<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’artillerie : un enjeu crucial pour la guerre en Ukraine

2 août 2023

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : A French Caesar self-propelled howitzer fires into the Middle Euphrates River Valley in Southwest Asia, Dec. 2, 2018. (U.S. Army photo by Sgt. 1st Class Mikki L. Sprenkle)
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L’artillerie : un enjeu crucial pour la guerre en Ukraine

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La guerre en Ukraine a réaffirmé le rôle central de l’artillerie. Celle-ci suppose non seulement de posséder en nombre canons et munitions mais aussi de savoir en faire bon usage. Une étude récente du Royal United Services Institute (RUSI), s’est attachée à analyser l’importance de l’artillerie en Ukraine.

Pierre Cazals de Fabel

Retrouvez l’étude complète du RUSI à cette adresse.

Les analyses faites de la guerre en Ukraine ont montré l’importance déterminante de l’artillerie dans le conflit. Que ce soient des canons, des drones ou encore des systèmes de défense aériens, le rôle de ces équipements de guerre s’est imposé comme majeur pour les belligérants de ce conflit à haute intensité. Une artillerie bien utilisée peut s’avérer dévastatrice tant d’un point de vue humain et matériel que psychologique. De même, mal utilisée, l’artillerie peut être la source d’un désavantage. L’exemple en a été donné à Bakhmout, par l’incapacité des Russes à déloger les forces ukrainiennes, usant alors de très lourds, mais néanmoins inefficaces, pilonnages sur les positions adverses. À présent, les autorités ukrainiennes assurent reprendre du terrain dans la contre-offensive menée depuis le début de l’été. Il faut maintenant à l’armée ukrainienne opérer une transition dans l’usage de l’artillerie qui, passant d’une configuration défensive à l’offensive, devra répondre aux besoins de forces armées qui entendent reprendre du terrain et l’initiative dans le conflit. C’est cet élément qu’analyse l’étude du RUSI. En usant mal de leur artillerie, les Russes ont manqué une opportunité à Bakhmout, il en est de même pour l’Ukraine qui doit faire évoluer l’usage de sa puissance de feu afin de profiter de l’élan dont elle bénéficie. Il s’agit d’un défi majeur pour cette armée puisque c’est de sa capacité à relever ce défi que se jouera le succès de la contre-offensive. Il s’agit donc de déterminer de quoi est constitué ce défi.

Artillerie : des objectifs multiples

Tout d’abord, l’offensive. Le but de l’offensive est somme toute très simple : se porter en avant afin de conquérir durablement du terrain ainsi que des objectifs tactiques, opérationnels ou stratégiques. Ce qui permet de distinguer ici la première difficulté. Les forces russes semblent avoir fortifié très efficacement le terrain qu’elles ont pris. On estime qu’un réseau de près de 800 km de tranchées, de bunkers et de fossés antichars, parfois profonds de 30 km, barre la route à l’armée ukrainienne. La puissance de ce type de fortification n’est pas à sous-estimer et si elles s’avèrent bien protégées, elles peuvent être à proprement parler tout à fait inexpugnables. Ces défenses en profondeur peuvent aussi devenir un piège comme nous l’a enseigné la bataille de Koursk, en 1943. Cette bataille, l’une des plus grandes batailles de chars d’assaut de l’histoire, marque selon les historiens la fin définitive d’une possibilité de victoire pour l’armée allemande. Le point de cette page de l’histoire qui nous intéresse est la défense anti-blindée soviétique, très profonde, comportant alors plusieurs dizaines de rideaux défensifs. Un dispositif mortel pour les chars d’assaut. Le rôle offensif de l’artillerie répond donc très bien à cette configuration. On l’utilise pour user ou détruire les positions adverses et neutraliser les forces ennemies ou les batteries d’artillerie. L’artillerie revêt aussi un rôle de soutien pour les forces de manœuvre qui avancent.

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Pour détruire efficacement une tranchée, il faut abattre un obus à moins de deux mètres. Or, les canons ukrainiens ne sont pas assez précis pour assurer des tirs efficaces et réguliers. Cependant, les impacts obligent les fantassins à se mettre à l’abri, empêchant donc une riposte pleinement opérationnelle. Le bombardement de positions ennemies n’est en revanche efficace que si des unités progressent simultanément pour prendre d’assaut les positions visées. Sans quoi, les défenseurs ont tout le loisir de reprendre leurs postes et de défendre leurs fortifications. Cela serait un gaspillage d’énergie et pourrait entraîner des pertes humaines conséquentes. Un usage efficace de l’artillerie permet aussi d’infliger des dégâts terribles. En effet, appliquer un barrage d’artillerie détruit certes les fortifications, mais secoue durement les défenseurs, même lorsque ces derniers sont suffisamment protégés pour ne pas être blessés. Les témoignages de cette expérience ne manquent pas, notamment de la part de soldats de la Première Guerre mondiale. Sans trop étendre le parallèle, on a rapporté des cas de démence ou au moins de déstabilisation psychologique terrible subie par des fantassins qui ont été confrontés à un orage d’acier. Il en est tout à fait de même en Ukraine. Le moral des défenseurs peut être sapé uniquement par un barrage d’intensité suffisante, par les bruits ou encore l’air d’un abri confiné, rendu irrespirable. On peut aussi s’intéresser à l’effet psychologique d’un tir d’artillerie sur un personnel. On entend ici les effets concrets et ciblés. L’image d’un corps heurté par une volée de shrapnels peut aussi impacter profondément la santé psychologique des combattants. Il faut considérer cela en mettant en exergue la relative inexpérience des soldats des deux camps sur le champ de bataille.

