<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Moderne et intemporel : la force du design américain

27 novembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Automobile Studebaker dans les années 1920, dans le New Jersey. Photo : MARY EVANS/SIPA 51273240_000001
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Moderne et intemporel : la force du design américain

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Faire passer une idée par l’objet, allier l’efficacité et la beauté, tels sont les atouts du design américain. À mi-chemin entre l’œuvre d’art et l’objet usuel, le design véhicule l’esprit de l’Amérique et ses valeurs. Servi par une force marketing et publicitaire intense il cherche à créer une adhésion tout autant à un objet qu’à une civilisation.

Un meuble doit remplir une fonction et transmettre un esprit et une idée. Il doit à la fois être pratique et esthétique. Les designers qui les conçoivent doivent donc être tout autant artistes qu’artisans, maîtriser les techniques d’assemblage et créer du beau.

Le design américain puise sa source en Europe, notamment dans la révolution portée par le Bauhaus, et invente un style propre, le souffle américain, qui rattache à la légende, à la grandeur et à la liberté. Là est le miracle américain : s’inspirer, reprendre et ajouter une touche unique qui donne à l’objet une histoire propre à laquelle le propriétaire adhère et s’identifie. Le style américain est résolument moderne, en rupture avec tous les autres styles, aussi bien dans le dessin que dans les matériaux, tout en étant également intemporel. Inscrit dans son époque, il transcende le temps.

L’innovation de rupture

Pas de bois, pas de marqueterie, pas de marbre, le meuble américain est composé de plastique, d’acier, de tuyaux et de tubes. En cela, il reprend les dessins des grands architectes européens tels Tony Garnier, Le Corbusier et bien sûr l’école allemande du Bauhaus. Des lignes épurées, des angles droits et une parfaite maîtrise de l’espace et du vide. Ce sont les chaises Wassily et Barcelone, reprises par Knoll, ou les automobiles Studebaker dessinées par Raymond Loewy. Le tout est confortable, très commode à utiliser et solide. Le trait du dessin rend immédiatement repérables le style et la marque qui s’y rattache. La chose devient alors un objet d’art, tout en étant fonctionnelle et pratique. Les chaises peuvent surprendre, mais elles sont confortables, les réfrigérateurs sont parfaitement agencés : poignée, bacs intérieurs ; les voitures sont aérodynamiques et conçues pour rouler. Le design américain joint l’esthétique à la pratique. Non seulement il embellit la vie, mais il la rend aussi plus commode par la fonction première de l’objet.

L’innovation de rupture du design est présente aussi dans le procédé de fabrication. Le machinisme et l’industrialisation permettent de produire les objets en grande série, ce qui aboutit à une standardisation et à un style international. Rançon du succès, le mobilier de bureau et de maison est copié, ce qui tend à unifier celui-ci et à effacer les différences culturelles. Un bureau à New York devient similaire à un bureau de Tokyo, l’esthétique pratique finit par tout envahir et supprimer toute différence et originalité, imposant un monopole culturel.

Les designers américains sont en relation constante avec les industriels et les clients, ce qui leur assure de répondre le mieux possible à leurs attentes. Knoll a ainsi mis au point la Planning Unit, un service qui travaille directement avec les clients pour produire ce dont ils ont besoin. C’est l’industrialisation au service du sur-mesure. La Planning définit tous les paramètres dont le client a besoin à la fois pour apporter une solution pratique et pour véhiculer l’image de la marque servie : graphisme, accessoires, textiles, tout est pris en compte dans l’agencement des bureaux, car le bureau n’est pas qu’un lieu de travail, mais aussi une vitrine de l’entreprise et de la marque. La Planning Unit réfléchit aussi au meilleur usage de l’espace. Dans des villes où le prix du mètre carré est élevé, le gain de place est essentiel et la taille est mesurée au plus près. L’objet n’a pas qu’une fonction décorative, il englobe toute la vie personnelle.

