L’Arabie saoudite et le Pakistan ont officialisé en septembre 2025 un accord de défense mutuelle. Présenté par certains comme une garantie nucléaire offerte à Riyad par Islamabad, ce rapprochement soulève de nombreuses interrogations quant à ses implications militaires, diplomatiques et régionales.
Jean-Baptiste Noé : Cet accord a été présenté comme une « protection nucléaire » offerte par le Pakistan à l’Arabie saoudite. De quoi s’agit-il exactement ?
Gil Mihaely : Il faut être prudent avec ce genre de formules. L’accord signé entre Riyad et Islamabad n’est pas une révolution, mais plutôt l’officialisation d’une relation ancienne. On pourrait dire que c’est un mariage qui vient consacrer un long concubinage.
Depuis la fin des années 1940, et même avant la création officielle du Pakistan en 1947, des liens existent entre les élites musulmanes du sous-continent indien et le royaume saoudien. Sur le plan militaire, le Pakistan a souvent apporté son soutien à Riyad : des soldats pakistanais ont été déployés en Arabie saoudite, notamment lors de la prise de la Grande Mosquée de La Mecque en 1979 ; des officiers saoudiens sont régulièrement formés au Pakistan. Aujourd’hui encore, plusieurs centaines de militaires pakistanais sont stationnés dans le royaume.
Autrement dit, la coopération militaire entre les deux pays n’a rien de neuf. Ce qui change, c’est la volonté d’afficher publiquement cette alliance.
Quant au « parapluie nucléaire », rien ne permet d’affirmer qu’il fasse partie de l’accord. Les déclarations officielles sont volontairement vagues : elles évoquent une assistance militaire « à tous les niveaux », mais sans jamais mentionner explicitement les armes non conventionnelles. C’est une ambiguïté entretenue par les deux parties, probablement pour envoyer des signaux sans s’engager concrètement.
Jean-Baptiste Noé : Certains commentateurs y voient une réponse aux frappes israéliennes récentes. Est-ce crédible ?
Gil Mihaely : Non. Un tel accord ne se négocie pas en dix jours. Ce type de texte demande des mois, voire des années de discussions. Bien sûr, on peut décider d’accélérer ou de reporter la cérémonie de signature en fonction du contexte, mais le fond de l’accord précède largement l’actualité immédiate.
Il ne faut donc pas y voir une réaction ponctuelle aux actions israéliennes, mais un repositionnement stratégique plus profond. Comme dans les années 1930 en Europe, où la France avait multiplié les traités avec ses alliés d’Europe centrale, ces accords sont avant tout liés à la perception d’un adversaire commun et à l’évolution du contexte géopolitique.
Jean-Baptiste Noé : Peut-on vraiment parler d’une garantie militaire entre les deux pays ?
Gil Mihaely : Là encore, prudence. On ne peut pas comparer cet accord avec l’article 5 de l’OTAN, qui prévoit une solidarité automatique entre ses membres — et encore, même cet article est aujourd’hui sujet à interprétation.
Dans le cas pakistano-saoudien, il est très improbable que Riyad envoie ses chasseurs F-15 soutenir Islamabad dans un conflit avec l’Inde. De la même manière, le Pakistan n’a ni la volonté ni les moyens d’offrir une protection nucléaire à l’Arabie saoudite.
Ce que l’on voit, c’est avant tout une convergence d’intérêts :
Le Pakistan : une armée technologiquement compétente, mais un État proche de la faillite, qui cherche à monétiser sa puissance militaire.
L’Arabie saoudite : un pays immensément riche, mais dépendant pour sa sécurité extérieure, et soucieux de diversifier ses alliances alors que la fiabilité des États-Unis apparaît de plus en plus incertaine.
Jean-Baptiste Noé : Peut-on aussi y voir une dimension énergétique, notamment vis-à-vis de la Chine ?
Gil Mihaely : C’est possible, mais secondaire. L’Arabie saoudite exporte déjà massivement vers l’Asie et entretient de bonnes relations avec l’Inde comme avec le Pakistan. L’accord ne change rien de fondamental dans ce domaine.
Ce qui compte, c’est le message envoyé : Riyad ne peut plus se contenter de la protection américaine et cherche d’autres garanties, y compris en se rapprochant de puissances régionales. L’officialisation de l’alliance avec Islamabad doit être lue avant tout comme un signal adressé à Washington, mais aussi à Téhéran et à ses rivaux régionaux.
Jean-Baptiste Noé : Qui est aujourd’hui le principal adversaire de l’Arabie saoudite ? L’Iran ? Israël ? Les Houthis ?
Gil Mihaely : L’ennemi prioritaire de Riyad reste l’Iran. Depuis 1979, les deux pays sont engagés dans une rivalité existentielle. La révolution islamique a donné au chiisme politique une dynamique nouvelle, à laquelle l’Arabie saoudite a répondu par une radicalisation du wahhabisme.
L’affrontement est religieux, géopolitique et historique. L’Arabie saoudite revendique sa légitimité comme gardienne des lieux saints et promotrice d’un islam rigoriste ; l’Iran se présente comme le champion du chiisme et du nationalisme persan, avec une influence qui déborde sur le monde arabe.
Cela ne signifie pas que Riyad souhaite en faire un ennemi déclaré d’Israël ou de l’Inde. L’Arabie saoudite a au contraire intérêt à ménager ses relations avec New Delhi, où vit une diaspora importante, et même à éviter une confrontation directe avec Israël. Mais l’équilibre régional reste structuré par l’antagonisme saoudo-iranien.
Jean-Baptiste Noé : Quelles suites possibles pour cet accord ?
Gil Mihaely : À court terme, la portée est surtout diplomatique. L’officialisation crée un « fait politique » : tout le monde en parle, et l’Iran doit désormais intégrer cette alliance dans ses calculs stratégiques.
À moyen terme, l’effet dépendra de l’évolution des relations bilatérales. Le Pakistan et l’Iran partagent déjà une frontière compliquée, notamment dans le Baloutchistan, où tensions et insurrections persistent. Pour Téhéran, voir Islamabad se rapprocher de Riyad renforce le sentiment d’encerclement.
Enfin, une question se pose : l’Arabie saoudite cherche-t-elle à se rapprocher du nucléaire militaire, directement ou indirectement ? Même si je doute qu’Islamabad lui accorde un « parapluie nucléaire », la simple perspective inquiète l’Iran et pourrait accélérer ses propres programmes. C’est en ce sens que cet accord, sans même modifier la réalité militaire immédiate, pèse déjà sur la sécurité régionale.
Entretien issu du podcast Arabie saoudite – Pakistan : accord historique ?