En douze années de pontificat, François a joué des symboles, a prononcé des paroles fortes, a marqué l’Église de son empreinte. Mais il a aussi provoqué des tensions et des lassitudes qui ont fini par l’isoler.
François avait le sens de la formule qui capte les défis du temps et qui exprime simplement les orages du monde. En voyage à Sarajevo (2015), il évoque ainsi la « guerre mondiale par morceaux » qui ravage les nations et les peuples. À Lampedusa (2013), face au drame des migrants, il évoque la Méditerranée comme étant un « cimetière » et tonne contre la « mondialisation de l’indifférence ».
Ses voyages ont apporté de la lumière dans un monde en guerre, comme celui réalisé en Irak, à Ur, sur les pas d’Abraham (2021) et à Bangui (2015), alors que la Centrafrique était déchirée par une de ces guerres ethniques qui ravage l’Afrique. Sur bien des points, François fut un prophète, qui sut se servir de son aura médiatique pour porter des sujets au niveau mondial.
La fausse nouveauté
Dès son élection, il fut décrit comme un novateur, nombreux furent les initiatives qui lui furent créditées alors que bien souvent il reprenait le chemin de ses prédécesseurs.
Sur l’écologie, Jean-Paul II et Benoît XVI s’étaient déjà exprimés. Si François y a consacré des encycliques et des textes, cela n’avait rien de nouveau.
Sur la lutte contre la pédo-criminalité, il reprit là aussi le travail ouvert par Benoît XVI, qui fut le premier à ouvrir un chemin de vérité et de sanctions à l’égard des criminels. Dans la réforme de la curie, le gouvernement de l’Église, si François a réorganisé les dicastères, là aussi Jean-Paul II et Benoît XVI avaient déjà contribué à réformer une institution gouvernementale qui est toujours en réforme.
Ce fut l’une des erreurs d’analyse assez courante de son pontificat que de lui attribuer de nombreuses nouveautés alors que, bien souvent il ne faisait que reprendre et approfondir. Avec son style et ses formules.
On a aussi beaucoup glosé sur le fait que François a changé son lieu d’habitation, quittant les palais apostoliques pour la maison Sainte-Marthe. Une maison certes plus modeste, en apparence, que les palais du Vatican, mais aussi beaucoup plus confortable et adaptée à la vie quotidienne. Il a par ailleurs fait réaliser des travaux assez conséquents pour aménager ce logement à son goût.
L’image médiatique fut donc souvent assez éloignée de la pratique du pontificat par François, une pratique qui fut marquée par l’autoritarisme et le goût du pouvoir.
Un péronisme pratique
François est resté un homme marqué par les années 1970 et la pensée politique du péronisme argentin. Le péronisme n’a pas de définition stricte tant la pratique du pouvoir de Juan Perón a varié au cours du temps. Officier argentin, président à plusieurs reprises (1946-1955 ; 1973-1974), il a développé un mouvement fondé sur le nationalisme, la démagogie, le populisme, l’autoritarisme. Le péronisme s’est poursuivi après Perón, jusqu’à être défait par Javier Milei lors de la présidentielle de 2023.
Jorge Mario Bergoglio a été façonné par cette praxis politique, qui fut celle de son enfance et de sa vie d’adulte, et son péronisme se retrouve tout au long de sa pratique du pouvoir. Attention aux pauvres, sensibilité sociale affirmée, passion pour les communautés populaires, volonté de passer par-dessus les corps constitués et les structures de gouvernement (notamment la curie) pour exercer directement le pouvoir. Un pouvoir qu’il a aimé et qu’il a exercé jusqu’au bout. Cet autoritarisme a été marqué par des sanctions brutales et sans préavis, par la nomination de personnes incompétentes à des postes clefs, afin de pouvoir les contrôler, par des procès sans respect des normes juridiques, dont celui du cardinal Becciu est le plus emblématique. Jugé sans que l’on puisse connaître les motifs de la plainte, le droit a été modifié au fur et à mesure de l’enquête et du procès afin pour pouvoir aboutir à sa condamnation. Le code canonique a été particulièrement mal traité au cours du pontificat, avec des réformes hasardeuses et bancales.
Les restrictions apportées à la forme extraordinaire du rite romain ont également été mal comprises, y compris en dehors du cercle des pratiquants de cette forme, en engendrant des blessures et des humiliations inutiles. Le prochain pape aura cette nécessité de refermer de nombreuses blessures issues des débats politiques et théologiques des années 1970 rouvertes par François.
Un exemple de cette gouvernance forte est le nombre de motu proprio signé par le pape. Le motu proprio, en français « de son propre mouvement », est un acte juridique, qui émane uniquement du pape, par lequel celui-ci gouverne l’Église, sans passer par le gouvernement. C’est un mode de gouvernement direct, par lequel un pape impose une décision. François en a signé 73 durant son pontificat, soit une moyenne de 6 par an. Par comparaison, Benoît XVI en a promulgué 13 et Jean-Paul II 32 (soit 1,2 par an).
Cet autoritarisme a fini par lasser et par détacher de François même ses plus fidèles soutiens. J’ai pu le constater lors de sa maladie, étant alors à Rome. L’indifférence des Romains était totale ; il a fallu que les cardinaux organisent officiellement la prière du chapelet place Saint-Pierre pour que des fidèles viennent. Lors de la maladie de Jean-Paul II et de Benoît XVI, s’est spontanément que les catholiques s’étaient rassemblés pour prier. Ce détachement était également visible dans le peu de monde présent lors des audiences publiques, avec moins de monde que sous Benoît XVI, et dans les échecs de librairie de ses livres.
Le péronisme qui se veut proche du peuple et populaire finit toujours, en Argentine comme à Rome, par s’éloigner du peuple et par s’en détacher.
L’une des grandes taches du prochain pape sera de recréer ce lien avec le peuple de Rome, notamment en s’installant dans les palais apostoliques afin de créer un lien direct entre lui et la Ville.
Parler au-delà de Rome
François a porté le message chrétien au-delà du monde catholique. Dans les mondes musulmans, son aura est grande. Il y a rencontré de nombreux chefs d’État et dignitaires religieux, il s’est rendu dans des pays variés, comme le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, l’Égypte, le Maroc. Pour des musulmans qui ont souvent des chefs religieux lointains et coupés du peuple, la proximité de François exerça une influence réelle.
De même en Asie, où les réactions officielles à son décès ont été nombreuses, notamment Modhi. Aucune réaction en revanche de la part de Xi Jinping, alors que le dossier chinois fut l’un des dossiers majeurs de François, qui tenta tout ce qui était en son possible pour opérer un rapprochement et une légitimation de l’Église en Chine. Ce sera là l’un des gros dossiers diplomatiques du prochain pape.
De ce pontificat resteront donc des images, des formules, un style, une proximité. Le pape qui sortira du prochain conclave permettra de savoir si l’héritage de François se poursuit ou si l’on passe à autre chose. Chaque pape est homme de son temps, de son substrat culturel, de sa génération et les défis des années 2020 ne sont pas ceux des années 2010.