L’île n’a plus ni électricité ni nourriture. L’immobilisme politique conduit à l’effondrement social et culturel. La population est prisonnière des mythes staliniens.
Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d’après
À Cuba, on ne croit plus en rien, mais on peut toujours compter sur l’immobilité.
Ossifié dans son stalinisme tropical, le pouvoir politique ne bouge guère alors que le pays tout entier s’effondre dans les ténèbres provoquées par les intempéries et l’incurie des autorités à minimiser leurs dégâts. L’électricité est devenue une denrée rare et toujours intermittente. La pauvreté de la population est telle que la faim réapparaît dans l’île, les dirigeants cubains se montrent incapables de remonter la pente, faute d’argent et peut-être d’envie.
Le gouvernement a tout de même pris quelques mesures dont l’efficacité s’avère limitée. Il a mis en place des coupures d’électricité planifiées, mais les pannes des centrales se poursuivent néanmoins, faute de carburant. Les autorités prétendent avoir renforcé la distribution de denrées alimentaires, mais elles le font dans le cadre du système de rationnement, dont les étagères sont vides. Elles incitent enfin les agriculteurs à augmenter leur production, mais reste à savoir si la bureaucratie permettra à ces paysans de vendre leurs produits sur des marchés privés.
Une grave crise économique
Cette crise est grave. Depuis quelques années, la croissance économique a tourné autour de 2 % par an, avec des bas, – 0,2 % en 2019, et des hauts, 1,9 en 2023, mais l’activité économique ne devrait pas dépasser 1 % en 2025. Les raisons de cette situation sont multiples : productivité insuffisante, suremploi public hypertrophié, difficultés d’approvisionnement, infrastructures et outils de production vétustes, investissements publics insuffisants, et des retraités qui représentent déjà plus de 20 % des Cubains, un défi sans doute insurmontable pour les finances publiques[1].
Dès lors, cette crise n’est pas surprenante, mais rend la vie des Cubains encore plus difficile. Fréquentes, les coupures de courant s’étalent parfois jusqu’à 22 heures par jour dans certaines régions et induisent une autre crise, alimentaire celle-là, qui s’avère dramatique en raison des denrées perdues faute d’électricité et du difficile approvisionnement en eau. Une troisième crise, politique, devrait théoriquement survenir après tant de calamités, mais nous sommes à Cuba, et la dictature ignore les contingences. Elle sait, en revanche, embastiller les mécontents qui quittent le pays en grand nombre. Au cours des deux dernières années, 4 % des Cubains ont fui vers les États-Unis. En décembre 2024, Cuba est passé sous la barre des 10 millions d’habitants.
C’est la faute des autres
Pour le gouvernement cubain, cette récession est bien sûr la faute des autres, notamment des États-Unis. Dès son arrivée au pouvoir, le président Donald Trump a de nouveau désigné Cuba comme un État « soutenant le terrorisme », une décision qui entraîne des sanctions prolongées. Sont aussi accusés par les autorités les effets persistants du Covid et les crises énergétiques et alimentaires actuelles. Enfin, bien sûr, revient sur le devant de la scène le grand repoussoir historique, le blocus américain qui n’en est pas un, mais un embargo commercial des États-Unis décrété le 3 février 1962 par le président John Kennedy après la promulgation par le régime castriste d’une loi ordonnant la confiscation sans indemnisation de tous les biens américains dans l’île.
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Au lieu de chercher ailleurs les responsables du désastre, les autorités cubaines devraient s’interroger sur les causes de cette situation et les moyens de redresser la barre. Le tourisme, par exemple, qui a rapporté beaucoup d’argent à Cuba et à son armée, laquelle contrôle les hôtels, restaurants, autocars, boutiques duty free, bref, tout ce qui permet à l’État d’encaisser des devises étrangères. Or ce secteur connaît un déclin notable. En 2024, le pays a accueilli environ 2,2 millions de visiteurs internationaux, selon Juan Carlos García Granda, ministre du Tourisme. En 2017, ils étaient 4,7 millions. Une chute qui reflète une désaffection certaine.
