Élections en Andalousie : une majorité absolue historique pour le Parti populaire

22 juin 2022

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Photo : Le palais Saint-Elme, siège de la présidence d'Andalousie (C)Richard Sowersby/REX/Shutterstock 2017
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Élections en Andalousie : une majorité absolue historique pour le Parti populaire

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En 2018, constatant la rupture de la coalition qui la liait aux centristes de Citoyens (Cs), la présidente régionale andalouse, Susana Díaz (Parti socialiste ouvrier espagnol), appelait aux urnes les électeurs de la région. Elle ne disposait alors que de 47 sièges sur les 109 du Parlement de Séville et aspirait à une majorité plus claire.

Le tremblement de terre d’il y a quatre ans

Une grave erreur car, le 2 décembre 2018, les socialistes perdaient 14 sièges, obtenant ainsi leur pire résultat historique. De surcroît, la somme du Parti populaire (PP, démocratie chrétienne), avec 26 élus, de Citoyens (21 députés) et de Vox (droite « radicale »), avec 12 élus, permettait au bloc de droite de dépasser la majorité absolue (55 représentants). Un véritable paradoxe puisque le candidat du PP, Juan Manuel Moreno, réalisait lui aussi le pire score de sa formation à des élections régionales andalouses.

L’entrée de Vox dans une assemblée de communauté autonome espagnole – une première pour un parti catalogué à l’extrême droite depuis la fin de la dictature franquiste – a surpris les commentateurs car les enquêtes d’opinion ne la prévoyaient en rien.

Le 18 janvier 2019, Juan Manuel Moreno devenait la première personnalité de droite à occuper le palais Saint-Elme. Même son prédécesseur Javier Arenas n’avait pas été en mesure de l’emporter lors du scrutin de 2012, à l’issue duquel il avait pourtant obtenu un record de 50 sièges. L’alliance entre PSOE et Gauche unie (IU) l’avait en effet privé de la présidence.

En concluant un accord de gouvernement avec Cs et en décrochant le soutien sans participation de la part de Vox, Moreno a donc réalisé un tour de force. Pourtant, même si les relations entre les trois formations ont d’abord été cordiales, Vox a finalement précipité la fin de la législature en avril dernier. Le parti estimait en effet n’être pas assez écouté par ses partenaires et c’est ainsi que, le 19 juin, les Andalous se rendaient de nouveau aux urnes.

L’Andalousie, terre électorale cruciale

Peuplée de 8,5 millions d’habitants, l’Andalousie est la communauté autonome la plus peuplée d’Espagne et le « grenier à votes » du socialisme national. En dépit de divergences de plus en plus prononcées entre la Basse-Andalousie (qui correspond plus ou moins aux provinces de Cordoue, Séville, Cadix et Huelva), ancrée à gauche, et la Haute-Andalousie (qui recoupe grosso modo les provinces de Jaén, Grenade, Málaga et Almería), attirée par la droite, le PSOE a toujours contrôlé l’autonomie sur le plan électoral. C’est précisément la vallée du Guadalquivir qui a fourni jusqu’à une date récente le gros des bulletins de vote en faveur des candidatures socialistes.

Néanmoins, malgré des traits communs à toutes ses provinces (taux de chômage plus élevé que dans le reste du pays, dépendance à l’égard de l’agriculture et du tourisme, etc.), la région est diverse. Il ne saurait en être autrement puisqu’elle s’étend sur plus de 87 000 kilomètres carrés – presque autant que le Portugal. L’émergence progressive de la métropole de Málaga (pôle touristique, artistique et technologique de premier plan) ainsi que la mainmise du Parti populaire sur le littoral d’Almería et la Costa del Sol constituent de bonnes illustrations de cette variété.

La « surprise Vox » doit être comprise dans ce cadre, tout comme la popularité dont a joui Juan Manuel Moreno durant la législature 2018-2022. Le président sortant a su jouer de son attitude affable, caractéristique d’un homme à l’idéologie modérée.

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Un affrontement de styles et de personnalités

Là où la présidente régionale madrilène, Isabel Díaz Ayuso (pourtant issue de la même formation), a construit son succès sur un affrontement d’idées musclé avec la gauche, Moreno a préféré la pondération. L’Andalousie est une région conservatrice au sens premier du terme, ses habitants souhaitant garder l’existant plutôt que de se risquer à des expériences nouvelles. Parvenu au pouvoir par un concours de circonstances, celui que l’on surnomme « Juanma » a par conséquent compris qu’il ne devait pas brusquer. Les sondages d’opinion qui ont ponctué la campagne ont semblé lui donner raison, puisqu’ils lui ont promis jusqu’à 50 sièges régionaux. De semblables projections étaient également la conséquence d’une gestion économique jugée bonne par bien des commentateurs.

À l’opposé, les socialistes semblaient incapables de mobiliser l’électorat autour de leur tête de liste, Juan Espadas (ancien maire de Séville). Ce dernier a souffert d’un manque de charisme, des scandales de corruption entourant le PSOE et du soutien encombrant d’un Pedro Sánchez toujours plus impopulaire au niveau national.

