La Chine en 100 questions, La puissance ou les failles

27 juillet 2021

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La Chine en 100 questions, La puissance ou les failles

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Que représente la puissance chinoise ? Comment l’évaluer au plus près de la réalité ? Depuis des siècles, la Chine fascine par sa masse, son poids démographique, son apparente altérité qui brouille les analyses. Cette fascination a fait de la Chine un objet de fantasmes qui concentre aussi les peurs et les attentes exagérées de nos discours politiques. Longtemps, elle a peu pesé sur la scène internationale et sa méconnaissance ne portait pas à conséquence. Ce n’est plus vrai, et comprendre cette puissance dans toutes ses dimensions est devenu vital pour mieux saisir les évolutions du monde contemporain. Telles sont quelques-unes des questions auxquelles Valérie Niquet répond avec habileté et érudition, sans aucune concession.

En 2020, la pandémie de Covid-19 qui s’est répandue dans le monde depuis Wuhan, causant 3,4 millions de morts à la date de la fin mai et plusieurs centaines de millions d’euros de perte économique, est venue nous le rappeler. La Chine est aujourd’hui un géant globalisé, mais un géant dont les dysfonctionnements internes menacent la planète. Pendant des décennies, celles de la croissance à deux chiffres, l’image d’une Chine émergeant comme le nouveau centre du monde dans un retour « naturel » à la suprématie de l’empire du Milieu s’est imposé, faisant oublier la nature d’un système politique dont les fondamentaux léninistes n’ont pas changé. Le gigantisme des mégalopoles, la modernité apparente, l’indéniable dynamisme économique ont nourri cette fascination . Dans le même temps, les succès sont réels, 500 millions de personnes sont sorties de la grande pauvreté depuis 1980, même si, selon une étude récente, ces progrès sont surtout un rattrapage, réparant les conséquences des tragédies maoïstes qui ont plombé la croissance et causé des dizaines de millions de morts de 1949 à 1979. Formidable revanche sur l’histoire, la Chine est aussi la deuxième puissance économique mondiale, la première puissance exportatrice, le premier importateur de pétrole et de matières premières. Le budget de ses forces armées, en progression constante même en période de pandémie, la place au deuxième rang derrière les États-Unis, autour de 230 milliards de dollars. Son marché, ses échanges, mais aussi les priorités définies par ses dirigeants, ses choix stratégiques et ses limites pèsent sur l’avenir du monde. Pourtant, le ralentissement significatif de la croissance économique, que l’on constate depuis 2015, a entraîné un brutal retour de balancier, et pour certains l’or du miracle économique chinois se transforme en plomb, un jugement par trop abrupt au vu de la reprise chinoise (+ 6,8% au dernier trimestre 2020). De 2011 à 2013, la Chine a produit et utilisé autant de ciment que les États-Unis pendant toute la durée du XXe siècle .Elle a été la seule des grandes économies à connaître une croissance positive, légèrement supérieure à 2 % en 2020. Mais ces chiffres, toujours sujets à caution, sont trompeurs. Pour le pouvoir chinois, il était essentiel que le pays s’en sorte mieux que les démocraties occidentales pour faire oublier les responsabilités initiales et le coût humain de la pandémie. Mais les recettes – investissements massifs et exportations – surfant sur les besoins nés de la Covid-19 dans le reste du monde, sont éculées et la croissance intérieure n’a toujours pas pris le relais. En effet, la Chine souffre de nombreuses faiblesses : faillite des valeurs morales, corruption, contrôle politique renforcé, fatalisme, qui vont bien au-delà des simples enjeux économiques. Si la gestion de la crise du Covid-19, avec un nombre de morts limité, au prix d’une mise sous cloche de l’ensemble du pays et de mesures de contrôle draconiennes, suscite une forme d’adhésion, la volonté initiale des autorités de masquer la vérité, révélatrice des dysfonctionnements du système politique, est jugée avec sévérité. Les Chinois sont conscients de ces limites, y compris au sein de l’appareil communiste. Mais avec Xi Jinping, la mise en œuvre de réformes indispensables est paralysée, malgré le pragmatisme dont le régime a longtemps su faire preuve. À nouveau, c’est l’idéologie qui l’emporte pour éviter toute évolution aboutissant à un affaiblissement de la dictature du Parti communiste. Au niveau local, le pouvoir fait face à une résistance molle de la part de fonctionnaires qui ont perdu beaucoup de leur motivation compte tenu de la lutte contre la corruption. Plus grave, pour échapper aux condamnations, la volonté de dissimulation des éléments négatifs, comme l’émergence d’une épidémie, s’est accrue. Au niveau central, la priorité demeure la survie du système de Parti unique et non sa transformation graduelle en un système plus ouvert. Les objectifs de réforme et de développement sont subordonnés à cette exigence qui tient lieu de stratégie à long terme. Pour les dirigeants chinois, le contre-exemple de l’effondrement de l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev demeure présent dans les esprits

