La dissolution des associations en lien avec l’islamisme radical : une lutte contre le double discours

12 décembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Plusieurs milliers de personnes participent à la marche contre l'islamophobie de la Gare du Nord et de la Place de la Nation, à Paris, le 10 novembre 2019 (c) Sipa 00931710_000030
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La dissolution des associations en lien avec l’islamisme radical : une lutte contre le double discours

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Après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et l’assassinat ignoble de Samuel Paty le 16 octobre 2020, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a décidé de dissoudre les associations qui auraient des liens avec l’islamisme radical. Cette procédure est-elle nouvelle ? Et peut-on apporter des limites à ces associations au sein d’un État de droit ?

Quelques heures après l’attentat contre le professeur Samuel Paty, Gérald Darmanin avait annoncé que « 51 structures associatives verront toute la semaine un certain nombre de visites des services de l’État et plusieurs d’entre elles, sur ma proposition, se verront dissoudre en Conseil des ministres ». Qu’en est-il dans la réalité ?

Un lent processus de dissolution engagé depuis 2012

Un processus (certes lent) de dissolution des associations liées au radicalisme islamiste a commencé depuis 2012. Le premier groupement de fait dissous (par le décret 2012-292 du 1er mars 292) fut « Forsane Alliza », appelant à l’instauration du califat et incitant les musulmans à s’unir en vue de participer à une guerre civile présentée comme très probable, et en préparant ses membres au combat et à la lutte armée.

Trois associations furent ensuite dissoutes le 24 janvier 2016, « Retour aux sources », « Le retour aux sources musulmanes », et l’« Association des musulmans de Lagny-sur-Marne » (bel et bien dissoute après un recours devant le juge administratif)[1].

Puis, ce fut au tour de l’association « Fraternité musulmane Sanâbil (Les Épis) » le 24 novembre 2016, de l’« Association des musulmans du boulevard National » (AMN Assouna), le 31 août 2018, ou encore de l’association « Killuminateam – Les soldats dans le sentier d’Allah » le 26 février 2020.

Plus proche de nous et à la suite de l’attentat de Conflans-Sainte Honorine, le 21 octobre 2020, l’État a dissous le collectif « Cheikh Yassine » (du nom de Cheikh Ahmad Yassine, cofondateur du Hamas, le mouvement islamiste palestinien).

L’homme qui accompagna le parent d’élève venu se plaindre du professeur Samuel Paty, n’était autre qu’Abdelhakim Sefrioui, président du collectif « Cheikh Yassine ». Actuellement l’objet d’une enquête pour « complicité d’assassinat terroriste » en lien avec l’assassinat du professeur à Conflans-Sainte-Honorine, cet homme n’est pas inconnu des services de renseignement, car visé par une fiche S depuis plusieurs années.

Dès sa création en 2004, ce collectif s’est positionné en faveur de la branche armée du Hamas, inscrite sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. C’est aussi grâce à ce collectif que son dirigeant a pu rencontrer de nombreux individus connus pour leur appartenance à des groupes islamistes radicaux, pour leur participation à des projets d’attentats terroristes ou encore à des filières d’acheminement de djihadistes en zone irako-syrienne.

Plus encore, le dirigeant du collectif est entré à de nombreuses reprises, dont en dernier lieu au printemps 2020, avec la veuve de l’un des deux auteurs de l’attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo.

Une semaine après la dissolution du Collectif « Cheikh Yassine », l’association Barakacity fut dissoute par un décret du 28 octobre 2020. Dans le viseur du Gouvernement, son fondateur Driss Yemmou, dit Idriss Sihamedi, est soupçonné d’avoir lancé des campagnes de cyberharcèlement contre une ex-journaliste de Charlie Hebdo et une chroniqueuse de RMC, toutes deux engagées dans la lutte contre l’islamisme, et s’est aussi rendu personnellement en Syrie, en zone occupée par l’État islamique en septembre 2018.

La dissolution est ici fondée sur les nombreuses relations que cette association entretient au sein de la mouvance islamiste radicale et soutient par l’intermédiaire de ses publications des référents religieux connus pour leur légitimation du djihad armé et leur ralliement à l’idéologie d’Al-Qaeda.

Plus encore, le président de cette association entretient des relations avec d’autres associations appartenant à la mouvance islamiste radicale, qu’il s’agisse de structures islamistes en Europe ou de groupes djihadistes, et avec d’ex-membres d’associations aujourd’hui dissoutes pour leur implication dans cette mouvance (comme le président de l’association elle aussi dissoute Sanabil).

