<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> France : la fin d’un modèle

5 avril 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Top,Jacques Delors, Giulio Andreotti, Brian Mulroney, Toshiki Kaifu, Ruud F. M. Lubbers, Bottom George Bush, Mikhail Gorbachev, John Major, Francois Mitterrand, Helmut Kohl 1991 London Economic Summit 18 July 1991 Date: 18-Jul-1991 - Rights Managed - 12036814 - Credit: Mary Evans/Allstar/Richard Maw/SIPA - 1903071153
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France : la fin d’un modèle

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Pénurie de masques. De lits d’hôpitaux. De vaccins. De soignants. Taux de mortalité de la Covid comparable à celui des grands pays européens alors que nos dépenses de santé se situent au 5e rang mondial (en % du PIB, avant l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni ou l’Italie). Un système de santé que l’OMS classait au premier rang mondial en 2000, mais que d’autres études (par The Lancet dont la réputation a été beaucoup ternie, la fondation Gates ou l’institut Legatum) mettent à un rang nettement inférieur à la fin des années 2010,  12e ou 16e. La France est d’ailleurs la seule de toutes les grandes puissances à ne pas avoir développé son propre vaccin.

 

Les chiffres du déclassement

 

Le coronavirus est-il le révélateur d’un déclassement général de notre pays ? Chiffre le plus parlant, le PIB français, longtemps le cinquième mondial, est passé en 2019 à la septième place. Selon le FMI, dès les années 2030, nous reculerons encore à la neuvième.

L’étude du PIB donne l’approche la plus simple du « déclassement », mais pas la plus exacte. Le XXIe siècle a vu le réveil de géants longtemps assoupis ; que l’Inde ou le Brésil, forts de leur taille et de leur nombre, se hissent aux premières places n’a rien d’étonnant. D’ailleurs tous les pays européens connaissent le même sort, et la France reste deuxième ou troisième parmi eux. À regarder le monde on se désole, à voir l’Europe on se console. Malheureusement la croissance française, qui était l’une des plus élevées d’Europe dans les années 1960 et 1970, s’est comprimée depuis. L’Allemagne fait presque aussi bien que nous dès les années 1990 (2 % contre 2,1 % pour la France, alors que dans les années 1960 et 1970 l’écart atteignait un point en faveur de la seconde) et la dépasse dans les années 2010. Le Royaume-Uni, à la traîne pendant les Trente Glorieuses, fait beaucoup mieux à partir des années 1980 avec un écart de près d’un point à son avantage.

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Les autres indicateurs ne sont pas vraiment plus encourageants. La France avait une balance commerciale équilibrée pendant les années 1970 et même, grâce à son excédent sur les services, la balance courante restait en équilibre de 1973 à 1981. Depuis 2000, c’est le plongeon : le déficit dépasse régulièrement 50 milliards d’euros chaque année et est estimé à 68 milliards pour 2020. La Covid a révélé la désindustrialisation du pays, et du coup sa dépendance excessive au tourisme. On voit même apparaître un déficit pour les produits agro-alimentaires, l’un de nos points forts.

Ajoutons en vrac : la progression de la dette publique, même s’il est de bon ton de dire que les taux d’intérêt nuls ou négatifs en rendent le poids facile à porter ; la progression des prélèvements obligatoires (entre 2003 et 2018 nous sommes passés de la troisième place dans l’Union européenne à la première ou la seconde derrière le Danemark, tout dépend du mode de calcul) ; le recul de notre industrie (qui ne représente plus que 13 % du PIB, la moitié de son poids en Allemagne).

Il n’y a pas que les chiffres économiques. Dans le domaine de l’éducation, les enquêtes PISA faites parmi les élèves d’une quinzaine d’années nous voient régresser nettement : de la 14e place pour les mathématiques et la 10e pour la maîtrise de l’écrit en 2001 à la 20e et la 18e en 2018[1]. L’étude de 2018 signale que la France se caractérise par un niveau élevé d’élèves très faibles, et que ce pourcentage augmente.

