L’Azerbaïdjan va-t-il alimenter l’Ukraine en gaz  ?

30 juillet 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : (c) AFP

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L’Azerbaïdjan va-t-il alimenter l’Ukraine en gaz  ?

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L’Ukraine vient de signer un accord énergétique avec SOCAR Energy Ukraine, la filiale azerbaïdjanaise, pour diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz. Même si les volumes concernés restent modestes, ce contrat est un symbole fort dans le contexte de tensions avec la Russie. L’objectif principal est de renforcer la sécurité énergétique ukrainienne tout en affichant son autonomie sur la scène régionale.

L’annonce récente de la signature du premier accord d’approvisionnement en gaz naturel entre Naftogaz, la compagnie nationale ukrainienne, et SOCAR Energy Ukraine, filiale du géant pétrolier d’État azerbaïdjanais SOCAR, doit être replacée dans le contexte plus large de la géopolitique énergétique régionale. Bien que portant sur des volumes modestes, ce contrat revêt une importance stratégique indéniable pour l’Ukraine, qui cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement et à renforcer sa sécurité énergétique dans un contexte de tensions persistantes avec la Russie.

Le corridor Transbalkan

Pour la première fois, une livraison de gaz a été effectuée via le corridor dit « Transbalkan », qui relie la Bulgarie, la Roumanie et l’Ukraine. Ce gazoduc, dont le rôle historique est souvent méconnu, était l’artère principale permettant à la Russie d’acheminer son gaz vers la Turquie, avant la mise en service du gazoduc Blue Stream en 2005. Construit à l’époque soviétique, le Transbalkan transportait le gaz russe du nord vers le sud sur un long parcours, traversant l’Ukraine, la Moldavie, la Roumanie et la Bulgarie, pour finalement atteindre la Turquie. L’inauguration du Blue Stream, qui relie directement la Russie à la Turquie sous la mer Noire, a rendu le Transbalkan partiellement obsolète. Ironie de l’histoire, sur la photo de l’inauguration du Bluestream, on voit parfaitement la route qu’empruntait le gaz russe tout autour de la mer Noire.

Aujourd’hui, dans un revirement de situation révélateur des bouleversements géopolitiques, ce même gazoduc est sollicité pour fonctionner en sens inverse : il s’agit désormais de faire remonter du gaz azerbaïdjanais, et non plus russe, depuis le sud vers le nord, en direction de l’Ukraine. Cette inversion de flux, rendue possible par de simples adaptations techniques, témoigne de la volonté des pays d’Europe orientale de se libérer de leur dépendance au gaz russe tout en tirant parti des infrastructures existantes pour diversifier leurs approvisionnements.

Tensions entre l’Azerbaïdjan et la Russie

Il convient toutefois de nuancer la portée réelle de cette annonce. Si la coopération entre Naftogaz et SOCAR s’inscrit dans une dynamique de diversification, elle revêt avant tout une dimension politique, dans un contexte de tensions croissantes entre l’Azerbaïdjan et la Russie. En effet, la capacité des gazoducs transportant le gaz azerbaïdjanais vers l’Europe reste limitée. Le corridor gazier méridional, composé notamment du TANAP et du TAP, ne permet d’acheminer qu’environ 16 à 20 milliards de mètres cubes par an, avec des perspectives d’augmentation à moyen terme, mais qui sont loin de compenser les flux russes historiques. En 2024, l’Azerbaïdjan a exporté 12,9 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Europe, un chiffre significatif, mais encore insuffisant pour répondre à la demande croissante du continent.

Derrière l’effet d’annonce, il faut donc voir une manœuvre diplomatique visant à afficher l’indépendance énergétique de l’Ukraine et la montée en puissance de l’Azerbaïdjan en tant que fournisseur alternatif. Cependant, la réalité technique demeure têtue : les capacités physiques des infrastructures existantes, qu’il s’agisse du Transbalkan ou du Corridor méridional, ne permettent pas, pour l’instant, de bouleverser l’équilibre énergétique européen. Cette opération s’inscrit donc davantage dans une logique de signal politique, dans un contexte de rivalités régionales et de recomposition des alliances énergétiques, que dans une transformation structurelle du marché gazier continental.

La Chine se réjouis de la politique de décarbonation

Sans de nouveaux investissements de plusieurs milliards d’euros, le corridor sud restera incapable de satisfaire pleinement la demande énergétique des pays européens — et pas seulement de l’Union européenne. Pourtant, les banques européennes, paralysées par la crainte d’être perçues comme non écologistes par leurs clients, refusent désormais de financer des projets d’énergie fossile qui, depuis l’Azerbaïdjan et au-delà de la mer Caspienne, pourraient pourtant renforcer de manière décisive notre sécurité d’approvisionnement énergétique.

La Chine prend progressivement le contrôle d’infrastructures stratégiques dans l’UE, ce qui représente un risque majeur pour notre sécurité et notre souveraineté. Cette mainmise concerne des secteurs essentiels tels que les ports, les réseaux énergétiques et les télécommunications. Concrètement, le contrôle chinois sur des ports européens transforme ces sites logistiques en atouts potentiels pour des intérêts militaires, pouvant servir de bases pour la marine chinoise en cas de crise, ou encore pour assurer aux entreprises chinoises une position dominante sur les chaînes logistiques.

Dans le secteur énergétique, la détention et la gestion d’infrastructures clés donnent à Pékin un levier décisif : en période de tensions internationales, la Chine pourrait menacer ou influencer nos approvisionnements et notre stabilité économique. Faut-il attendre, comme dans d’autres secteurs stratégiques, que la Chine saisisse cette opportunité, finance ces infrastructures et prenne ainsi le contrôle de nos gazoducs — donc, in fine, de notre sécurité énergétique ? Cela reviendrait à sacrifier notre indépendance sur l’autel d’une posture politique irréaliste et dangereuse.

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À propos de l’auteur
Samuele Furfari

Samuele Furfari

Samuel Furfari est professeur en politique et géopolitique de l’énergie à l’école Supérieure de Commerce de Paris (campus de Londres), il a enseigné cette matière à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) durant 18 années. Ingénieur et docteur en Sciences appliquées (ULB), il a été haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne durant 36 années.

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