453). En 1351, le château est pris et détruit par les Anglais.
Après le traité de Calais (1360), le Haut-Berry entre dans l’apanage du duc Jean de Berry, frère du roi de France Charles V. Ce prince, grand bâtisseur et protecteur des arts, exercera une influence considérable, non seulement dans la politique globale du Royaume, mais surtout dans les régions sous sa souveraineté, dont le Berry. Le duc entreprend une vingtaine de chantiers, de Paris à la côte Atlantique en passant par l’Auvergne et… Concressault.
À sa mort, la commune est donnée par Charles VII à la famille Stuart, récompensée d’avoir aidé le roi de France très affaibli. Vendu en 1450 a une autre famille écossaise, les Menipeny, le château reste sous propriété écossaise jusqu’en 1539. À la fin du xve siècle, la commune fut élevée au rang de bailliage royal, et exerça les fonctions régaliennes du Roi sur 36 paroisses, couvrant une zone allant de Sancerre à Aubigny.
Puis Concressault retomba progressivement dans l’anonymat, mais subit tout de même les tumultes des évènements nationaux : guerres de Religion (1562-1598) pendant lesquelles le nord-est du Berry fut âprement disputé entre Protestants et Catholiques, invasion prussienne (1870), Première Guerre mondiale (1914-1918) où 33 de ses fils perdirent la vie, Seconde Guerre mondiale (1939-1945).
Le développement du chemin de fer commercial (1907-1951) développa les échanges régionaux mais n’enraya pas l’exode rural. En 150 ans, la population de la commune a été divisée par trois, témoignant des mutations profondes du territoire.
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Un château énigmatique
A gauche, le château de Concressault en ruine, Julie Benzerrak, 2016
à droite, gravure de M. Boussard pour l’ouvrage de M. Buhot de Kersers, Histoire et statistique monumentale du département du Cher, Volume VIII, 1875-1898
Aujourd’hui amas de pierres rongées par la végétation, le Château de Concressault n’a pas encore dévoilé tous ses secrets.
Probablement édifié au Xe ou XIe siècle sur les vestiges d’un monticule castral, l’édifice est réhabilité par le duc Jean de Berry de manière robuste. Ce bloc de maçonnerie unique en son genre, de forme hexagonale imposante, avec des murs de grosses pierres de 32 mètres de hauteur et d’environ 12 mètres d’épaisseur, interroge par sa démesure.
La stratégie architecturale du duc est comprise comme un symbole de puissance ostentatoire, visant à moderniser et agrandir son domaine dans un contexte de compétition avec d’autres princes de France. On retrouve des constructions entreprises par le duc de Berry à Bourges, Poitiers, Riom, Mehun-sur-Yèvre, Nonette, Usson, Graçay, Gien.
Bien que modeste, l’édifice de Concressault trouve sa place au centre de ce maillage (à 6 jours à cheval de Paris, Poitiers et Riom). Sa fonction réelle reste pour autant une énigme… Simple étape de villégiature pour accueillir la cour du duc en déplacement constant ? La structure militaire de l’ouvrage ne s’y prêtait guère… Site stratégique entre l’Anjou et le Languedoc dans des régions où les Anglais et les Bourguignons étaient particulièrement actifs ? Un tel usage eut nécessité une logistique conséquente et n’aurait eu que peu d’utilité. Peu à peu laissé à l’abandon, le château servira ensuite de carrière pour les constructions du village contemporain. Puis les propriétaires successifs s’en désintéresseront. Le château est déjà à l’état de ruine au XVIIIe siècle.
À mesure que la France se centralisa et que les invasions anglaises s’estompèrent, le Berry perdit de son intérêt stratégique. Cependant, la région suscite encore l’intérêt des visiteurs, notamment pour son aura mystérieuse, voire mystique.
Tentatives de reconstitutions : à gauche Bernard Capo 1964, à droite Denis Fargeot
Le Pays des sorcières
Le Berry nourrit la réputation populaire d’être une terre de sorcellerie. Une notoriété mystique amplifiée par l’écrivaine George Sand (1804-1876), dont les récits ont immortalisé le folklore local. Dans « La Mare au Diable » (1846), « La Petite Fadette » (1846), ou encore « Les Légendes Rustiques » (1857), elle évoque son « pays de Nohant » près de Châteauroux, une vallée riche en légendes, peuplée de personnages surnaturels.
Plus récemment, l’auteur berrichon à succès Jean-Louis Boncoeur (1911-1997) témoigna dans ses livres des survivances de la sorcellerie que pratiquent quotidiennement les habitants « Le Village aux Sortilèges » ou « Le Diable aux Champs », qualifiant la région comme le « Fief des Sorciers ».