Pourquoi ? En raison des pénuries ? Le journal El País racontait récemment l’histoire du barman d’un grand hôtel de l’île qui ne pouvait pas servir de Cuba Libre à son client pour n’avoir ni rhum ni Coca-Cola[2]. Serait-ce aussi en raison de la misère, plus visible qu’auparavant, et de la déglingue de La Havane, notamment ces jolis petits palais face à la mer, sur le Malecón, qui s’écroulent faute de restauration ? Ou est-ce le climat politique, toujours aussi détestable, les arrestations musclées et arbitraires, une justice – qui ne mérite pas ce nom – aux ordres du pouvoir, et 1 150 prisonniers politiques, dont 34 mineurs, certains condamnés à des peines allant jusqu’à vingt-trois ans de prison[3].
Deux pays sont récemment venus porter secours à Cuba. La Russie y a envoyé 100 000 tonnes de pétrole brut, le Mexique, des produits alimentaires. Ce qui nous rappelle que depuis la victoire de Fidel Castro en janvier 1959, et jusqu’à aujourd’hui, Cuba est toujours resté sous perfusion des aides étrangères. Cette situation baroque, contraire aux principes de souveraineté d’une nation, semble n’avoir jamais perturbé les castristes, comme s’ils jugeaient normal d’être aidés par d’autres nations, notamment les « pays frères » de la nébuleuse communiste mondiale.
On retrouve ici les désolantes leçons d’un passé prétendument révolutionnaire dans un pays qui n’a plus la moindre autonomie. Longtemps, le Vénézuélien Hugo Chavez a échangé son pétrole contre des médecins cubains dont le sort s’apparente à de l’esclavage moderne. Quant à l’Union soviétique, elle a tenu Cuba à bout de bras pendant cinq décennies, jusqu’à la visite de Mikhaïl Gorbatchev, alors maître du Kremlin, à La Havane, le 2 avril 1989. La rencontre se passe mal. Selon Castro, Gorbatchev dénature le communisme avec sa glasnost et sa perestroïka[4], et le « Lider Maximo » ne pense rien de bon des efforts du président russe pour rendre compatibles communisme et liberté des marchés.
En 1986, Castro avait déjà lancé la Période de rectification des erreurs, un grand tour de vis à l’encontre de la très timide introduction du secteur privé dans l’économie cubaine, en particulier les marchés libres paysans.
Quand l’URSS s’écroule, en 1990, c’est pour Fidel Castro la preuve de la justesse de ses critiques envers le président russe, et pour le peuple cubain, une grande catastrophe qu’il convient d’adoucir par un euphémisme : « La période spéciale en temps de paix. » Il s’agit d’instaurer la pénurie dans le paysage, comme si elle représentait une étape vers un avenir radieux. De fait, l’économie locale, déjà peu productive, se retrouve paralysée. L’essentiel de l’énergie à Cuba, notamment le pétrole, venait auparavant du Comecon, le marché commun socialiste, de même que des machines industrielles et des produits alimentaires. Sur cette lubie de Castro, La Havane perd 80 % de ses échanges commerciaux. Les gens ont faim et une émeute éclate aux cris de « À bas Castro ! », une grande première depuis le début de la révolution. Dans un article du magazine britannique The Economist du 28 janvier 2008, l’auteur écrit : « Les chats domestiques ont disparu des rues pour réapparaître sur les tables du dîner. » Au zoo de La Havane, un visiteur prétend que les hyènes sont devenues végétariennes.
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Depuis lors, la crise économique n’a jamais ralenti, faute de ressources et d’investissements. Le carburant se fait rare à la suite de la diminution des importations de pétrole de pays alliés. Quant aux sanctions internationales, elles entravent l’acquisition du matériel nécessaire à la modernisation du pays.
Dans un de mes livres sur Cuba[5], j’écrivais en 2018 : « Colonie espagnole, soldats nationalistes, tutelle américaine, caudillos roublards, puis révolutionnaires barbus, l’histoire s’égrène comme la démonstration qu’il n’est jamais permis aux Cubains de faire ce qu’ils veulent et de vivre en paix. »
Hélas, cela est toujours vrai aujourd’hui.
[1] Ces chiffres et cette analyse proviennent d’une note de la direction du Trésor français, publiée en
mai 2021.
[2] « Turismo entre apagones y poca comida: ¿por qué Cuba sigue invirtiendo en hoteles? »
El País, 20 décembre 2024.
[3] « Prisoners Defenders », rapport de janvier 2025.
[4] La glasnost garantissait la libre circulation des informations, et la perestroïka est le nom des réformes économiques et sociales à l’époque de la présidence de Gorbatchev.
[5] Cuba en 100 questions, Éditions Tallandier.