KK Park, le cœur sombre de la cyberfraude en Asie du Sud-Est

20 octobre 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Birmanie KK Park (c) AFP

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KK Park, le cœur sombre de la cyberfraude en Asie du Sud-Est

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À la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande, dans la région de Myawaddy, se dresse un immense complexe nommé KK Park. Derrière son apparence de parc industriel moderne, avec ses immeubles neufs, ses hôtels et ses infrastructures connectées, se cache une réalité inquiétante : celle d’un centre de cyberfraude à grande échelle, devenu l’un des symboles du crime numérique en Asie du Sud-Est.

Construit entre 2019 et 2021, KK Park s’étend sur plusieurs hectares le long de la rivière Moei, dans une zone où le pouvoir de l’État birman est presque inexistant. Officiellement, il s’agissait d’un projet d’investissement transfrontalier, censé attirer des capitaux et des emplois. En réalité, le site abrite des milliers de travailleurs venus de toute l’Asie, piégés dans un système d’escroquerie organisé à l’échelle industrielle.

Escroquerie industrielle

Ces travailleurs, souvent victimes de trafic humain, sont recrutés à l’étranger par le biais de fausses offres d’emploi, puis transférés dans le complexe où leurs passeports sont confisqués. Sur place, ils sont forcés de participer à des arnaques en ligne : escroqueries sentimentales, faux investissements en cryptomonnaies, ou démarchages frauduleux. Les méthodes sont bien rodées : les fraudeurs s’appuient sur des scripts précis, manipulent leurs victimes sur les réseaux sociaux, et utilisent des plateformes de transfert d’argent pour dissimuler les fonds volés. Ceux qui refusent ou échouent à atteindre leurs quotas subissent des violences, des privations ou des menaces physiques.

Birmanie KK Park (c) AFP

Le phénomène s’inscrit dans un contexte plus large. Depuis le coup d’État militaire de 2021, la Birmanie est plongée dans le chaos politique, et de vastes zones frontalières échappent à tout contrôle central. Ces territoires, dominés par des milices ethniques ou des groupes armés locaux, sont devenus des refuges idéaux pour les réseaux criminels transnationaux, souvent liés à des organisations chinoises. KK Park en est l’exemple le plus emblématique : un État dans l’État, financé par la fraude et protégé par la corruption.

Des centres tenus par les rébellions contre la junte

Les revenus générés par ces escroqueries se chiffrent en milliards de dollars. Selon des enquêtes menées par Reuters et France 24, les arnaques organisées depuis la Birmanie et le Cambodge auraient touché des victimes sur tous les continents. Les profits sont blanchis à travers des cryptomonnaies, des jeux d’argent en ligne ou des sociétés-écrans. Pour contourner les coupures de réseau imposées par les autorités, certains sites utiliseraient même des connexions Starlink, le service Internet satellitaire d’Elon Musk.

Les conséquences humaines sont tragiques. Des centaines de personnes venues d’Inde, de Malaisie, du Népal, d’Afrique ou d’Amérique latine sont toujours piégées à KK Park et dans d’autres complexes similaires. Les témoignages parlent de conditions de détention extrêmes, d’isolement et de violences physiques. Ces « usines à arnaques » combinent ainsi exploitation humaine et criminalité financière, dans une zone où ni la police ni la justice ne peuvent réellement intervenir.

Réactions mondiales

Face à cette situation, les États-Unis, le Royaume-Uni et plusieurs pays asiatiques ont annoncé des sanctions ciblées contre les réseaux de cyberfraude opérant depuis la Birmanie. La Chine, dont de nombreux ressortissants figurent parmi les victimes, a également fait pression sur Naypyidaw et sur les autorités locales pour démanteler ces camps. Mais les opérations menées sur le terrain restent limitées, et chaque fermeture entraîne souvent la réouverture d’un nouveau site un peu plus loin.

KK Park illustre aujourd’hui un phénomène mondial : la transformation du cybercrime en industrie transfrontalière, mêlant trafic humain, blanchiment d’argent et zones grises géopolitiques. Tant que ces territoires resteront hors de tout contrôle, ces centres continueront de prospérer, alimentant un système où les victimes se trouvent des deux côtés de l’écran : celles qui se font escroquer en ligne, et celles, invisibles, qui sont réduites à l’esclavage numérique pour faire fonctionner la machine.

Le 20 octobre, l’armée birmane a annoncé avoir mené une intervention pour saisir les récepteurs Starlink qui font fonctionner le KK Park.

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À propos de l’auteur
Martin Capistran

Martin Capistran

Avocat, docteur en droit.

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