Face aux massacres et à l’insécurité, Druzes et Alaouites réclament la partition du pays. Tandis que le cheikh Hikmat al-Hijri plaide pour un État druze soutenu par Israël, les Alaouites, isolés et affaiblis, n’ont ni structure ni appui extérieur. Les Kurdes, méfiants, refusent leur intégration sans garanties. Le rêve d’unité d’al-Charaa s’effrite face aux revendications séparatistes.
Fabrice Balanche, grand expert des affaires syriennes, est de retour de Syrie après plusieurs semaines à étudier les évolutions sociales et politiques. Dans cette série d’articles, il dresse un portrait du pays tel qu’il l’a vu. Difficultés économiques et sociales, séparation des communautés, insécurité, les défis sont nombreux pour le nouveau dirigeant, al-Charaa. Un regard clair et lucide.
Les populations alaouites et druzes traumatisées par les massacres de masse et l’insécurité au quotidien réclament le « taqsim » (partition du pays). Le cheikh Hikmat al-Hijri, qui s’est imposé en tant que chef politique des druzes syriens, exige la création d’un État druze centré sur leur territoire historique.
Cette initiative pourrait trouver un écho favorable auprès d’Israël, qui, même dans l’éventualité d’un traité de paix avec la Syrie, cherche à préserver des leviers de négociation avec Damas.
L’isolement du séparatisme alaouite
De son côté, Cheikh Ghazal Ghazal, qui se définit comme le porte-parole de la communauté alaouite, formule la même revendication. Mais à la différence des Druzes, les alaouites n’ont pas de soutien extérieur et ne disposent pas d’une organisation politique interne susceptible de coordonner une révolte à l’image des druzes. En outre, la population ne place pas sa confiance dans les officiers d’Assad pour mener une insurrection et ensuite diriger un État alaouite. En mars 2025, les anciens cadres militaires qui avaient constitué des groupes armés[1] furent incapables d’empêcher les massacres et leur niveau de corruption est connu de tous.
A lire également : Massacres des alaouites en Syrie : l’illusion se dissipe
De plus, leur territoire n’est pas aussi unifié que celui des druzes. La ville de Lattaquié est majoritairement peuplée de sunnites, tout comme la campagne environnante, au nord et à l’est de la ville. Ahmad al-Charaa peut compter sur les importantes minorités sunnites de Jableh, Banias et Tartous. Dans l’intérieur de la Syrie, les alaouites sont sur la défensive, affaiblis démographiquement par la guerre et sans défense face à la vague sunnite qui les pousse au départ. Cette situation critique pourrait déclencher une révolte alaouite, mais son issue serait tout aussi funeste que celle qui a eu lieu en mars dernier.
Les FDS, menace pour le nouveau régime
La préoccupation principale d’Ahmad al-Charaa en cette saison est d’arriver à dissoudre l’AANES[2] et à réintégrer le Nord-Est. Le chef des FDS (Forces démocratiques syriennes), Mazloum Abdi, a signé avec le président syrien un accord d’intégration[3] le 10 mars 2025, sous pression des États-Unis. Mais depuis cette date, les négociations traînent en longueur, car les forces kurdes (YPG) et leurs alliés arabes au sein des FDS refusent leur éclatement dans la nouvelle armée syrienne[4]. Ils ont peur de subir le même sort que les druzes et les alaouites. Malgré les promesses répétées d’intégration, aucune avancée concrète n’a été réalisée. Mazloum Abdi demande désormais des garanties pour préserver l’AANES en s’inspirant de la constitution irakienne, qui a permis l’émergence d’un quasi-État kurde à travers le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK).
A lire également : Retour de Syrie : Un même système politique mais des maîtres différents
Des combats violents se poursuivent le long de la frontière entre les FDS et les forces de sécurité syriennes. À Alep, le quartier kurde de Cheikh Maqsoud est au centre de la confrontation, et, malgré son isolement, il résiste aux tentatives des troupes d’Ahmad al-Charaa de l’investir[5]. Autrement dit, en l’absence d’interventions aériennes turques, Damas n’est pas assuré de remporter une victoire contre les FDS lors d’un conflit armé. Il se pourrait qu’il se retrouve dans une situation similaire à celle des druzes, renonçant ainsi à toute chance d’intégrer cette région autrement que par le nettoyage ethnique des Kurdes.
Ahmad al-Charaa comptait récupérer l’intégralité de la province de Deir al-Zor, où se trouvent 70% des réserves de pétrole syrien, mais les FDS ont refusé de l’évacuer[6]. Outre, des garanties constitutionnelles, Mazloum Abdi réclame que les réfugiés Kurdes chassés d’Afrin, de Tel Abyad et de Ras al-Ain[7] puissent revenir chez eux. Toutefois, ces régions sont actuellement sous le contrôle des milices alliées à l’ANS, et non à l’HTC.
La solution fédérale contre la centralisation d’al-Charaa
La Turquie, qui souhaite l’élimination de toute entité kurde dans le nord-est du pays, ne veut surtout pas que ces populations retournent vivre à sa frontière. C’est aussi le cas pour les combattants qui se sont emparés des logements et des terres des Kurdes. La situation paraît insoluble et figée. Un système fédéral serait le remède, évitant ainsi les conflits armés. Mais ce n’est pas l’option politique retenue par HTC, dont le centralisme est consubstantiel à son organisation interne[8].
Actuellement, la présence militaire américaine et l’espoir de voir les sanctions levées empêchent Ahmad al-Charaa d’attaquer les FDS. Mais il ne renoncera pas à son projet centralisateur d’autant plus que Recep Teyep Erdogan est opposé à toute forme d’autonomie kurde en Syrie[9], car il pense que cela encouragerait les Kurdes de Turquie à l’exiger aussi.
A lire également : Syrie : l’avenir incertain de la communauté druze
[1] La résistance populaire syrienne de Miqdad Fatiha, ancien commandant de la garde républicaine.
[2] L’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) est une entité politique autonome créée en 2012 dans le nord-est de la Syrie, dirigée principalement par les Kurdes mais incluant aussi des Arabes et Assyriens.
[3] Sallon Hélène, « En Syrie, un accord historique entre Damas et les forces kurdes », Le Monde, 11 mars 2025, https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/11/en-syrie-un-accord-historique-entre-damas-et-les-forces-kurdes_6578805_3210.html
[4] North Press Agency, “AANES: No compromise on decentralization, SDF in army”, 22 août 2025,
[5] North Press Agency, “Kurdish neighborhoods in Aleppo remain under siege despite halt in clashes”, 14 octobre 2025, https://npasyria.com/en/130964/
[6] https://x.com/RojavaNetwork/status/1977136849328930895
[7] Ces territoires sont occupés par les milices pro-turques de l’ANS depuis mars 2018 et octobre 2019.
[8] Drevon Jérôme, From Jihad to Politics: How Syrian Jihadis Embraced Politics, Oxford University Press, Juillet 2024
[9] Akin Ezgi, “Turkey, Syria hold high-level security summit as SDF integration talks ramp up”, Al-Monitor, 12 octobre 2025, https://www.al-monitor.com/originals/2025/10/turkey-syria-hold-high-level-security-summit-sdf-integration-talks-ramp