La République populaire de Chine (RPC) est confrontée à des défis considérables. Ne pas réformer, c’est prendre le risque d’une aggravation des blocages dont souffre le pays. À l’inverse, réformer, c’est prendre le risque de mesures qui touchent au cœur du fonctionnement du régime. En la matière, le président Xi Jinping, comme un nouveau Léonid Brejnev, s’est prononcé avec force : les réformes sont un danger trop grave et la priorité est au retour à la toute-puissance totalitaire du Parti communiste. La période de rattrapage inaugurée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, fondée sur un grand pragmatisme, qui a apporté une immense bouffée d’air et de dynamisme dans une société ne demandant qu’à s’enrichir, est désormais terminée et les défis s’accumulent. L’un des premiers discours du président Xi Jinping devant les instances du Parti en 2012 a été de dénoncer ceux qui, en URSS, n’ont pas eu le courage et la force de sauver le régime. La croissance démographique, après plus de trente années d’une politique de l’enfant unique dont personne ne prévoyait les effets délétères, ralentit fortement en dépit de son abandon. Pékin ne bénéficiera bientôt plus de ce formidable atout d’une main-d’œuvre jeune, bon marché et apparemment inépuisable. L’efficacité des investissements et du crédit – qui continuent d’augmenter massivement – a été divisée par deux depuis 2007, signe que le modèle économique patine . Désormais, les enjeux sont plus complexes, les effets négatifs du laisser-faire et de l’absence de transparence du système légal se font ressentir. Si l’on prend en compte les chiffres de la richesse nationale par habitant, la Chine se situe encore derrière la Russie, le Venezuela ou la Roumanie, et ses besoins de croissance demeurent considérables pour rééquilibrer les graves inégalités sociales qui pèsent sur la consommation. Si les attentes de la population sont énormes, les rêves d’enrichissement sont plus difficiles à assouvir pour les nouvelles générations, qui n’ont pas connu les privations du passé. Dans toutes les couches de la société, bien que l’immigration joue le rôle d’une soupape de sécurité, les frustrations s’accumulent, même si elles ne peuvent s’exprimer librement, car soumises à une censure technologique de plus en plus sévère.

Nommé à la tête du Parti en 2012 et président de la République en 2013, Xi Jinping a déçu tous les espoirs de réformes économiques et politiques. Le pouvoir choisit la voie de la concentration de l’autorité, de la répression et d’un nationalisme altérant considérablement l’image de la Chine dans sa région . Pour l’Europe, c’est désormais un « rival systémique. La crise du Covid-19, avec le choix d’une diplomatie agressive du « loup combattant » ou « loup guerrier », a renforcé cette tendance et le pourcentage de perception négative de la puissance chinoise dans le monde dépasse aujourd’hui les 70 %. Pour assurer la survie du régime, Xi Jinping s’appuie sur un rêve de grandeur destiné à souder la nation derrière le Parti et son chef, et remet en cause le principe de « modestie » qui avait été celui des dirigeants chinois depuis Deng Xiaoping . Pour le dirigeant chinois, le monde a connu des bouleversements comme « jamais depuis un siècle », et ces bouleversements sont aussi une opportunité pour imposer les ambitions chinoises. Si la Chine n’a sans doute pas comme objectif de « dominer le monde », elle veut avoir les moyens d’affaiblir et d’exclure le grand rival américain de sa zone1. Xi Jinping, né en 1953, a été secrétaire général et président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois, ainsi que président de la République populaire de Chine (RPC).. Deng Xiaoping (1904-1997), secrétaire général du Parti communiste chinois de 1956 à 1967, devint numéro un de la RPC de 1978 à 1992. . Cet objectif, au service de la survie du régime, détermine l’ensemble des choix stratégiques de Pékin. Ce rêve de retour vers le passé, époque de grandeur interrompue par l’irruption des puissances occidentales au XIXe siècle, engendre des tensions dans une région qui s’est transformée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La crainte est de voir la Chine se tourner vers Taïwan, comme ultime source de légitimité, passant du statut de « partenaire responsable » à celui de perturbateur de l’ordre international, qu’il soit économique ou stratégique.

Les difficultés que le système chinois connaît en dépit des apparences de la puissance sont-elles le signe d’un déclin à terme inéluctable sans transformation profonde ? Le régime pourra-t-il s’extraire de la tyrannie du court terme, qui exige une forte croissance à n’importe quel prix pour préserver la légitimité du système ? Le président Xi Jinping a promis de faire de la Chine une puissance « modérément développée » en 2021, centième anniversaire de la création du Parti communiste chinois. Certes, le revenu moyen a progressé, mais les inégalités demeurent immenses et il n’est pas certain que la Chine échappe au piège du middle income trap. Le choix du repli autoritaire et de l’exaltation nationaliste autour du rêve chinois peuvent-ils encore évoluer sans catastrophe majeure vers une attitude plus favorable à l’intégration de la Chine au système international ? Les réponses apportées par Pékin auront des répercussions sur l’ensemble du système mondial. De l’histoire, qui fonde la vision contemporaine et le discours de retour à la prééminence du pouvoir chinois, à la dimension culturelle et idéologique, des enjeux économiques et politiques aux conséquences sur le système international des évolutions du système, les 100 questions qui rythment cet essai n’ont pas l’ambition d’être exhaustives. Elles ont pour objectif d’éclairer son fonctionnement et d’analyser les idées reçues qui brouillent l’analyse d’une puissance ayant trop longtemps fait l’objet d’une fascination sans recul. La Chine a certes des atouts, le régime a fait dans le passé la preuve de sa capacité à se réformer, mais les blocages à surmonter sont considérables. C’est toutefois essentiel, sous peine de rester, pour le système international, non plus un moteur de croissance et une source d’opportunités, mais un problème majeur.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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