Mais la sorcellerie dans le Berry n’est pas qu’un mythe littéraire : des traces historiques en attestent. Le livre « Les Sorciers du Carroi de Marlou » relate un procès de sorcellerie survenu entre 1582 et 1583 dans le pays sancerrois, à l’instigation du bailli royal Pierre Ragu de… Concressault. Ce procès se conclut par la condamnation à mort de cinq hommes, exécutés par pendaison et brûlés sur le bûcher, après avoir été accusés de sorcellerie et de possession. Plus de cent noms figurent dans les minutes de cette affaire. En 1973, « L’Œil du Sorcier », un ouvrage de Philippe Alfonsi et Patrick Pesnot, rencontra un vif succès. Il relatait une affaire d’envoûtement dans l’Indre et le Cher, où un riche vétérinaire et son troupeau de moutons furent prétendument victimes de malédictions.
De manière plus pragmatique, la sorcellerie en Berry pourrait aussi être une interprétation romancée des pratiques ancestrales de guérisseurs ou rebouteux, figures populaires de la médecine locale dans une région aujourd’hui frappée par l’exode rural et la désertification médicale.
Mystique ou pas, le village de Concressault fut le fer de lance de cet attachement berrichon à la sorcellerie avec un musée dédié à cette thématique de 1993 à 2016. Ce musée rencontra un vif succès populaire, attirant près de 50 000 visiteurs par an, soit près d’un million de visiteurs sur l’ensemble de son existence. On ne peut que regretter que le projet n’ait pas trouvé de repreneur et qu’aucune aide n’ait été mise en œuvre par les collectivités locales.
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De la valorisation du patrimoine comme facteur de développement du territoire.
On l’aura compris, le village de Concressault ne manque pas d’intérêt. Les ruines du château, désormais quasiment invisibles depuis la route, sont les vestiges d’une grandeur passée qu’il convient de valoriser. Des fouilles archéologiques pourraient apporter de nombreux éléments nouveaux sur le château : l’édifice initial, ses dimensions, son organisation. Le riche patrimoine de la commune pourrait à terme devenir un outil de développement territorial et renforcer l’attractivité régionale.
Car la commune cache d’autres trésors ; les remarquables peintures murales du xve siècle de l’église Saint-Pierre, restaurées avec passion par l’association des Amis de l’église Saint-Pierre, témoignent d’un passé culturel riche et méconnu. Ces initiatives bénévoles favorisent un regain d’intérêt pour le bourg et stimulent des activités locales. Par ailleurs, les nombreux souterrains, certains bien connus des riverains et d’autres encore inexplorés, nourrissent légendes et mystères, offrant des opportunités uniques de tourisme et de découverte. D’autres pistes sont à explorer : vestiges romains, citadelle normande d’inspiration viking, Ferme des Templiers, étape de passage de personnages glorieux (duc de Berry, Jeanne d’Arc, Jacques Cœur), histoire de sorcières sont autant d’hypothèses qu’il conviendrait d’entretenir pour faire vivre le patrimoine de ce petit village à l’histoire extraordinaire.
Remerciements à Serge Van Poucke et Gérard Milhiet pour leurs relectures avisées
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Pour aller plus loin :
BENZERRAK Julie, Le château de Concressault, Étude historique et architecturale d’un château en ruine, école du Louvre, Mémoire d’étude (1re année de 2e cycle), 2016, 68p.
BON Philippe, Le château et l’art, à la croisée des sources, Édition Groupe Historique et Archéologique de la région de Mehun-sur-Yèvre, Mehun-sur-Yèvre, 2011
BUHOT de KERSERS Alphonse, Histoire et statistique monumentale du département du Cher, volume VII, office d’édition du livre d’histoire, collection Monographies des villes et villages de France dirigée par M.G. Micberth, 1875-98
DE NICOLAY, Nicolas, Description générale du païs et Duché de Berry, Advieille, 1865. Manuscrit de 1567
DEVAILLY Guy, dir., Histoire du Berry, Privat, Toulouse, 1980.
LANDOIS Jean, Concressault,
RAPIN Thomas, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry : maîtrise d’ouvrage et architecture à la fin du Moyen-âge. Thèse d’histoire de l’art, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt, Université de Poitiers, 2010, 758p.
SOYER Jacques, Donation par Charles VII à Jean Stuart des terres de Concressault et d’Aubigny-sur-Nère, dans Mémoire de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher, 1899, p. 21-34.