Pour les uns, il est le sauveur du monde, pour d’autres sa terreur. Retrouvez l’éditorial de Jean-Baptiste Noé dans le nouveau numéro de Conflits.
Article paru dans le N56 : Trump renverse la table
Donald Trump ne laisse personne indifférent parce qu’il a bâti sa puissance et ses victoires électorales sur ses provocations, sur des images symboliques fortes, sur des combats affirmés et clivants, sur la mobilisation des passions, qu’elles lui soient favorables ou tournées contre lui. Il a réussi ce que personne d’autre n’a réussi dans l’histoire contemporaine des États-Unis : revenir à la Maison-Blanche après une défaite. Et il le fait avec un discours nouveau et des soutiens nouveaux, dont Elon Musk n’est que l’une des figures. Trump ne sort pas de nulle part. Il est l’héritier d’une histoire politique, il fait souvent référence à ses prédécesseurs et il est bien décidé à marquer son pays et à laisser un héritage intellectuel et politique. Adulé ou détesté, Donald Trump s’est imposé comme une référence, quand un Joe Biden à la carrière politique pourtant étoffée est déjà oublié.
L’Amérique est de retour, encore une fois.
Combien de fois a-t-on annoncé la fin de l’Empire américain ? Véritable marronnier du monde intellectuel, on ne peut plus compter le nombre de livres, d’articles, d’interventions médiatiques, de penseurs et d’experts qui expliquent, depuis les années 1970, que les États-Unis sont terminés, minés par les divisions internes, les problèmes sociaux, dépassés par les rivaux, URSS autrefois, Chine aujourd’hui, humiliés par ses défaites, Vietnam, Irak, Afghanistan. Et pourtant, ils sont toujours là, avec leur puissance économique, militaire, culturelle, politique. C’est aux États-Unis que vont les jeunes docteurs français désireux de poursuivre leurs recherches en IA, pas en Russie. C’est à New York et en Californie que les étudiants chinois prometteurs vont étudier, pas à Moscou ni à Delhi. Il y a eu David Rockefeller, puis Bill Gates, et désormais Elon Musk. C’est aux États-Unis que sont nés General Motors, IBM, Microsoft, Apple et que se développe Tesla. Loin de mourir, les États-Unis, à chaque génération, innovent, créent, changent l’ordre technologique et politique du monde. Chaque génération a ses grands inventeurs, ses grands entrepreneurs, ses grandes entreprises. Chaque génération fait mieux que la précédente et continue de susciter l’envie, la jalousie et la haine. Dans L’Obsession anti-américaine (2002), Jean-François Revel avait analysé cette haine rébarbative qui fait de l’Amérique, chez beaucoup, la cause de tous leurs maux. Oui, les États-Unis ont une logique impériale et font usage de la guerre, militaire et juridique, pour maintenir leur rang. Mais non, la CIA n’est pas derrière chaque mort accidentelle, chaque coup d’État et toutes les manifestations civiles contre des politiciens corrompus ne sont pas des « révolutions orange » manipulées par Washington afin de maintenir sa mainmise sur le monde. Ce syndrome de Bretzelburg[1] qui se manifeste dans l’obsession anti-américaine permet aux régimes autoritaires de détourner le regard de leurs populations vers ailleurs et de désigner un ennemi utile afin de cimenter leur cohésion nationale et de lutte contre toute opposition politique.
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Qui sommes-nous ?
Titrait Samuel Huntington en 2004. Pour lui, le véritable ennemi des États-Unis venait du Mexique plus que de l’Asie ou de la Russie. De même, le retour de Trump oblige les Européens à répondre à cette question. On peut toujours critiquer l’OTAN et la perte de souveraineté. Mais avec quel budget un État surendetté va-t-il financer sa défense ? Avec quels talents un pays peut-il innover quand il ne propose à sa jeunesse éduquée que des impôts, des retraites à payer, un système social vermoulu auquel il faut sacrifier sa vie ? Si Donald Trump a gagné, c’est parce qu’il a su comprendre les problèmes de l’Amérique qui souffre et les besoins de l’Amérique qui innove. L’inverse d’une classe politique française qui témoigne de son mépris pour la France qui souffre et de sa jalousie pour celle qui crée. La guerre des deux France, celle qui avance et celle qui freine[2], est la véritable cause de notre impuissance, pas le retour d’une Amérique qui veut rester le moteur de l’histoire.
[1] Jean-Baptiste Noé, « Le syndrome de Bretzelburg », éditorial, Conflits no 38, mars 2022.
[2] Titre de l’ouvrage de Jacques Marseille, 2004.