La géographie de l’énergie est celle de la puissance. Éditorial du hors-série n°9

5 mars 2019

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La géographie de l’énergie est celle de la puissance. Éditorial du hors-série n°9

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Vers 1500, les populations de la Chine et de l’Europe étaient identiques, entre 80 et 90 millions. Pourtant selon Pierre Chaunu, la force de travail de l’Europe était trois ou quatre fois plus importante grâce à son bétail, chevaux ou bœufs, et à ses moulins à eau et à vent.

En 1800, le charbon devient la principale source d’énergie ; il détrône progressivement le bois dans la sidérurgie et s’impose grâce à la machine à vapeur dans l’industrie comme dans les transports ou la production d’électricité thermique. Au Royaume-Uni, la production passe de 3 millions de tonnes en 1700 à 15 millions en 1800 et 220 millions en 1900. Il est alors le premier producteur mondial devant les États-Unis et l’Allemagne. Disposant d’un véritable monopole dans la première moitié du xixe siècle, il figure à la première place dans la hiérarchie mondiale, une place que lui conteste l’Allemagne à partir de 1880, avant que les États-Unis arbitrent ce match à leur profit.

C’est alors que le pétrole devient décisif après l’invention du moteur à explosion dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis de l’avion et du char de combat. En 1941, année où Henry Luce publie son article « Le Siècle américain », les États-Unis fournissent les deux-tiers de la production mondiale. En 1981, leur part est tombée à 18 %, mais il faut tenir compte de la production de leurs alliés comme l’Arabie Saoudite (18 % également pour ce pays). Au même moment, l’URSS atteint un chiffre comparable, accréditant l’idée d’un rattrapage de la puissance américaine, ce que la suite n’a pas vérifié. Pourquoi ?

L’énergie concourt à la puissance de celui qui la contrôle plus qu’à celle de celui qui la produit. Ce contrôle contribue encore aujourd’hui à la domination américaine.

Un fait permet de mieux comprendre les liens entre puissance et énergie. En 1986, l’Arabie Saoudite déclenche le contre-choc pétrolier, le baril de pétrole chute en dessous de 10 dollars. Cet effondrement frappe de plein fouet l’URSS, premier exportateur mondial. Elle dépend de ses ventes qui lui permettent d’obtenir les devises avec lesquelles elle achète produits alimentaires et technologies. Les États-Unis ne sont pas épargnés, leurs producteurs nationaux cessent d’être rentables et risquent d’être évincés du marché. Mais Washington dispose d’armes variées : ses grandes compagnies, le dollar qui est la monnaie du pétrole comme du monde, la protection qu’elle accorde au royaume saoudien. En avril 1986, le vice-président Bush se rend en Arabie Saoudite et obtient que Riyad relance sa production. Les prix remontent à un niveau qui redonne leur rentabilité aux producteurs américains, mais qui n’est pas suffisant pour que les exportations russes retrouvent leur valeur. Cette perte joue dans l’effondrement de l’URSS un rôle qui est souvent sous-estimé.

L’énergie concourt à la puissance de celui qui la contrôle plus qu’à celle de celui qui la produit, telle est la leçon de ces événements. Ce contrôle contribue encore aujourd’hui à la domination américaine. La Chine tente d’y échapper en multipliant les accords avec les producteurs, en ouvrant les routes de la soie pour échapper à la suprématie maritime des États-Unis et en développant à marche forcée sa production nucléaire. Parallèlement, Washington et Moscou renforcent leur production de pétrole et de gaz pour placer les autres pays en situation de dépendance et tournent le dos aux préoccupations écologiques. Quant à l’Europe, ou plutôt la majorité de ses nations, elle tourne le dos au charbon, refuse d’exploiter le gaz de schiste, commence à démanteler son appareil nucléaire et accorde sa confiance aux énergies renouvelables dont la rentabilité n’est pas (encore ?) assurée. On y verra la preuve, décidément, qu’elle a renoncé à la puissance, comme nous le montrerons dans notre numéro 21.

Pascal Gauchon

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