<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La diffusion du terrorisme et des violences en Afrique de l’Ouest : de Serval à Barkhane

7 septembre 2023

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : 21 avril 2019. Mali, Gossi, depart a Gossi, dans un helicoptere anglais, le chinook, qui collabore avec l'operation militaire Barkhane mis en place par la France au Sahel suite a operation Serval. A travers un hublot sans fenÃ"tre. Arrivee a Gossi, au nord du Mali, dans la region de Tombouctou.//GEAILAURENCE_1730.7277/1906031652/Credit:Laurence Geai/SIPA/1906031702
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La diffusion du terrorisme et des violences en Afrique de l’Ouest : de Serval à Barkhane

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L’expansion de ce que l’on désigne trop souvent comme « insécurité » en Afrique de l’Ouest est un fait amplement reconnu. Dans ses grandes lignes, il s’agit d’une (relativement) lente diffusion nord-sud d’actes criminels divers et d’actions attribuables à des mouvances djihadistes assez hétérogènes. Pour contribuer à la compréhension de cette réalité complexe, il est intéressant d’en fournir une représentation cartographique qui, malgré les limites inhérentes aux bases de données utilisées, permettent de bien visualiser les dynamiques spatiales en cause.

La carte qui sous-tend ici notre propos est fondée sur deux sources complémentaires, mais non équivalentes. Tout d’abord, et dans la lignée de nos travaux antérieurs, on a utilisé la Global Terrorism Database, qui ne couvre actuellement pas les cas postérieurs à 20201. Pour les deux années suivantes, on a recouru à la publication annuelle d’Edward Mickolus, Terrorism Events Worldwide 2021 et 20222 en extrayant seulement les incidents localisés dans les trois pays côtiers (Côte d’Ivoire, Bénin et Togo) où se manifeste la dynamique spatiale qui nous intéresse ; le Ghana n’étant pas (pour l’instant) affecté par le terrorisme. C’est dire que sur la même carte figurent des données dont la temporalité et la couverture spatiale sont différentes, ce que nous avons exprimé par un symbolisme correspondant. 

Enfin, il nous a semblé également pertinent de périodiser schématiquement les données en fonction des deux opérations internationales à base française qui ont mené la lutte antiterroriste dans la région. L’opération Serval d’abord (en arrondissant, 2013-2015) et l’opération Barkhane (2016-2022) ensuite. Le choix de prolonger l’opération Serval (qui s’est terminée en août 2014) dans notre périodisation répond au souhait de pouvoir en évaluer les effets durant les mois de mise en conditions opérationnelles de l’opération Barkhane qui lui a succédé. 

Glissement du barycentre

Cette carte permet de consolider deux hypothèses robustes. D’abord, le glissement vers le sud-ouest du barycentre (ou centre de gravité) des attaques entre les deux périodes traduit une dynamique que les attaques ultérieures dans les pays côtiers tendent clairement à confirmer. On a là très probablement affaire à un effet de diffusion partiellement induit par l’opération Serval centrée sur le Mali. Dès lors, la pression djihadiste se déplace progressivement vers le Burkina Faso, dont le dispositif militaire est, par ailleurs, l’un des plus faibles de la région3. Ce constat est renforcé par l’examen de l’histogramme (fondé sur la GTD) en haut de l’image. On y voit d’une part que les successives opérations antiterroristes n’ont pas réduit les attaques au Mali et, d’autre part, que la violence qui apparaît vers 2016 au Burkina prend rapidement une ampleur considérable, jusqu’à dépasser en 2019 celle répertoriée au Mali. 

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Cette vision d’ensemble, qui peut donner l’impression d’une dynamique unique concernant un djihadisme mettant en œuvre une géostratégie cohérente, doit être nuancée toutefois par l’observation des réalités du terrain à grande et moyenne échelle4 . En effet, en synergie avec la multiplicité des acteurs armés qui recourent (parfois) au terrorisme, dont le clivage Al-Qaïda/État islamique est le plus documenté, ce à quoi on assiste le plus souvent est une « djihadisation » d’innombrables conflits locaux à base essentiellement ethnique, dont les enjeux portent principalement sur l’accès à la terre, aux orpaillages et aux pâturages, quand il ne s’agit pas de l’insertion dans des circuits permettant divers trafics plus ou moins criminels… Ces antagonismes souvent anciens, en contexte d’accroissement démographique suicidaire, ne sont pas susceptibles de recevoir une solution à dominante militaire et expliquent en partie le soutien, au moins passif, des populations envers les djihadistes qui assurent une (relative) sécurité et règlent de manière expéditive par la charia des différends que les systèmes judiciaires étatiques ont été incapables de résoudre. 

