Jimmy Lai est une figure majeure de la presse et du mouvement démocratique à Hong Kong. Patron de presse, entrepreneur et militant prodémocratie, il est le fondateur du journal Apple Daily, longtemps le quotidien le plus lu et le plus influent de Hong Kong. Créé en 1995, Apple Daily s’est distingué non seulement par son succès populaire, mais surtout par sa ligne éditoriale libre, défendant la liberté d’expression, la démocratie et l’État de droit.
Arrêté en 2020, Jimmy Lai est détenu depuis près de cinq ans. Son procès, extrêmement long et emblématique, vient seulement d’aboutir à un verdict. Il est poursuivi notamment pour « collusion avec des forces étrangères », une infraction issue de la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin à Hong Kong. Au-delà des accusations juridiques, Jimmy Lai est aussi incarcéré pour ce qu’il représente : un symbole de la liberté de la presse et de la résistance démocratique face à l’autoritarisme chinois.
John Mackenzie s’entretient avec Sébastien Lai, fils de Jimmy Lai, qui revient sur le parcours de son père, la situation politique à Hong Kong, les raisons profondes de son emprisonnement et les espoirs de mobilisation internationale.
Pour commencer, pouvez-vous présenter Jimmy Lai aux lecteurs français qui ne le connaissent pas ? Qui est-il et que représente-t-il à Hong Kong ?
Mon père est avant tout un patron de presse. Il est le fondateur d’Apple Daily, qui a été pendant longtemps le plus grand journal de Hong Kong. Il l’a créé en 1995, après avoir fondé auparavant Next Magazine.
Mais au-delà de la taille du journal, ce qui comptait vraiment, c’était sa ligne éditoriale : Apple Daily était ouvertement prodémocratie. Dans un système qui devenait de plus en plus autoritaire, le journal ne craignait pas de critiquer le gouvernement et les personnes au pouvoir.
Ce n’était pas un projet motivé par l’intérêt personnel de mon père. Il considérait que ce journal existait pour le bien de Hong Kong. Après la rétrocession de 1997, le principe était « Un pays, deux systèmes » : Hong Kong devait conserver un système politique distinct de celui de la Chine continentale. Mais, au fil du temps, on a vu ce système s’éroder pour aller vers un modèle de plus en plus centralisé.
Justement, comment fonctionne aujourd’hui la vie politique à Hong Kong ? Y a-t-il encore des élections ?
Le dirigeant de Hong Kong porte le titre de Chief Executive, ce qui ressemble davantage au directeur général d’une entreprise qu’à un maire élu démocratiquement.
En théorie, il y a un système électoral. En pratique, ce sont environ 800 personnes qui élisent le chef de l’exécutif. Ces électeurs sont eux-mêmes choisis au sein d’un cercle très restreint, largement favorable à Pékin. On parle de démocratie, mais c’est une démocratie extrêmement limitée.
À l’origine, le système hérité de la période britannique garantissait l’État de droit, une justice indépendante, un système libéral, la liberté d’expression et la liberté de la presse. Hong Kong n’était pas une démocratie au sens strict, mais les droits fondamentaux y étaient largement protégés.
Et Apple Daily s’inscrivait pleinement dans cette tradition ?
Absolument. Le journal critiquait le gouvernement quand il le fallait, mais aussi les élites, les puissants, y compris des membres des triades. Cela a valu à mon père de nombreuses menaces. Notre maison a été attaquée à plusieurs reprises, il était suivi en permanence.
Je me souviens d’un épisode : quelqu’un avait tué un chien, l’avait dépeccé et l’avait accroché sur notre porte. C’était le climat dans lequel vivait le fondateur d’Apple Daily.
En 2019, Hong Kong a été secoué par de grandes manifestations. Votre père y a joué un rôle important ?
Oui. Mon père milite pour la démocratie depuis plus de trente ans. Le jugement rendu contre lui fait près de 800 pages, justement parce que les autorités ont compilé toute une vie d’engagement.