Tenir le terrain

Concernant la prise de terrain, c’est un défi d’ordre technique qui attend les artilleurs ukrainiens. Il leur faut d’abord se fixer sur des méthodes de barrages. Ce choix peut avoir un impact tant tactique, puisque bien réalisé, un barrage d’artillerie peut permettre une prise conséquente de terrain, mais aussi un impact psychologique sur les troupes russes. En effet, si les Ukrainiens mettent en place des barrages dits roulants, c’est-à-dire que les points d’impact sont progressivement avancés pour permettre à l’infanterie de fondre directement sur les défenseurs à peine les explosions dissipées, les soldats russes auraient alors la certitude d’être poussés à un combat rapproché immédiatement après un rude tir d’artillerie. Cela pourrait en pousser certains à se rendre plutôt que de devoir vivre de très violents combats. On pourrait de même s’inspirer des méthodes de la Russie impériale durant l’offensive Broussilov en 1916, qui permettait à l’infanterie, répartie en plusieurs vagues d’assauts, de se jeter simultanément sur quatre rideaux de tranchées. Quelle que soit la stratégie adoptée, le défi est bel et bien de trouver, selon la situation, celle qui permettra d’emporter la position sans que l’infanterie ne doive affronter à découvert des défenses russes qui semblent prêtes à subir le choc ukrainien.

On peut aussi évoquer la concentration du feu sur un point précis afin de créer une diversion. Cette stratégie est tout de même plus risquée, car elle mise sur la réaction de l’ennemi. Pour finir sur l’offensive, l’armée ukrainienne devra faire preuve d’une communication efficace afin de ne pas commettre d’erreur majeure. En effet, des tirs mal dirigés peuvent ralentir l’avancée des fantassins, qui, de peur d’être touchés par des alliés, seront en retard par rapport à l’avancée des impacts d’obus. Les tirs de barrage sont des exercices qui demandent une précision d’exécution assez élevée.

Gérer la logistique

Le deuxième point majeur sur la question de l’usage offensif de l’artillerie est celui de la logistique. Les tirs d’artillerie augmentant en période offensive, la demande de soutien de la part des combattants à pied risque donc d’être supérieure à la capacité de l’armée ukrainienne. La gestion et la hiérarchisation des demandes et des cibles seront donc majeures. En fonction des objectifs que les officiers ukrainiens voudront poursuivre, les moyens leur permettant d’y parvenir devront donc être mobilisés. De même, les munitions devront être disponibles dans toutes les batteries de canons du front. Or l’effort de guerre des Européens arrive à son maximum et il n’est nullement certain que l’Ukraine puisse être ravitaillée.

Un autre problème est soulevé, celui de la répartition des munitions pour l’armée ukrainienne. En effet, du fait de la pluralité des armes présentes sur le champ de bataille, les munitions adéquates doivent être fournies aux bonnes armes. Par exemple, les obus de l’OTAN sont globalement de calibre 155 mm, alors que les armes ukrainiennes sont de calibre 152 mm. Des confusions seraient tout à fait problématiques. De plus, la profusion de types de munitions peut aussi être source d’erreur. Il existe des obus explosifs, d’autres éclairants ou encore d’autres fumigènes. En outre, certains réglages permettent de changer l’usage que l’on fait d’un même obus. En le réglant pour qu’il explose en l’air, on se rend efficace contre les véhicules faiblement blindés, contre l’infanterie à découvert. En revanche, lorsque l’obus est réglé pour exploser une fois enfoui dans la terre, il est plus à même de détruire une fortification. Si ces détails ne sont pas pris en compte, alors l’artillerie ukrainienne perdra en efficacité.

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Un autre élément à prendre en compte est celui de l’usure des canons, qui doit donc être surveillée pour ne pas les rendre hors d’usage trop vite. Cela implique donc un usage réfléchi. Si le matériel se dégrade trop vite, c’est la puissance de feu de l’armée qui est directement impactée, et donc le succès de l’offensive. Enfin, le déplacement des canons est un facteur important. La position des batteries de canons peut faire d’elles des cibles faciles et donc gaspiller du précieux matériel. Si les canons avancent trop ou se placent d’une mauvaise façon, ils peuvent être pris pour cible. De même, si leurs avancées sont trop lentes, les fantassins ne pourront pas avancer aussi vite que possible ou le feront sans protection.

Problèmes d’usage

L’artillerie est donc d’une grande complexité de mise en œuvre, tant dans l’usage des canons que dans la fourniture des munitions.

Or la question est cruciale pour l’armée ukrainienne. Une offensive mal préparée ou mal menée peut être fatale pour une armée. Elle peut conduire à des pertes très importantes, comme l’a montré l’offensive de l’Italie fasciste sur les Alpes pendant la bataille de France, ou tout simplement épuiser une armée et la démoraliser. Si l’Ukraine relève le défi que représente l’usage offensif de l’artillerie, elle peut prendre un avantage conséquent et bousculer l’armée russe. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que Kiev parvienne à ses objectifs.

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