La gauche a également pâti de ses divisions. Désireuse de créer un projet politique pour relancer un Unidas Podemos moribond, la deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol, la communiste Yolanda Díaz, a parrainé une coalition (« Pour l’Andalousie ») dirigée par Inmaculada Nieto. Elle devait cependant faire face à l’hostilité d’une autre alliance de gauche « radicale » (« En Avant l’Andalousie »), menée par Teresa Rodríguez. La bataille incessante entre Nieto et Rodríguez ne leur a jamais permis de briller dans les sondages.

De son côté, Juan Marín (Citoyens) a bien tenté d’insuffler de l’espoir à ses troupes et de faire valoir son bilan en tant que vice-président sortant. Il a néanmoins dû se rendre à l’évidence : comme partout ailleurs en Espagne, les centristes risquaient la débâcle.

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Évoquons enfin le cas de Vox, dont le succès politique national est né sur ces terres méridionales il y a quatre ans. Son président, Santiago Abascal, a fait un pari risqué en choisissant Macarena Olona comme tête de liste pour le scrutin de 2022. Députée nationale, la dirigeante âgée de 43 ans est certes très populaire au sein de la droite « radicale ». Cependant, Olona a privilégié, aux antipodes de Moreno, la confrontation directe avec ses adversaires. Parmi ces derniers se trouvait le président andalou sortant, qu’elle a accusé de perpétuer les politiques socialistes dans la communauté autonome. Vox n’a d’ailleurs jamais fait mystère de ses ambitions : décrocher au moins 25 sièges afin d’être indispensable au nouvel exécutif sévillan. Olona l’a, de fait, martelé sur tous les tons : si Moreno ne parvenait pas à la majorité absolue à lui tout seul, il devrait faire entrer Vox dans son gouvernement. Une concession à laquelle Moreno n’a (officiellement) jamais voulu se plier.

Le choc des résultats

En Espagne, une élection régionale a toujours une portée nationale. C’est encore plus net avec une communauté autonome comme l’Andalousie, « joyau de la couronne » socialiste. Même s’il ne voulait pas l’admettre, le président du gouvernement, Pedro Sánchez, jouait gros ce 19 juin. Face à lui, le président du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo (élu à ce poste le 2 avril dernier), comptait bien planter un premier clou dans le cercueil socialiste avec une large victoire.

Le pari est réussi pour ce dernier. Avec une participation de 56,56 % (en légère hausse par rapport à 2018), le bloc de droite obtient 60 % des voix tandis que celui de gauche chute à 36 % des bulletins – soit 8 points de moins qu’en 2018. Surtout, le Parti populaire de « Juanma » termine la journée électorale avec une majorité absolue historique de 58 sièges (soit environ 1,6 million de voix). Au contraire, le PSOE recule à un niveau inédit au Parlement de Séville avec 30 élus et moins de 900 000 bulletins. Le PP profite en premier lieu de la disparition de Citoyens (qui perd tous ses députés régionaux et confirme son effondrement généralisé) ; il engrange de plus 200 000 à 300 000 voix venues de l’électorat modéré du PSOE.

La campagne de la gauche, qui avait tourné autour de la « peur du fascisme » en raison d’une possible alliance entre Parti populaire et Vox, a donc été contre-productive. Les citoyens andalous, y compris au centre gauche, ont en effet préféré donner à Juan Manuel Moreno les moyens d’un gouvernement en solitaire. Et bien que la liste conduite par Macarena Olona gagne 100 000 bulletins et 2 sièges, sa déception est réelle car elle se retrouve finalement dans l’opposition. S’agit-il d’un premier avertissement pour le parti de Santiago Abascal, qui aurait atteint un plafond électoral ? Il semble encore trop tôt pour le dire. Il apparaît en revanche que le choix d’Olona comme figure de proue ainsi que sa campagne virulente n’ont pas payé.

Du côté de la gauche « radicale », « Pour l’Andalousie » et « En Avant l’Andalousie » obtiennent ensemble 7 élus régionaux, soit 10 de moins qu’il y a quatre ans. Il s’agit d’un nouvel échec cuisant pour ce secteur idéologique, notamment pour Yolanda Díaz (dont le projet apparaît mort-né).

Le PP, qui arrive en première position dans les huit provinces andalouses et dans l’essentiel des communes grandes et moyennes de la communauté autonome, connaît une victoire qu’Alberto Núñez Feijóo veut croire décisive. La stratégie modérée qui est la sienne a également été adoptée par Juan Manuel Moreno et a servi à contenir l’essor de Vox.

De son côté, le président du gouvernement, Pedro Sánchez, doit encaisser une nouvelle défaite en quelques années après celles enregistrées en Galice (2020), dans la Communauté de Madrid (2021) et en Castille-et-León (février 2022). Il est certain que le locataire du palais de La Moncloa a de quoi s’inquiéter. Nul doute qu’il voudra aller jusqu’au bout de l’actuelle législature nationale (qui doit s’achever fin 2023) tant la peur d’une défaite est désormais palpable dans son camp. Il faut dire que le changement socio-électoral andalous, impensable il y a encore cinq ans, est préoccupant pour les socialistes, qui avaient dirigé la région sans discontinuer de 1978 à 2019.

Tous portent désormais leur regard vers le mois de mai 2023, date prévue des prochains scrutins régionaux et municipaux. Une telle dynamique se poursuivra-t-elle jusque-là ?

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).
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