 

La faute à Mitterrand…

 

On est donc en droit de parler d’un déclin français. Il s’inscrit dans le cadre plus vaste d’un déclin européen, voire occidental. Les causes de ce déclin ne sont donc pas seulement françaises. On remarquera cependant que, sur le plan économique, une véritable rupture se produit au début des années 1980. C’est alors que notre croissance ralentit au point d’être dépassée par celle du Royaume-Uni et de l’Allemagne, c’est alors que les équilibres du budget et des comptes extérieurs disparaissent, c’est alors que commence la désindustrialisation dont la Covid a révélé l’ampleur, c’est alors que le taux de chômage décolle – il était inférieur à celui de l’OCDE dans les années 1960 et 1970 et supérieur ensuite[2]. On comprend mal pourquoi les Français persistent à voir en Mitterrand un grand président ! Le modèle des Trente Glorieuses, fait de forte croissance, de faible chômage et de dépréciation monétaire, est enterré, l’entrée dans l’euro le confirme.

Ce modèle reposait sur le rôle de l’État. Lui aussi est remis en question par la mondialisation et la libéralisation. Symbole, la défection des hauts fonctionnaires, une « trahison des clercs » ou, pour être moins virulent, une fuite des cerveaux. En 1984 – toujours les années Mitterrand –, 25 énarques publient une tribune à destination des chefs d’entreprise : « Offrez-vous un énarque » proclament-ils avec élégance. Selon Les Échos, il y avait au début des années 1960 sept énarques qui partaient vers l’entreprise chaque année et plus de 80 en 1990, le décrochage date de 1981 (un hasard ?). Il y a là un appauvrissement qualitatif de la fonction publique au point que le gouvernement a fait appel au cabinet de conseil américain McKinsey pour définir sa stratégie de la vaccination, une activité qui devrait relever de l’administration. Une grande partie des énarques s’est détournée du service de l’État qui n’apporte plus de prestige et s’est dirigée vers le privé qui rapporte de l’argent.

 

Ou à la génération Mitterrand ?

 

La véritable cause du déclin, c’est la débâcle des élites, administratives ou autres. La pandémie a mis en question l’État obèse ou centralisateur à cause de la montée des prélèvements obligatoires et de la réglementation. Obèse, mais prudent. Le principe de précaution semble être sa première préoccupation, ne rien faire qui mettrait les politiques et les hauts fonctionnaires sous la menace de plaintes devant les tribunaux. On est loin des « capitaines d’industrie » d’autrefois qui opéraient de véritables conquêtes économiques dans le nucléaire, les télécommunications ou l’aéronautique au risque de l’échec parfois, mais avec de réels succès.

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Au début des années 1980 arrive aux affaires la génération Mitterrand, née pendant le baby boom et formée en mai 1968. Inspirée par le slogan, « Il est interdit d’interdire », cette nouvelle élite, ou plutôt une partie d’entre elle, donne l’impression de ne rechercher que son bon plaisir tout en continuant à adresser des leçons de morale à tout vent. Elle prône l’ouverture sur le monde, mais pratique l’entre-soi, elle conteste la nation et les frontières, mais se calfeutre chez elle en cas de pandémie, elle parle de « vivre ensemble », mais se garde bien de déménager vers la Seine Saint-Denis. La lamentable affaire Duhamel, grand vertueux autoproclamé, fait toucher le fond du délitement à cette partie de l’élite et illustre ce qui paraît bien sa marque de fabrique, l’hypocrisie : n’est-ce pas ce même Olivier Duhamel qui fustigeait cette évolution en 2019 : « Les élites administratives et plus encore politiques ne sont pas ce qu’elles étaient il y a trente, quarante ou cinquante ans, il n’y a aucun doute là-dessus[3] » ? Lui-même en a apporté une preuve indiscutable peu après.

La France avait confié sa direction aux élites administratives responsables de l’intérêt général. Le poids était-il trop lourd, le cours des choses trop contraire ? Le fait est qu’elles ont failli moralement et pratiquement. Il n’y a pas de cause plus importante au déclassement.

 

Notes

[1] Les comparaisons sont délicates, car elles sont faites sur les pays de l’OCDE dont le nombre a changé et elles incluent quelques territoires – Hong Kong, Macao, Taïwan – particuliers. Nous avons choisi les rangs les plus favorables, d’autres calculs plaçant le pays à la 25e (mathématiques) et 23e place.

[2] Très exactement inférieur de 0,8 point dans les années 1970 et supérieur de 1,3 point dans les années 1980. Dans les années 2010, il est supérieur de 2,7 points. Source : SES ENS Lyon.

[3] Interview réalisée par Léa Salamé pour France Inter le 19 janvier 2019

À propos de l’auteur
Pascal Gauchon

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