La Russie nouveau fournisseur pétrolier de l’Inde

16 octobre 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Pétrole russe vers l'Inde (c) AFP

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La Russie nouveau fournisseur pétrolier de l’Inde

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Avant la guerre en Ukraine, l’Inde achetait son pétrole essentiellement au Moyen-Orient. Depuis la guerre, la Russie est devenue le premier fournisseur du pays. Un retournement qui permet de fournir l’Europe mais que l’Inde serait sur le point de revoir.

Avant la guerre en Ukraine, l’Inde suivait une politique d’importation de pétrole classique. Ses principaux fournisseurs étaient l’Irak, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït. En 2021, la Russie ne représentait qu’à peine 2 % de ses importations totales. La géographie énergétique du pays semblait alors figée. Mais en février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué un bouleversement profond du marché mondial du pétrole. Les sanctions imposées par les pays occidentaux à Moscou ont transformé la Russie en exportateur marginalisé, contraint de vendre son brut à prix réduit. L’Inde, pragmatique, a vu dans cette situation une opportunité stratégique.

Du Moyen-Orient à la Russie

En quelques mois, New Delhi a redessiné sa carte énergétique. Tandis que l’Europe se détournait du brut russe, les raffineries indiennes ont augmenté leurs achats, profitant de tarifs décotés et d’un accès privilégié à des volumes constants. De 2 % des importations totales en 2021, le pétrole russe a bondi à près de 37 % en 2024, faisant de la Russie le premier fournisseur du pays, devant l’Irak et l’Arabie saoudite. En 2025, l’Inde importe en moyenne plus de deux millions de barils par jour de brut russe, soit plus de 40 % de ses approvisionnements. Cette ascension fulgurante reflète un réalignement géoéconomique majeur.

Cette évolution repose sur plusieurs facteurs économiques et politiques.

Le premier est évidemment le prix. Le pétrole russe, soumis à un embargo occidental, s’est échangé à un tarif bien inférieur au Brent de la mer du Nord, permettant à l’Inde d’alléger considérablement sa facture énergétique. Ce pétrole à bas coût nourrit une industrie du raffinage en plein essor : les raffineries indiennes transforment le brut en carburants revendus ensuite à l’étranger, notamment en Europe, bouclant ainsi une boucle paradoxale où le pétrole russe revient sur le marché européen, mais sous une autre forme.

Le deuxième facteur tient à la volonté de diversification. L’Inde dépend à près de 90 % de ses importations pour sa consommation de pétrole. Miser exclusivement sur le Moyen-Orient comportait un risque géopolitique évident. En achetant à la Russie, New Delhi s’offre une assurance supplémentaire contre d’éventuelles tensions dans le Golfe. Ce choix renforce aussi son autonomie stratégique : l’Inde se positionne comme une puissance non alignée, capable de dialoguer à la fois avec Washington, Moscou et Riyad.

Cette stratégie s’appuie également sur une donnée structurelle : la montée en puissance du raffinage indien. Le pays dispose de capacités parmi les plus importantes du monde, ce qui lui permet de traiter le brut russe et de l’exporter sous forme de produits raffinés. Ces exportations représentent une source de revenus précieuse pour l’économie indienne et consolident son rôle d’acteur incontournable dans la chaîne mondiale de l’énergie.

La Russie en tête

Depuis le début de 2024, les chiffres confirment la solidité de cette relation. L’Inde a importé 242 millions de tonnes de brut sur l’exercice 2024-2025, soit une hausse de plus de 4 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, les importations en provenance d’Arabie saoudite sont tombées à leur plus bas niveau depuis quatorze ans, tandis que celles d’Irak ont reculé. L’OPEP, autrefois dominante sur le marché indien, voit sa part diminuer à un niveau historiquement faible. L’Inde a même dépassé la Chine comme premier acheteur de pétrole russe en 2024.

Ce virage n’est toutefois pas sans conséquences. En maintenant ses importations russes, l’Inde s’expose à des pressions diplomatiques croissantes. Les États-Unis et certains alliés européens reprochent à New Delhi de contribuer indirectement au financement de la guerre en Ukraine. L’Inde assume cependant sa position en invoquant ses impératifs de développement. Le pays abrite plus d’un milliard d’habitants et son économie, en forte croissance, a besoin d’une énergie abondante et abordable. Le gouvernement de Narendra Modi met en avant la souveraineté énergétique nationale et refuse de se laisser dicter ses choix par les grandes puissances.

Difficultés d’approvisionnement

La dépendance croissante à l’égard du pétrole russe présente aussi des risques économiques. Le transport maritime du brut depuis les ports russes reste complexe, soumis à des sanctions, à des contrôles et à des coûts d’assurance élevés. Si les rabais russes disparaissaient à moyen terme, la facture énergétique de l’Inde grimperait brutalement. De plus, cette dépendance à un fournisseur unique, aussi avantageuse soit-elle, rend l’équilibre fragile en cas de crise diplomatique ou logistique.

Pour parer à ces risques, l’Inde a commencé à renforcer ses liens énergétiques avec d’autres régions, notamment les États-Unis, l’Afrique et l’Amérique latine. New Delhi cherche à multiplier les sources d’approvisionnement et à signer de nouveaux contrats à long terme, tout en continuant d’acheter du brut russe tant que les conditions de prix restent favorables. En parallèle, le pays investit dans le gaz naturel liquéfié et accélère sa transition vers des énergies renouvelables, sans pour autant renoncer à l’or noir qui reste vital pour sa croissance.

En trois ans, la guerre en Ukraine a donc profondément redessiné la carte énergétique mondiale, et l’Inde en est l’un des principaux bénéficiaires. Ce repositionnement audacieux, motivé par la nécessité plus que par l’idéologie, a fait du pays un acteur pivot du commerce pétrolier international. Mais cette réussite repose sur un équilibre délicat entre pragmatisme économique et diplomatie mesurée. Si l’Inde parvient à maintenir cet équilibre, elle pourrait bien devenir le nouveau centre de gravité du marché mondial de l’énergie.

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