<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> France – Saint-Siège : puissance croisée

3 décembre 2025

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Photo : Benoit XVI à l'Institut de France (Paris, 2008)

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France – Saint-Siège : puissance croisée

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L’ambassade de France près le Saint-Siège est un poste stratégique pour la puissance française et un levier majeur de sa diplomatie.

Un article à retrouver dans le N60 de Conflits. Vatican. La puissance du temps long.

Jean-Baptiste Noé, auteur de Géopolitique du Vatican. La puissance de l’influence (Puf, 2015) et Léon XIII. Le pape de la modernité (Salvator, 2025)

À Rome, la France dispose de deux ambassades distinctes pour deux États différents : une représentation auprès de l’Italie (palais Farnèse) et une auprès du Saint-Siège (villa Bonaparte¹). C’est, selon la tradition, en 754, par la donation des terres lombardes par Pépin le Bref au pape Étienne II, terres qui devinrent les États pontificaux, que les premières relations diplomatiques entre les deux puissances furent conclues. Plus de mille trois cents années d’échanges qui virent le Saint-Siège fournir au royaume de France quelques-uns de ses brillants diplomates, tel Mazarin, et la France générer pour l’Église des noms qui ont marqué la diplomatie pontificale, tels les cardinaux Jean-Marie Villot et Jean-Louis Tauran. Au cours des siècles, ces relations connurent des tensions et des ruptures, comme sous l’épisode napoléonien et dans les années 1910, mais la France, déclarée « fille aînée de l’Église », et son chef d’État chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, la cathédrale du pape, a maintenu un lien privilégié et à part tant auprès de l’Église que vis-à-vis des autres puissances chrétiennes.

La représentation diplomatique près le Saint-Siège demeure un siège à part, à mi-chemin entre la politique, la culture, la foi. Pour l’ambassadeur en poste, il ne s’agit pas de vendre des Airbus ou de prêter assistance aux citoyens français ; il s’agit de faire, tout à la fois, moins que cela et plus que cela. La fonction de l’ambassadeur est de pérenniser un lien historique multiséculaire, de rappeler l’importance du christianisme dans la construction de la France, de veiller au maintien et à la sauvegarde du patrimoine et des traditions françaises à Rome, qui se sont édifiés en strates tout au long de l’histoire, d’être un pont entre la curie, le gouvernement de l’Église, le pape et l’Église de France, dont les évêques et les prêtres sont régulièrement de passage à Rome, d’être au cœur des réseaux d’informations et de renseignements. En clair, d’être l’ancre de la France dans son terreau vital de la romanité.

Pour ce poste à part et particulier, la France a souvent choisi des profils atypiques et différents des autres postes diplomatiques : des universitaires, des écrivains, des hommes de lettres plus que des hommes de diplomatie. C’est ainsi que François-René de Chateaubriand (1828-1829) y fut en poste et, au xxe siècle, Wladimir d’Ormesson (1940. 1948-1956) et Jacques Maritain (1945-1948), à la demande expresse du général de Gaulle qui souhaitait, par cette nomination du philosophe chrétien, témoigner de la particularité de ce poste pour lui redonner son prestige culturel et intellectuel. Par la suite, si des profils plus technocratiques ont pu affaiblir cette représentation diplomatique, le retour à des profils lettrés permettrait de redonner à ce poste sa place et son crédit.

La France à Rome

Rome est la ville hors de France où la France, son histoire et son activité, est la plus présente. Organismes culturels, comme la villa Médicis et les instituts français, lieux de culte, telles les églises françaises² à Rome, qui sont juridiquement en territoire français et soumis à la gestion et à la protection des pieux établissements, dont la figure la plus visible est le centre culturel Saint-Louis.

