2001-2021. Quel bilan pour le transport maritime ? Jean-Yves Bouffet

28 décembre 2021

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Cargo COSCO Wellington avec des conteneurs amarrés au port de Gwadar, au Pakistan, 13 novembre 2016. Photo : SIPA 00898357_000002
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2001-2021. Quel bilan pour le transport maritime ? Jean-Yves Bouffet

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Le conteneur est l’un des symboles de la mondialisation. Le trafic maritime organise près de 90% du commerce mondial et les ports sont les lieux de transit de celui-ci. Depuis 2001, mondialisation et commerce maritime n’ont cessé de croître, en dépit de la piraterie, des évolutions juridiques et des guerres. Retour sur 20 ans de transport maritime avec Jean-Yves Bouffet.

Quelles sont les grandes puissances mondiales du transport maritime sur la période 2001-2021 ?

Il faut évidemment savoir ce qu’on entend par puissance, mais le premier critère qui vient à l’esprit est la flotte contrôlée par les armateurs.

De ce point de vue, les grandes puissances historiques occidentales sont les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Il y a également la Grèce, la Norvège et le Danemark, dont l’industrie maritime est très importante au regard de leur puissance économique et démographique. Tous ces pays connaissent un déclin relatif, même s’ils conservent de sérieux atouts, et possèdent des champions qui continuent à dominer certains marchés.

Aux marges de l’Europe, l’industrie maritime de la Russie s’est fortement redressée, à l’image du reste de son économie. La Turquie a su également acquérir un certain poids, quoique sa flotte marchande ait une qualité assez disparate, comme celle de la Grèce.

Cependant, le fait marquant est bien sûr le fait que l’Asie devienne le centre du monde maritime, avec des pays comme le Japon, Taïwan, la Corée du Sud, Singapour, et bien sûr la Chine, qui domine le transport maritime sous beaucoup d’aspects. Par exemple, les classements des principales places portuaires du monde sont monopolisés par l’Empire du Milieu, avec Shanghaï, Ningbo et Shenzhen comme fers de lance.

C’est aussi en Asie qu’est fabriquée la majorité de la flotte marchande du monde, la Chine le Japon et la Corée se partageant la quasi-totalité du gâteau. Et c’est également sur ce continent que l’essentiel de la démolition navale se fait, mais cette fois en Inde, au Bangladesh et au Pakistan.

Les grandes routes du commerce mondial ont-elles évolué ? Des nouvelles routes ont-elles été ouvertes ?

La Chine étant devenue le centre du commerce maritime, les routes qui desservent ce pays sont logiquement devenues dominantes. Le trafic transatlantique, entre l’Europe et les États-Unis, a par exemple connu une marginalisation relative.

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Quant aux détroits et canaux stratégiques, ils n’ont pas beaucoup changé. Le canal de Panama a été agrandi pour pouvoir accueillir des navires de plus grande taille, ces travaux ayant duré 10 ans pour une mise en service en 2016. Le canal de Suez, quant à lui, a connu en 2015 un agrandissement destiné à accroître son débit, grâce à la création d’une seconde voie navigable permettant d’éviter le passage alterné des navires dans la section centrale.

La Chine a, quant à elle, la velléité de créer des passages maritimes qui seraient sous son contrôle. Cependant, elle ne s’est pas encore concrétisée, que ce soit pour le canal de Kra, possible alternative à Malacca, ou pour le canal du Nicaragua, possible alternative à celui de Panama.

En revanche, le développement des routes de l’Arctique reste à relativiser. La Russie y prête un intérêt certain, mais vise manifestement le développement économique de la Sibérie et de l’exploitation des ressources naturelles qui s’y trouvent, à l’exemple du gisement de gaz naturel de Yamal. Pour le trafic de transit, il reste le handicap d’une praticabilité aléatoire, ainsi que celui du faible développement des infrastructures maritimes sur les littoraux arctiques. Ainsi, lorsque les compagnies spécialisées dans le conteneur déclarent ne pas vouloir utiliser ces routes, c’est avant tout pour des raisons techniques et économiques.

