Livre –  Des sanctions imposées à l’Iran et de leurs effets – Alexandre Austin

19 décembre 2020

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Livre – Des sanctions imposées à l’Iran et de leurs effets – Alexandre Austin

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En cette année d’élection présidentielle américaine, les sanctions internationales semblent plus que jamais au cœur de l’actualité. On verra ce qu’en fera Joe Biden. Mais on sait que Donald Trump en a fait son instrument principal de politique étrangère.

 

Pourtant selon des études récentes, l’effectivité des sanctions ne dépasse pas 31  % des cas d’application, toutes catégories confondues. Les efforts visant à imposer ou modifier un comportement par la contrainte des sanctions sont les moins efficaces avec un taux de succès de 13 % seulement. Ceux visant à prévenir une cible de ne pas s’engager dans une activité interdite sont trois fois plus efficaces (42 %) comme ceux simplement destinés à stigmatiser la violation d’une norme internationale (43 %). Les sanctions internationales sont une « arme de guerre ».

Ce qui apparaît de façon flagrante, c’est que le Moyen-Orient occupe une place privilégiée, en particulier depuis la chute de l’URSS. Des sanctions subies par l’Irak après la première guerre du Golfe (1991) à celles imposées à la Libye après Lockerbie (1993), sans oublier à nouveau l’Iran depuis quelques années autour de la question nucléaire, ou enfin la Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011. La question des sanctions est également un enjeu de plus en plus stratégique des relations internationales, dans un contexte où les grandes puissances sont désormais prudentes dans l’usage de la force, les fiascos des guerres d’Irak et d’Afghanistan ayant laissé un traumatisme profond, comme l’ont montré les postures d’Obama voire de Trump ces dernières années, « guerriers réticents », préférant lorsque c’est possible « diriger des lignes arrières » ou utiliser des modes de représailles n’engageant pas la vie de leurs soldats, à savoir les drones, les armes cybernétiques et les sanctions.

 

A écouter aussi : Podcast. Géopolitique de l’Iran. Ardavan Amir-Aslani

 

L’ouvrage d’Alexandre Austin, qui a observé de l’intérieur l’impact des sanctions, puisqu’il a vécu en Iran, illustre parfaitement ces considérations. Il confirme que  les sanctions imposées au régime iranien, de plus en plus adossées à l’extraterritorialité du droit américain,  bien qu’en vigueur depuis des décennies, n’ont pas réussi à parvenir aux résultats espérés, à savoir un regime change ou encore l’effondrement économique du pays et qu’elles fragilisent surtout les plus modestes, qui dès lors, n’ont plus les moyens de contester le régime des mollahs. Ces sanctions, comme le montre le Covid-19, touchent particulièrement l’Iran, qui n’a pas accès à tous les médicaments et aux équipements médicaux indispensables. En effet, s’il produit 97 % de ses besoins en médicaments localement, plus d’un tiers sont en réalité dépendants de bases importées. Cependant, l’Iran a réussi à trouver des solutions pour en contourner les effets les plus pernicieux.

La place laissée vacante par les Occidentaux est progressivement occupée par, la Chine et la Russie, si bien que l’on ne saisit pas bien en quoi les sanctions sont une réussite. De même, les autres objectifs recherchés, stopper l’enrichissement de l’uranium ou espérer que l’Iran abandonnera ses alliés régionaux au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et à Gaza n’ont pas été atteints. Dès lors, pourquoi maintenir les sanctions ?

La situation financière catastrophique consécutive aux sanctions ne laissa d’autre choix à l’Iran, un des pays de la région les plus touchés par le Covid – 19, pour éviter l’effondrement total de son économie que de la relancer, en dépit des risques bien connus d’une résurgence des contaminations. Ainsi, le manque d’assises financières força le pays à rouvrir en sacrifiant des milliers de vies supplémentaires. On peut donc sans risque inférer que les sanctions sont en grande partie directement responsables de cette hécatombe. Les sanctions sont d’autant plus dangereuses que les personnes sont vulnérables. L’auteur qui travaillait en Iran au sein du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) indique que la majorité des individus sous leur mandat était des réfugiés afghans ayant fui la guerre, principalement vers le Pakistan et l’Iran. Cette conjoncture se prolongeant depuis 40 ans. En effet, plus de la moitié des 3 millions de réfugiés vivant en Iran sont clandestins. Le gouvernement applique néanmoins une politique relativement tolérante à leur égard et, en théorie, leur garantit même un accès aux systèmes de santé et d’éducation.

Cependant, les sanctions compliquent fortement le travail des organisations humanitaires sur place. De la difficulté d’obtenir des financements – et subséquemment de les convoyer sur place puisque les banques iraniennes sont exclues du système financier international – et du matériel à la diminution de l’engagement du gouvernement consécutif à la dégradation générale des conditions économiques, les réfugiés sont particulièrement affectés par les sanctions. L’épidémie de COVID-19 a aggravé cet état de fait, faisant perdre à des centaines de milliers de réfugiés leurs moyens de subsistance, conduisant à une recrudescence des demandes de soutien à UNHCR, et poussant même beaucoup d’entre eux à retourner en Afghanistan (depuis le début de l’année, ils étaient presque 500 000 début septembre 2020). Ainsi, l’action des travailleurs humanitaires chargés d’assurer la protection des personnes les plus vulnérables est gravement menacée par l’imposition de sanctions qui sape les conditions même de l’exercice de leur mandat et, tandis que les moyens à leur disposition diminuent, les besoins sont sans cesse plus importants. Peut-on s’attendre à une amélioration de la situation dans les mois à venir ? Pour ce faire, il faudrait que chacun fasse preuve d’ouverture et de bonne volonté.

 

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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