Les Pieux Établissements ont leur fonctionnement propre et ne dépendent pas de l’ambassade de France près le Saint-Siège, même si des coopérations sont régulières. L’ambassadeur est le représentant de la France auprès du chef de l’Église. À ce titre, il participe aux grandes cérémonies, comme les funérailles papales, les canonisations, les créations de cardinaux français, et il témoigne de la vie religieuse de la France, par exemple en assistant, chaque 31 mai, à la messe de la Sainte-Pétronille³ célébrée dans la chapelle dédiée de la basilique Saint-Pierre. Son rôle est également de travailler avec la curie et de veiller à la bonne entente entre le Vatican et Paris ainsi que, lorsque les occasions se présentent, d’aider à la préparation des voyages du Saint-Père en France et des autorités françaises au Vatican.

Benoit XVI à l’Institut de France (Paris, 2008)

Renseignement et observation

Le 15 août 2016, François Hollande fit une visite éclair au Vatican, qui fut interprétée par les commentateurs politiques comme une tentative de rabibochage avec le pape dans l’optique des élections présidentielles à venir en 2017. La réalité était moins politicienne et plus diplomatique. Ayant rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar al-Assad, la France était privée de renseignements et d’informations sur le terrain syrien. Le Saint-Siège, au contraire, avait maintenu un ambassadeur, un nonce, non par proximité avec le régime syrien, mais pour disposer d’un relais en Syrie, notamment avec les communautés religieuses, les ONG et les paroisses catholiques, afin de disposer d’yeux capables de voir ce qui se passait et donc de faire remonter le renseignement au plus haut niveau de l’Église. Souhaitant remettre pied en Syrie et nécessitant pour cela d’avoir des informations fraîches et fiables sur le pays, le président français s’était rendu au Vatican pour renouer la coopération et permettre à la diplomatie française de retravailler avec les réseaux du Saint-Siège. C’était la démonstration du rôle crucial du poste romain, de sa capacité à être au centre du monde, d’avoir des yeux et des oreilles dans toutes les cultures et les continents pour savoir ce qui se passe et transmettre cette information au plus haut niveau.

Ce rôle à part et essentiel du poste romain fut expliqué par un ancien ambassadeur japonais en poste au Vatican, Kagefumi Ueno. Lui qui venait d’un pays à la culture si éloignée du christianisme pensait cette affectation sans intérêt. Loin de là, il constata qu’elle fut le poste qui lui donna le plus de travail et là où il fut le plus en ouverture sur le monde. Il résuma cette action dans une formule lapidaire : « En définitive, je suis convaincu que la communauté internationale dispose en dernier recours de deux autorités suprêmes. L’une, le Vatican, qui est la plus haute autorité morale (ou le soft power suprême), et l’autre, les États-Unis, qui est la plus haute autorité militaire (ou le hard power suprême). »

Disposer d’un ambassadeur près le Saint-Siège permet ainsi d’avoir un diplomate couvert par la neutralité du Saint-Siège, qui ne cherche pas à avancer des intérêts quelconques et qui peut ainsi rencontrer des dignitaires et des autorités de cultures diverses, parfois très éloignées de la culture chrétienne, voire des représentants de pays avec qui la France est en froid. La villa Bonaparte devient ainsi un tapis vert sur lequel il est possible d’échanger sereinement, loin des turbulences diplomatiques habituelles, et de pratiquer l’essence même du rôle de l’ambassadeur, c’est-à-dire discuter, échanger, comprendre. En somme, un poste non pas politique, mais éminemment géopolitique.

¹ En référence à Pauline Bonaparte, qui en fut propriétaire en 1803. Le bâtiment a été édifié en 1750. Il fut acheté par Jacques Maritain, au nom de la France, pour y établir l’ambassade.

² Saint-Louis-des-Français, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Nicolas-des-Lorrains, Saint-Claude-des-Bourguignons, la Trinité-des-Monts. Auxquelles s’ajoute Saint-Chrysogone du Trastevere, l’église des Corses.

³ Pétronille, martyre du ier siècle, est la patronne des rois de France. Elle demeure patronne de la France.

⁴ Kagefumi Ueno fut ambassadeur du Japon près le Saint-Siège de 2006 à 2010.

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Ircom. Rédacteur en chef de Conflits.

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