Les accusations principales portent sur une supposée collusion avec des forces étrangères, notamment les États-Unis, et sur des appels présumés au renversement du gouvernement.
Mais si l’on regarde les faits, la seule chose qu’ils ont pu identifier comme « bénéfice » de cette prétendue collusion, c’est… la démocratie à Hong Kong. Il n’y a eu aucun enrichissement personnel. Tout était public : ses rencontres avec des responsables étrangers visaient uniquement à obtenir un soutien moral pour la cause démocratique.
Mon père a toujours été un homme de paix. Même en privé, il disait aux étudiants qu’il ne fallait pas se battre avec la police. Il répétait que la force du mouvement était morale, pas violente.
La foi joue aussi un rôle important dans son engagement.
Oui, mon père est catholique, et sa foi l’aide énormément. En 2019, les communautés chrétiennes – catholiques et protestantes – ont joué un rôle très important dans les manifestations. Il y avait des prières, des chants religieux.
La religion donne un compas moral, une idée claire de ce qui est juste ou injuste. Mon père a d’ailleurs été condamné à treize mois de prison simplement pour avoir allumé une bougie et prié lors d’une veillée en mémoire des victimes du massacre de Tiananmen. Pour n’importe quel croyant, allumer une bougie et prier est un droit fondamental. Mais pour le Parti communiste chinois, Tiananmen reste un sujet totalement tabou.
Aujourd’hui, même à Hong Kong, il est impossible de commémorer publiquement Tiananmen. La police intervient immédiatement. C’est la preuve que le principe « un pays, deux systèmes » n’existe plus.
Cette lutte pour la démocratie s’enracine aussi dans l’histoire personnelle de votre père.
Oui. Mon père est arrivé à Hong Kong à l’âge de 12 ans. Il venait de Chine continentale. Son père, mon grand-père, était un homme d’affaires prospère. Lorsque les communistes sont arrivés au pouvoir, ils lui ont tout confisqué. Ma grand-mère, parce qu’elle savait lire, a été envoyée en « rééducation ». Mon père s’est retrouvé seul avec ses sœurs et a dû survivre dans la rue.
Un jour, alors qu’il travaillait près d’une gare, un homme bien habillé lui a donné un morceau de chocolat. C’était la première fois de sa vie qu’il en mangeait. L’homme lui a dit que cela venait de Hong Kong. Pour mon père, Hong Kong est devenu un paradis à atteindre.
Arrivé à Hong Kong à l’âge de douze ans, il a travaillé dès le premier jour dans une usine. Il a appris l’anglais, monté ses propres affaires, puis fondé une entreprise de vêtements, avant de se lancer dans la presse.
Aujourd’hui, quelles sont les suites possibles du procès ?
La peine doit être prononcée prochainement. Il risque la prison à vie. Même une peine de dix ou quinze ans serait, à son âge – il a 78 ans et une santé fragile – pratiquement une condamnation à mort.
Il y a des appels internationaux, notamment des États-Unis, du Royaume-Uni, et maintenant d’autres pays. Personne n’a intérêt à ce qu’il meure en prison : ni la Chine, ni Hong Kong, ni les démocraties occidentales.
La France a un rôle important à jouer. Il existe un lien fort entre mon père et la France : il est citoyen d’honneur de Lyon, décoré du Mérite agricole, et surtout profondément attaché aux valeurs françaises. Il a tout sacrifié pour les droits humains et la liberté de la presse. La France, pays des droits de l’homme, ne peut pas rester silencieuse sur un cas aussi clair.
Ce qui tient mon père debout en prison, c’est sa foi et la conviction d’avoir fait ce qui était juste. Lors de son procès, alors que les juges le harcelaient, il a simplement dit :
« À la fin des temps, la vérité apparaîtra dans le royaume de Dieu. »
C’est un homme qui aurait pu vivre confortablement, mais qui a choisi une vie qui a du sens. J’espère que la France et les autres démocraties feront entendre leur voix. Ce serait tragique de ne pas le faire.