Enfin, cette association a aussi bénéficié de dons de personnes impliquées dans des faits de terrorisme, dont notamment l’auteur de l’attentat contre deux policiers à Magnanville commis le 13 juin 2016.

Enfin, le Gouvernement a engagé la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), le 2 décembre 2020, accusée d’être une « officine islamiste œuvrant contre la République ».

Cette association a préféré s’auto-dissoudre pour éviter de subir une telle mesure, en prenant bien soin de transférer ses actifs à l’étranger, « à des associations partenaires qui se chargeront de prendre le relais de la lutte contre l’islamophobie à l’échelle européenne »[2]. C’est la raison pour laquelle l’État a voulu aller plus loin, en dissolvant le collectif en tant que groupement de fait, puisque cette auto-dissolution est « intervenue pour faire échec au projet de dissolution envisagé par le Gouvernement, n’est que de pure façade, l’association continuant désormais ses agissements sous la forme d’un groupement de fait qu’il y a lieu de dissoudre pour les mêmes motifs »[3].

L’État de droit, un paravent pour d’autres objectifs ?

L’État de droit permet aux associations visées de défendre leur point de vue en affichant officiellement une position de promotion des droits et libertés et de lutte contre l’islamophobie. Mais dans la pratique, il en va différemment.

Pour exemple, l’association Barakacity, a pour objet officiel « la création, la promotion et le développement d’actions permettant de venir en aide aux démunis en France et à l’international, mais également de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination […], de défendre ou d’assister l’enfance martyrisée ou les mineurs victimes d’atteintes sexuelles, de combattre les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l’honneur de la résistance ou des déportés […] ».

Pour autant, nous avons évoqué plus haut les liens de cette association avec la mouvance islamiste radicale. Elle fut même qualifiée d’association « pro-jihadiste » par le juge administratif lors d’un procès lié à la perquisition administrative d’un individu ne contestant pas avoir été en compagnie (ne serait-ce qu’épisodiquement) de militants islamistes et d’individus proches de l’association Barakacity[4].

Ainsi, la protection des droits et libertés par l’État de droit et l’antiracisme ne seraient qu’une façade, un double discours (appelé aussi « Taqîa »), afin de mieux infiltrer la société française, dans le but d’appliquer la charia. Comme le note le docteur Abderrahmane Mekkaoui, « loin de l’émotion et de la surenchère politique, on constate que le salafisme (Frères musulmans et wahhabites) s’est emparé de la problématique du racisme et de la ségrégation raciale en ouvrant un autre front contre les démocraties »[5].

D’ailleurs, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a réagi sur Twitter pour appuyer la position du ministère de l’Intérieur sur la dissolution du CCIF, en estimant que « la duplicité est une constante dans le discours porté par le CCIF ». Plus encore, « sous couvert de dénonciations d’actes dits islamophobes, le CCIF déploie tous ses moyens pour répandre l’idée fallacieuse selon laquelle la France serait un pays raciste et antimusulman »[6].

Ne serait-il donc pas pertinent de prendre appui sur les notes émises par nos services de renseignement pour étendre le nombre de dissolutions de ces associations, même à certaines associations sportives dont la radicalisation des membres est connue ?

Ce pourrait être une piste, le président du groupe centriste du Sénat, Hervé Marseille estimant qu’« il y a un frein pour sanctionner ces associations. Il faut nécessairement faire évoluer le cadre législatif. Il y a des règles de droit qui protègent peut-être un peu trop. Ces associations sont toujours en bordure. Ils tutoient la ligne rouge »[7].

Nota Bene : pour disposer d’informations plus détaillées justifiant la dissolution de l’association, les décrets sont disponibles sur le site Légifrance.

[1]Décret du 6 mai 2016 portant dissolution d’une association

[2]https://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-ccif-menace-de-dissolution-par-le-gouvernement-annonce-s-etre-auto-dissous_2139587.html

[3]Décret du 2 décembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait

[4]CAA de PARIS, 4e chambre, 25/04/2017, 16PA03427

[5]https://cf2r.org/tribune/lexploitation-de-lantiracisme-par-les-salafistes/

[6]https://www.liberation.fr/france/2020/11/25/le-ccif-en-ordre-de-bataille-contre-sa-dissolution_1806590

[7]https://www.publicsenat.fr/article/politique/dissolution-d-associations-faut-il-faire-evoluer-la-loi-185162

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À propos de l’auteur
Alexis Deprau

Alexis Deprau

Docteur en droit de la sécurité et de la défense.
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