Les richesses minières espagnoles : voilà un élément que l’on oublie souvent de mentionner lorsque l’on aborde le sujet de l’économie ibérique. Si le pays détient un sous-sol aussi riche que diversifié, la volonté étatique peine à déterminer une véritable politique d’extraction des minerais, ce qui pourrait profiter à une économie en quête de redressement.
L’abondance de minerais dans le sous-sol espagnol est un fait bien connu depuis l’Antiquité. Les Romains exploitaient déjà du cuivre en pleine Sierra Morena, en Andalousie, avant que ne leur succède une longue période d’abandon. C’est avec l’explosion industrielle du xixe siècle que les entrepreneurs européens redécouvrent ces ressources et se mettent à les extraire pour leur propre profit. C’est l’âge d’or de la Compagnie royale asturienne des Mines belges (fondée en 1853), de la firme Río Tinto (créée par les Anglais dans le Sud de la péninsule Ibérique en 1873), de l’Orcanera Iron Company britannique (1874) ou encore de la Société franco-belge des Mines de Somorrostro et La Peñarroya (1876), qui profitent de lois très libérales mises en place par le gouvernement espagnol entre 1839 et 1868. Jusqu’aux années 1960, la balance commerciale de notre voisin ibérique en matière minière reste ainsi excédentaire (1).
L’Andalousie fait, dans ce contexte, partie des régions les plus privilégiées outre-Pyrénées (2). Par ailleurs, le fer a longtemps été exploité au Pays basque, en Cantabrie, dans le León ou le sud de l’Aragon (3) ; le cuivre, du côté de Huelva (Andalousie) ainsi qu’à Bilbao (Pays basque) et Palencia (Castille-et-León) ; le plomb, dans la Sierra Morena et à Carthagène (région de Murcie) (4) ; le zinc, dans les Asturies ; l’aluminium, en Galice et en Aragon ; le mercure, près d’Almadén (Castille-La Manche), etc. Et encore ne mentionnons-nous pas ici les minéraux à la base du ciment et de la faïence, deux productions traditionnelles de l’Espagne.
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La pétrochimie, fer de lance de l’économie espagnole
Les Espagnols pourraient ainsi dire, pastichant les Français : « On n’a pas de pétrole, (5) mais on a des minerais ». Bien que le pays n’ait que très peu de réserves prouvées en hydrocarbures dans son sous-sol (6), il mise depuis longtemps sur le raffinage du pétrole (domaine dans lequel il suppose, avec l’Allemagne et l’Italie, plus de 35 % des capacités européennes (7)) et la regazéification du gaz naturel liquéfié (GNL) (8). En matière d’extraction, stockage, transport et transformation des énergies fossiles, l’Espagne est ainsi devenue un référent international, qui vend ses technologies aussi bien dans les pays importateurs (comme l’Allemagne (9)) qu’exportateurs (à l’instar de la Russie (10), de l’Iran (11) et du Canada (12)).
En raison de ce savoir-faire et de sa situation stratégique, notre voisin pyrénéen cherche désormais à réexporter massivement le gaz naturel qui transite par son territoire, notamment depuis l’Algérie, avec un succès mitigé jusqu’à présent (13). Il réfléchit également de plus en plus à l’utilisation de GNL à la place des carburants classiques (14).
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Tout ce qui est rare est cher…
Mais la vraie richesse minérale de l’Espagne se trouve peut-être ailleurs. Le lithium et l’uranium sont très convoités en Galice, en Castille-et-León et en Estrémadure (15). Et plus encore, ce sont les terres rares, aujourd’hui essentiellement extraites et commercialisées par la Chine, qui attirent les regards.
Les îles Canaries sont, dans ce domaine, très bien placées et pourraient même devenir le premier producteur européen d’ici à quelques décennies (16). L’archipel abrite également, au large de ses côtes, dans les profondeurs sous-marines, des nodules polymétalliques situés dans la zone économique exclusive espagnole (17). De quoi aiguiser l’appétit du Maroc, pays limitrophe, qui conteste à l’Espagne la souveraineté sur la région (18).
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De l’État-stratège à l’État impuissant ?
Si l’Espagne a été capable, au cours du xxe siècle, de tirer parti de ces richesses souterraines en tant qu’État-stratège, pourquoi ne le pourrait-elle pas aujourd’hui ? Pourquoi ne le fait-elle pas plus massivement ? Les raisons sont au moins de deux ordres.
Le premier concerne les moyens financiers à mettre en œuvre – et cette tâche s’avère d’autant plus difficile en période de crise et de restriction budgétaire. Mais plus fondamentalement encore, notre voisin ibérique semble refuser purement et simplement d’extraire les minerais de son sous-sol. Ce sont avant tout des considérations politiques et écologiques qui sont en jeu, dans une nation très sensible aux problématiques environnementales et dirigée par un État apparemment impuissant.
C’est ainsi que l’on peut comprendre l’annulation de tous les programmes de prospection et d’extraction de pétrole et de gaz en péninsule Ibérique et dans les archipels espagnols (19), l’interdiction stricte d’emploi de la méthode de fracturation hydraulique (ce qui a freiné tout projet lié aux hydrocarbures non conventionnels) et les entraves aux entreprises désireuses d’exploiter certains minerais comme l’uranium (20).
Ces préoccupations écologiques sont à la fois louables et justifiées, mais s’accompagnent souvent d’une impréparation crasse de la part des autorités publiques. Ces dernières sont par exemple engagées dans un processus de fermeture totale des mines de charbon d’Espagne… mais leur décision entraîne en parallèle une augmentation drastique des importations de houille pour alimenter les centrales thermiques qui subsistent.
En abandonnant la possible exploitation de ses ressources souterraines, notre voisin ibérique fait donc plusieurs paris risqués, dont celui des énergies renouvelables. Ces dernières exigeront des investissements gigantesques dans les prochaines décennies et, même si les perspectives semblent alléchantes, rien ne garantit qu’elles deviendront réalité.