<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre du pôle  n’aura pas lieu

31 décembre 2014

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Photo : Le drapeau russe en titane planté sous le pôle Nord. Photo: AP21774534_000002
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La guerre du pôle n’aura pas lieu

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La dépose d’un drapeau russe sur le fond marin, au pôle Nord, par un submersible russe en 2007, a mis en exergue l’intérêt des États riverains de l’Arctique pour cette zone. Le recul de la banquise estivale permet d’envisager une mise en valeur plus aisée de la région. Le retour de l’Arctique au cœur des priorités nationales d’acteurs majeurs comme la Russie est-il le signe qu’une nouvelle guerre froide est en train de se dessiner ?

les différends territoriaux sont nombreux dans la région. Celui opposant le Canada au Danemark est symptomatique de la compétition en cours. Il concerne l’île Hans, un minuscule îlot entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, dont la possession n’apporterait absolument aucun avantage : les deux protagonistes ont déjà conclu un accord répartissant les espaces maritimes qui la bordent. Si aucun des deux États n’accepte de céder, c’est surtout pour ne pas laisser penser qu’il est prêt à renoncer à sa souveraineté en Arctique. Plus à l’ouest, le Canada connaît un autre différend, avec les États-Unis, en mer de Beaufort. La question porte dans ce cas sur la limite des eaux : tous deux revendiquent une zone triangulaire réputée riche en hydrocarbures. Les deux États nord-américains, alliés par ailleurs, n’envisagent pas la moindre concession car à la question de la souveraineté s’ajoute ici celle de la manne économique. Or, ils sont déjà en opposition sur la question du statut du passage du Nord-Ouest, traversant l’archipel arctique canadien. Renoncer sur l’un des sujets serait perçu comme une faiblesse. Toujours sur fond d’enjeux de ressources, le Danemark doit composer avec un Groenland qui n’a cessé de gagner en autonomie depuis 1979. L’île dispose d’hydrocarbures et de ressources minières qui pourraient lui assurer des revenus autres que la pêche et les subventions de Copenhague. Si ces ressources étaient exploitées, l’indépendance financière qui en résulterait serait sans doute un pas décisif vers l’indépendance politique. Or le Parlement groenlandais a récemment autorisé l’exploitation de ses ressources en uranium, et il semble qu’il dispose également en grande quantité de terres rares. Ce cas particulier, qui n’est certes pas un différend, n’en illustre pas moins l’intérêt des États et des régions autonomes arctiques pour cet espace nouveau et la compétition qu’ils s’y livrent.

Litiges pendant et litiges résolus

Pour autant, tous les litiges ne restent pas bloqués. Côté européen, un différend opposait la Russie et la Norvège au sujet de la délimitation de leurs eaux respectives en mer de Barents, au sud du Svalbard. Remontant aux années 1970, il portait à l’origine sur la pêche mais la découverte de gisements d’hydrocarbures avait rapidement augmenté les enjeux. Plutôt que d’aller à la confrontation, les deux acteurs avaient préféré laisser en suspens le règlement de ce problème : un moratoire sur l’exploitation des ressources ne devait prendre fin qu’à la conclusion par les deux parties de ce problème. C’est ce qui s’est produit en 2010 : Russie et Norvège ont signé un accord sur le partage de leurs espaces maritimes. Ainsi, si cette situation s’est débloquée, c’est en grande partie en raison de la manne représentée par les ressources. Certes, cet accord n’a pas réglé la question des revendications sur l’extension du plateau continental entre Norvège et Russie (cette dernière revendique toujours la possession de la dorsale de Lomonossov, tout comme le Canada). Mais au moins montre-t-il que l’espoir de réaliser des profits peut amener des États à dépasser leurs différends. À l’aulne de cet exemple, on peut se demander si les ressources en hydrocarbures sont appelées à devenir des motifs d’affrontement ou des facteurs de coopération.

L’enjeu des hydrocarbures

Le rapport de l’U.S. Geographical Survey (USGS) de 2008 (Circum-Arctic Resource Appraisal) rappelle que les réserves prouvées d’hydrocarbures en Arctique représentent 10 % des réserves mondiales. Il ajoute à cela des ressources estimées à 90 milliards de barils de pétrole, 47 000 milliards de mètres cube de gaz et 44 milliards de barils de gaz naturel à l’état liquide. De quoi susciter les convoitises des États voisins. Pourtant, la perspective d’une confrontation, ou tout du moins d’une aggravation des différends des États arctiques pour ces ressources, est battue en brèche par une analyse approfondie. Premièrement, certains font remarquer que le rapport de l’USGS présente surtout des ressources estimées, et pas prouvées. Or les méthodes d’estimation font l’objet de controverses : elles se fondent sur des modèles applicables à des bassins sédimentaires bien maîtrisés, alors que la géologie du sous-sol de l’Arctique est encore quasiment inconnue. La transposition de modèle pourrait induire un biais, et dans ce cas précis, une surestimation des ressources. Si le potentiel de l’Arctique en hydrocarbures est certain, il se pourrait que les gisements ne soient pas si vastes qu’escompté. Autre argument, cette fois largement vérifié par l’expérience : les conditions d’exploitation (météorologie, état de la mer, températures, banquise, icebergs, etc.) sont très difficiles pendant la plus grande partie de l’année. Or, selon l’USGS, 84 % des ressources sont offshore. L’environnement met donc ces techniques à l’épreuve et limite ainsi les perspectives de mise en valeur à court terme. La compagnie Shell, par exemple, a suspendu ses forages en Arctique (mer des Tchouktches et mer de Beaufort) pour l’année 2013, après avoir rencontré des déconvenues principalement dues aux conditions environnementales difficiles. La rentabilité des projets offshore arctiques par rapport aux autres gisements mondiaux reste donc incertaine dans l’immédiat.

Carte sur les enjeux de l’Arctique
Photo : RevueConflits

La coopération plutôt que l’affrontement

Par ailleurs, les sociétés pétrolières russes ne disposent pas de moyens autonomes d’exploitation des gisements offshore dans la zone. En effet, alors qu’elles seules disposent du droit d’exploiter les ressources sur le plateau continental russe, elles se sont toutes associées à une société occidentale pour bénéficier de leur savoir-faire. Ainsi, Rosneft s’est rapproché d’Exxon pour envisager l’exploitation des gisements de la mer de Kara, Gazprom de Total et Statoil pour le gisement gazier de Chtokman en mer de Barents. Il n’est donc pas dans l’intérêt de la Russie de provoquer une dégradation de la situation géopolitique, ni celui des États occidentaux : la coopération semble prendre le pas sur la confrontation. Enfin, il convient de noter que la plupart des réserves prouvées ou estimées se trouvent pour le moment dans des zones non sujettes à discussion. Le besoin de coopérer pourrait donc bien amener les États à dépasser leurs différends plutôt qu’à se lancer dans des épreuves de force, fussent-elles seulement diplomatiques. Un milieu aussi complexe que l’Arctique requiert de créer de véritables synergies pour le mettre en valeur : sa rigueur exige des compétences avancées et son écosystème fragile ne pourrait supporter les conséquences de catastrophes écologiques.

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Loïc Boyer

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