Mais ces réalités locales doivent, bien entendu, être analysées aussi en fonction des stratégies des acteurs transnationaux. Par exemple, des travaux récents montrent les réticences initiales d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et de la direction centrale d’Al-Qaïda à s’engager dans des combats directs contre les États sahéliens, et en particulier le Mali5 . Sachant que cette entité fut l’un des acteurs principaux de la première période (opération Serval) identifiée dans la carte, ces informations permettent de mieux comprendre une partie du processus initial d’internationalisation des dynamiques insurrectionnelles sahéliennes.

Terrorisme et parcs naturels

Le deuxième apport de cette carte consiste dans la confirmation de la relation entre les actes de nature terroriste et/ou insurrectionnelle et les parcs et réserves naturelles. Nous avons déjà mis ce fait en lumière dans des travaux antérieurs6, et le retrouvons maintenant dans les cas de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Togo au cours des deux dernières années. Des recherches comparatives devraient être faites sur les conditions (surtout tactiques) de cette association, où les parcs naturels jouent divers rôles, notamment ceux de sanctuaires temporaires, de bases arrière et de sources d’aliments et d’argent via le braconnage. On améliorerait ainsi la connaissance des dynamiques spatiales des djihadismes en Afrique de l’Ouest, en complétant la réflexion déjà engagée sur la relation orpaillage/terrorisme dans la région que nous avions aussi mise en évidence antérieurement et qui a donné lieu à quelques études prometteuses.7

En l’état, cette carte permet donc d’apprécier l’évolution récente de la diffusion des violences, notamment terroristes, dans cette partie de l’Afrique. Le déplacement des barycentres et les tendances par pays qui figurent dans l’histogramme permettent raisonnablement d’entrevoir quelques scénarios pour l’avenir à court terme. Cependant, la fin de l’opération Barkhane en novembre 2022 et la présence croissante des effectifs du groupe Wagner dans la région débouchent sur de nouvelles sources d’incertitude.

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1 Pour une rapide présentation de la GTD et quelques exemples de son exploitation, on peut consulter : Hervé Théry ; Daniel Dory, « L’étude géographique du terrorisme : nouveaux apports cartographiques », Sécurité Globale, no 30, 2022, p. 21-29.

2 Edward Mickolus, Terrorist Events Worldwide 2021 et 2022, Wandering Woods Publishers, s.l., 2022 et 2023. Pour un aperçu sur la nature et l’utilité de cette source, voir : Daniel Dory, « Edward Mickolus. Une source importante pour la recherche sur le terrorisme » Conflits, 20 novembre 2021, (en ligne).

3 Voir, par exemple : Laurent Touchard, « G5 Sahel. L’état des matériels », DSI, no 153, 2021, p. 48-55.

4 On trouvera d’utiles éléments additionnels de contextualisation de la problématique sahélienne dans le no 149, 2022 de L’Afrique Réelle éditée par Bernard Lugan.

5 Vidar B. Skretting, « Al-Qaida in the Islamic Maghrib’s Expansion in the Sahara : New Insights from Primary Sources », Studies in Conflict & Terrorism, 2020, (preprint disponible en ligne).

6 Notamment : Hervé Théry ; Daniel Dory, « Solhan : cartographier le terrorisme et la dynamique territoriale d’une insurrection », Mappemonde, no 131, 2021, (en ligne).

7 Par exemple : Catherine Van Offelen, « L’orpaillage au Sahel : un vecteur de l’expansion du terrorisme ? », Sécurité Globale, N° 30, 2022, p. 7-20.

 

À propos de l’auteur
Daniel Dory

Daniel Dory

Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Membre du Comité Scientifique de Conflits.
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