Y a-t-il eu des innovations techniques et technologiques significatives dans le transport maritime ces vingt dernières années ?

Sans conteste, l’évolution la plus significative le développement du numérique et l’accélération des communications à tous les niveaux du transport maritime.

Cela concerne le navire lui-même : de la gestion de la machine jusqu’à la navigation, où certains équipements tendent à se généraliser à l’instar de l’ECDIS, système de cartographie numérique. Le développement des communications fait que le navire tend à être de moins en moins isolé de la terre. Bien sûr, la numérisation concerne également les compagnies à terre et les administrations.

Cette révolution engendre deux défis. Le premier est celui de l’interface homme-machine, car au fur et à mesure de l’apparition de nouveaux appareils on voit apparaître des accidents causés par une mauvaise compréhension entre l’homme et la machine. Le second est bien sûr celui de la cybersécurité, d’autant que des ports et des grandes compagnies maritimes ont déjà été touchés par des attaques. Jusqu’ici, il n’y a pas de cas répertorié de navire ayant subi un accident ou un arrêt prolongé à cause d’une cyberattaque, mais la question n’est pas de savoir si ça arrivera, mais plutôt quand.

Enfin, on voit poindre à l’horizon l’apparition de navires autonomes, même si ce concept reste pour l’instant à l’état de prototype.

Et d’un point de vue juridique, y-a-t-il eu des évolutions particulières ?

Le tournant des années 2000 a été marqué en Europe par les deux marées noires de l’Erika et du Prestige, survenues respectivement en 1999 et 2002. Il s’est ensuivi les fameux « paquets Erika » qui ont conduit au renforcement des règles de sécurité maritime et de leur contrôle. Ces évolutions sont cependant dans la lignée de celles qui avaient concerné les navires à passagers dans les années 1990, à la suite des naufrages dramatiques du Herald of Free Enterprise, de l’Estonia, et de l’incendie du Scandivian Star.

Les conditions de vie des marins ont également été prises en compte, avec la convention MLC 2006, qui fixe des standards sociaux minimums communs à l’ensemble de la flotte marchande mondiale, et permet de lutter contre le dumping en la matière.

Mais ce renforcement du cadre réglementaire n’empêche pas le triomphe des pavillons de complaisance, qui immatriculent la majorité de la flotte marchande mondiale. Toutefois ceux-ci ne ressemblent plus forcément à ceux d’il y a 20 ans. De pavillons destinés uniquement à faire baisser les coûts, on passe à des pavillons qui offrent la meilleure garantie de qualité au coût le plus raisonnable pour l’armateur.

Néanmoins, à côté des grands pavillons de complaisance qui ont pignon sur rue, comme les Bahamas, les îles Marshall ou Hong Kong, se sont développés des pavillons bas de gamme, qui continuent à accepter des navires hors d’âge à l’entretien insuffisant comme le Togo, les Comores ou la Moldavie. Mais ces pavillons ont des effectifs marginaux, et les navires qui y sont immatriculés font rarement escale dans les pays développés. On peut enfin noter que depuis 2016, le phénomène des registres frauduleux, c’est-à-dire délivrés sans l’accord de l’État concerné, s’est développé. Il constitue un vrai problème, d’autant que ces pavillons immatriculent chacun peu de navires, et échappent ainsi au classement sur liste noire.

La piraterie est-elle un phénomène important pendant ces deux décennies ?

Oui, d’autant que sa résurrection est récente, elle date des années 1990 et de la disparition de l’ordre mondial associé à la Guerre froide. Elle a connu trois grandes phases, correspondant chacune à la prépondérance d’une zone.

La première entre la fin des années 1990 et le milieu des années 2000 est celle de la piraterie du détroit de Malacca. Elle prend essentiellement forme d’un brigandage maritime, mais ne menace pas vraiment le commerce maritime, même si elle constitue bien sûr une gêne.

