Dijon, terroir du cassis

18 septembre 2022

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Dijon, terroir du cassis

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Capitale politique et économique de la Bourgogne, Dijon en est aussi une des capitales gastronomiques, grâce à sa moutarde et sa crème de cassis. Développée à partir de 1841, celle-ci est désormais produite par quatre maisons qui continuent de développer le savoir-faire, en France et à l’international.

Région aux cultures multiples, la Bourgogne n’est pas centrée uniquement sur le vin. Autour de Dijon, sa capitale historique et politique, fut cultivé le cassis dès l’époque moderne. Baie noire riche en vitamines, le cassis était produit à des fins médicinales. C’est en 1841 que ce cassis traditionnel fut transformé en « crème de cassis » grâce au travail de liquoriste d’Auguste-Denis Lagoute, cafetier à Dijon au Café des Milles Colonnes. Les grains de cassis, de variété « Noir de Bourgogne » sont mis à macérer dans de l’alcool neutre additionné de sucre. La crème de cassis accompagne les grandes inventions liquoristes du XIXe siècle et devient un produit de base pour de nombreux cocktails, se taillant une part de choix dans les cafés. L’invention accompagne un style de vie en vogue dans cette période de transformation sociale et industrielle : le développement des cafés comme lieux de vie et d’échanges, la baisse du coût de production de l’alcool, qui permis la création de nombreuses liqueurs, le développement de la « réclame », grâce aux affiches et aux journaux, qui fit connaitre les produits, l’essor du chemin de fer, qui facilita les transports et donc les exportations des produits régionaux au-delà de leur terroir d’origine.

Grâce à la crème de cassis, la Côte d’Or s’oriente vers la production massive de ces baies, en plantant de nombreux hectares de cassissiers. Naissent différentes entreprises qui produisent à leur tour la crème de cassis, dont plusieurs existent encore aujourd’hui, comme Briottet, L’Héritier Guyot, Lejay-Lagoute et Gabriel Boudier.

Si c’est au début du XXe siècle qu’est mise au point la formule du blanc-cassis, c’est à partir de 1945 et de l’accession à la mairie de Dijon du chanoine Kir que le cocktail devint fameux. Servi en vin d’honneur à l’hôtel de ville de Dijon puis dans les mairies bourguignonnes, servi aussi à Paris, grâce aux réseaux du député Kir, la boisson qui prit désormais le nom du chanoine maire connu le succès des cafés et des banquets. 1/5 de crème de cassis, 4/5 de vin blanc aligoté, permettant d’écouler à la fois les stocks de crème de cassis et ce blanc moins fameux que les autres productions de Bourgogne. Au Kir s’ajoutèrent le « cardinal », réalisé à base de vin rouge, et le Kir royal, à partir de champagne.

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Le cassis se plaisant dans des climats plus froids que la vigne, il fut planté dans l’arrière-pays de la Côte, dans la région de Nuits et de Beaune, permettant ainsi une complémentarité des finages avec la vigne sur la côte et les céréales dans la plaine. Deux indications géographiques protègent désormais la crème de cassis : IGP Cassis de Dijon, que se partagent quatre liquoristes de la ville et IGP Crème de cassis de Bourgogne, qui s’étend de la Côte d’Or à la Saône-et-Loire.

Hommes d’Église

Félix Kir (1876-1968), maire de Dijon 22 ans durant, de 1945 à sa mort, député de 1945 à 1967, a laissé une trace majeure sur l’histoire de la ville de Dijon, mais aussi de la gastronomie puisque c’est lui qui a popularisé le blanc cassis qui porte désormais son nom. Développant la tradition du vin d’honneur dans les banquets municipaux, il contribua à la renommée de la crème de cassis au-delà des frontières de la Bourgogne.

C’est un autre homme d’Église, Fénelon, qui donna son nom à un autre cocktail à base de crème de cassis. François de Salignac de la Mothe-Fénelon (1676-1715), fut archevêque de Cambrai et précepteur du duc de Bourgogne, dauphin et héritier de Louis XIV et père de Louis XV. S’il ne monta pas sur le trône puisqu’il décéda en 1712, avant Louis XIV, il contribua à l’animation politique du royaume. Fénelon est originaire du Quercy, il naquit à Sainte-Mondane, au château de Fénelon et débuta sa carrière ecclésiastique à Sarlat. Raison pour laquelle, sans que l’on puisse en donner les tenants historiques, il donna son nom à l’apéritif « le fénelon », servi presque exclusivement dans le Quercy, réalisé à base de vin rouge de Cahors, d’eau de noix et de crème de cassis. Faut-il y voir l’association de son Quercy natal et de la Bourgogne, duché de l’homme dont il fut le précepteur ? Cet apéritif local a survécu aux temps et se trouve encore servi frais dans quelques cafés locaux.

Les grandes maisons

Maison familiale fondée en 1836, la maison Briottet produit de la crème de cassis depuis les années 1900, quand Edmond Briottet abandonna le négoce du vin pour se concentrer sur la crème de cassis alors en pleine expansion. 6 générations se succèdent depuis lors, l’entreprise obtenant le label EPV en 2018.

Autre maison dijonnaise, Gabriel Boudier, elle aussi EPV. Fondée en 1874, elle est menée par la famille Battault depuis 1936. Outre les crèmes de fruit, Gabriel Boudier propose aussi des gammes de gin et de vodka, preuve du développement vers des boissons plus appréciées et consommées aujourd’hui.

Si ces maisons ont pu traverser le temps, c’est certes en raison de la qualité de leurs produits, reconnue notamment par les indications géographiques, mais aussi parce qu’elles ont su s’adapter aux évolutions des goûts et des modes. Le style de vie des cafés et des limonadiers étant moins en vogue aujourd’hui, c’est vers la cuisine, les bars à cocktails et les usages à domicile que s’orientent les produits. À quoi s’ajoute une forte exportation à l’international, grâce à la valeur de la marque France et de la renommée de son industrie gastronomique.

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Photo de couverture (c) Bourgogne tourisme

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À propos de l’auteur
Martin Capistran

Martin Capistran

Avocat, docteur en droit.
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