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Le design quotidien

Le xxe siècle est celui du déploiement des choses banales : paquet de cigarettes et de chewing-gum, stylos à bille, four, mixeur, ordinateur, l’objet a rempli les vies quotidiennes. Avec lui le plastique et l’acier, les matériaux bon marché et industrialisés. Or chaque objet, même banal, est le fruit d’une pensée, d’une réalisation graphique et d’un design.

Le franco-américain Raymond Loewy en fut l’un des artistes. On lui doit les logos de LU et de BP, le premier timbre à l’effigie de Kennedy, une bouteille de Coca et le paquet de Lucky Strike. Quoi de plus banal qu’un paquet de cigarettes ? Mais il doit répondre à un cahier des charges précis, contenir le nombre voulu de cigarettes et entrer dans la poche arrière du jeans. La simple vue du paquet doit véhiculer le rêve américain, la liberté et les grands espaces, à une époque où fumer était encore perçu de façon positive. Le paquet n’est pas qu’un contenant, il est surtout un vecteur de l’esprit d’une marque.

« Pratique et moderne. Un coup d’éponge et c’est propre » rappelle la réclame de Formica. Avec Tupperware, c’est l’une des grandes marques associées à l’esthétique et à la modernité des années 1950-1970. Le design sait utiliser l’innovation technique, sans que celle-ci se voie. Conjugué à la publicité, il permet de faire adhérer la population à ces produits.

Le vecteur publicitaire

Autre force de frappe des États-Unis : la publicité. Il ne suffit pas d’avoir un bon et bel objet, encore faut-il le vendre et pour cela donner envie au client de l’acheter. Les agences de communication ont un rôle essentiel dans ce processus. En 2016, sur les dix premières agences mondiales de communication, cinq sont américaines : Omnicom, Interpublic, Alliance Data, MDC Partners et Experian. Ces agences manient la communication visuelle, par l’affiche ou le clip. Là aussi, le design entre en compte en tant que vecteur d’un message et d’adhésion à des valeurs. Le design illustre la théorie économique de Thorstein Veblen : la consommation ostentatoire ou effet Veblen. Pour certains produits, plus le prix augmente plus les ventes progressent. L’image et l’adhésion sont alors si fortes qu’il donne une contenance et une personnalité à la personne qui le possède. Ainsi, bien qu’ils remplissent la même fonction, un smartphone Samsung est vendu moins cher qu’un Apple parce que l’effet ostentation du second n’est pas identique au premier.

Le cinéma et le sport sont mis au service de la publicité et du design américain. En 2017, Nike a fêté le trentième anniversaire de sa Nike Air, lancée en 1987. Cette chaussure a révolutionné le monde de la basket, car, pour la première fois, une bulle d’air a été introduite dans la semelle. L’innovation a été présentée en 1977 à Phil Knight, le patron de Nike, qui a d’abord cru à une blague venant de ses ingénieurs et qui a refusé le projet. C’est l’un des designers de Nike, Tinker Hatfield, architecte de formation, qui a eu l’idée de rendre la bulle d’air visible, après une visite rendue au Centre Pompidou. La chaussure est officiellement lancée en 1987, en s’appuyant sur des sportifs renommés, notamment le basketteur Michael Jordan. Celui-ci a ensuite eu sa ligne de vêtement Nike à son nom : Air Jordan.

Occuper l’espace pour vendre : le magasin

Pour vendre leurs objets, les marques ouvrent des magasins dans toutes les grandes villes du monde et surtout dans les grandes artères commerciales des villes mondiales. Ces magasins sont autant de conquêtes du terrain et d’occupation des lieux. Ils servent de diffuseur de la culture américaine. Leur emplacement n’est jamais le fruit du hasard. Les magasins de vêtements ne se trouvent pas dans les mêmes quartiers ou les mêmes rues que ceux de meubles ou d’objets du quotidien. Le magasin est aussi une vitrine de la marque, donc de l’esprit américain. En eux, l’architecture retrouve le design.

Les magasins deviennent les postes avancés du soft power américain.

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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