La deuxième phase entre le milieu des années 2000 et le milieu des années 2010 est celle de la piraterie du golfe d’Aden. Elle est plus problématique, dans la mesure où les navires et les marins sont retenus en otage.

Et la troisième phase, qui dure depuis le milieu des années 2010 est celle du golfe de Guinée. Le mode opératoire le plus saillant est également la prise d’otages, mais il n’y a pas de cas répertorié de détention longue, comme pour le golfe d’Aden.

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Dans le cas de l’Asie du Sud, la piraterie a régressé grâce à l’action des États riverains, mais aussi des grandes puissances comme les États-Unis. Elle a cependant connu des résurgences, mais ne constitue toujours une menace existentielle pour le commerce maritime. Dans le cas somalien, la piraterie a été réduite à néant grâce à l’action de la communauté internationale, ainsi qu’à celle des armateurs qui ont payé des gardes pour protéger leurs navires. Par contre, pour le golfe de Guinée, on ne voit pas de solution poindre à l’horizon, les États riverains semblant peinés à se mettre d’accord, sans pour autant accepter que les navires embarquent des gardes armés, ou que les grandes puissances maritimes s’ingèrent de trop dans leur pré carré.

Quels sont la place et le potentiel de la France au sein du transport maritime mondial ?

La France conserve quels atouts significatifs en matière de transport maritime, malgré le déclin qu’a connu la flotte sous pavillon français.

Elle a bien sur atouts portuaires, notamment avec Marseille, la vallée de Seine et Dunkerque. Le principal talon d’Achille des ports français comparés à leurs homologues d’Europe du Nord, c’est la desserte terrestre. Sur le plan routier, elle est plutôt complète, et c’est d’ailleurs ce mode qui se taille la part du lion. Par contre, sur le plan ferroviaire, elle est calamiteuse à cause d’une SNCF incapable d’organiser le développement de son outil, et qui le discrédite aux yeux des gouvernants, alors qu’il est pourtant vital. Sur le plan fluvial, le canal Seine-Nord favorisera Dunkerque, mais aussi les ports belges et hollandais, qui voient déjà transiter une part importante des marchandises françaises. Le plus grand regret que l’on peut avoir en la matière est l’abandon en 1997 du canal Rhin-Rhône, qui aurait fait de Marseille le seul et unique port de Méditerranée relié à l’Allemagne par la voie fluviale.

La France a aussi la chance d’avoir des champions du transport maritime, à commencer par la CMA-CGM, qui se place au troisième rang mondial du conteneur. Cette place est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un marché très disputé, où beaucoup d’acteurs ont disparu, souvent rachetée par un concurrent. On peut également signaler Dreyfus armateurs, spécialisés dans le transport de vracs solides, mais aussi dans le câble sous-marin, qui est une activité hautement stratégique.

Dans le domaine du passager, la situation est contrastée. Il y a eu malheureusement des échecs, comme Seafrance et la SNCM, qui ont été victimes d’une gestion calamiteuse et d’une emprise de syndicats aux pratiques douteuses. Mais il y a aussi des réussites, comme la Britanny Ferries, qui s’est imposée sur l’ouest de la Manche. À la croisière, il faut signaler la compagnie du Ponant, spécialisée dans les croisières d’expédition, qui porte loin et haut les couleurs de la France.

En matière de construction navale, le dernier chantier qui produit des navires de grande taille en France est celui de Saint-Nazaire, les ACH (Ateliers et Chantiers du Havre) ayant fermé en 1999. Il a un carnet de commandes bien rempli, mais son hyperspécialisation dans les navires de croisière le rend fragile, d’autant que la concurrence chinoise commence à faire son apparition sur ce créneau.

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Jean-Yves Bouffet

Jean-Yves Bouffet

Officier de la marine marchande.
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