Ni l’Arabie saoudite ni les EAU ne sont directement intervenus dans le conflit entre Israël et l’Iran. Mais les deux pays partagent une même vision : I’ran est un adversaire durable, mais pas indépassable.
Depuis la signature du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) en juillet 2015 jusqu’à la guerre de douze jours entre Israël et l’Iran en juin 2025, l’attitude de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis envers la question iranienne s’est caractérisée par une remarquable cohérence doctrinale. Cette approche, fondée sur la méfiance, la perception d’une menace structurelle et la volonté de contenir l’expansion régionale de la République islamique, a dicté leur lecture du JCPOA comme leur réaction au succès militaire israélien d’été 2025.
Riyad face à Téhéran
Dès 2015, Riyad et Abou Dhabi ont vu dans l’accord sur le nucléaire non pas un pas vers la stabilité, mais une légalisation déguisée du statut de puissance régionale de l’Iran. Leurs critiques s’articulaient autour de trois axes : la faiblesse technique des restrictions imposées à l’Iran, l’oubli volontaire de ses activités balistiques et de sa politique de proxys, et enfin, les retombées économiques et symboliques de la levée des sanctions. Loin de favoriser une modération iranienne, le JCPOA apparaissait, à leurs yeux, comme un facteur de consolidation du pouvoir des Gardiens de la révolution. Leur soutien au retrait américain de 2018 s’inscrivait donc dans une logique de contrepoids. Tandis que Riyad activait ses leviers diplomatiques à Washington, Abou Dhabi préférait les circuits d’influence plus feutrés. Tous deux convergeaient sur un objectif : empêcher que l’Iran ne transforme l’accord en tremplin géopolitique. Cette posture ne relevait pas du conjoncturel, mais d’une analyse durable : l’Iran, à leurs yeux, est moins un État-nation rationnel qu’une puissance révolutionnaire, idéologique et asymétrique.
Le monde arabe face à l’Iran
Ce prisme permet de comprendre leur lecture du conflit de juin 2025. Le succès israélien dans la destruction ciblée d’infrastructures stratégiques iraniennes a sans doute été accueillie avec un mélange de satisfaction discrète et de soulagement nerveux dans les cercles dirigeants du Golfe. En silence, Riyad et Abou Dhabi ont pu considérer cette guerre éclair comme une validation de leur intuition : l’Iran n’est pas invincible, et l’usage de la force, préparée, calibrée et assumée, peut réellement modifier le rapport de force. Le contraste est frappant entre l’impasse diplomatique du JCPOA et l’efficacité opérationnelle d’Israël. Pour les stratèges du Golfe, la dissuasion ne vaut que si elle se traduit, à l’occasion, en action.
Ce réalisme, longtemps masqué par le formalisme diplomatique, s’affirme aujourd’hui comme la pierre angulaire de leur doctrine de sécurité. Pourtant, cette victoire par procuration ne les aveugle pas. La conscience du risque asymétrique reste vive : attaques par drones, déstabilisation des marges périphériques, infiltrations indirectes.
L’Iran affaibli peut devenir plus dangereux dans l’ombre. Mais le fait majeur est ailleurs : cette guerre confirme l’utilité d’un réalignement sécuritaire implicite avec Israël. Sans alliance formelle, la coopération technique, le partage de renseignement, la cyberdéfense, et la défense antimissile apparaissent désormais comme des piliers communs d’une architecture de stabilité post-JCPOA.
Le succès israélien ne fait que légitimer davantage ce mouvement silencieux initié avec les Accords d’Abraham. Ainsi, en comparant leur rejet argumenté de l’accord de 2015 et leur réaction au conflit de 2025, on saisit la permanence de la méthode saoudienne et émiratie : la méfiance comme principe, le pragmatisme comme outil, la régionalisation de la dissuasion comme horizon. Leur vision de l’Iran est constante : un adversaire durable, mais pas indépassable.