<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le dialogue religieux comme instrument diplomatique

15 décembre 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Pope Francis and Kazakh President Kassym-Jomart Tokayev, Congress of Leaders of World and Traditional Religions in Astana,/SPUTNIK_09420030/2209140949/Credit:Ilya Pitalev/SPUTNIK/SIPA/2209141507

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Le dialogue religieux comme instrument diplomatique

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Traversée par de nombreux courants religieux, parfois violents et bellicistes, l’Asie centrale demeure l’un des chaudrons du monde. Certains États tentent néanmoins de s’appuyer sur le fait religieux pour promouvoir la paix et la culture de la rencontre, à l’instar de l’œuvre de Jean-Paul II avec la réunion d’Assise (1986). C’est ce que tente également de faire le Kazakhstan depuis son indépendance en 1991. Les chefs religieux ont contribué à apaiser les violentes manifestations de janvier 2022, eux qui se réunissent tous les trois ans lors du Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles. Une preuve que les religions peuvent édifier la paix et la concorde.

Dans l’esprit de beaucoup, la religion est facteur de guerre ; une impression accrue par le fondamentalisme islamiste et les guerres pratiquées au nom de certains cultes. Loin de ces projets bellicistes, certains États tentent d’en faire un facteur de paix et de cohésion, comme ce que tentait Jean-Paul II avec la réunion d’Assise (1986). C’est la voie suivie par le Kazakhstan qui souhaite aussi jouer ce rôle de pont diplomatique.

Mosaïque ethnique et religieuse, le Kazakhstan est majoritairement peuplé de musulmans sunnites et chiites (près de 70 % de la population) et de chrétiens orthodoxes (25 %). Mais à l’inverse d’autres pays d’Asie centrale, il ne connaît ni trouble religieux ni poussée fondamentaliste. La Constitution adoptée en 1993 désigne ce pays comme une république laïque, chose assez rare dans le monde musulman.

Cette coexistence pacifique, y compris entre chiites et sunnites, est à la fois un atout pour la stabilité intérieure et un élément de sa diplomatie, le pays misant sur cette coexistence pour faire du dialogue interreligieux l’un des piliers de sa politique de relations internationales et de son positionnement sur la scène mondiale. Lors des violentes émeutes de janvier 2022, le métropolite d’Astana et du Kazakhstan, Alexandre, et le mufti suprême Nauryzbai Kazhy ont ainsi lancé des appels conjoints à l’unité et à la pacification afin de contribuer au rétablissement de la paix sociale. Cette action a joué un rôle important pour le retour de la stabilité dans le pays.

Une mosaïque d’identités religieuses au sein d’une même unité nationale

Outre les défis économiques et politiques, le grand défi du Kazakhstan indépendant était de renouer avec son identité nationale, chose qui n’était nullement aisée pour un pays de 18 millions d’habitants et de 130 groupes ethniques différents. Le travail essentiel de la présidence Nazarbaïev a été de créer un véritable sentiment national kazakh qui transcende l’appartenance au monde russe. Pour cela, le premier chef d’État s’est appuyé sur les différentes religions du pays, réussissant à renforcer cette unité sans détruire la pluralité ethnique et religieuse. Le facteur religieux a été essentiel dans la construction de l’identité nationale, tout en réussissant, jusqu’à présent, à éviter les mouvements islamistes qui se développent pourtant dans les pays frontaliers du Kazakhstan.

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Un œcuménisme culturel au service d’une diplomatie multivectorielle 

Le Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles, qui se tient tous les trois ans depuis 2003, est ainsi l’un des axes forts de la diplomatie du Kazakhstan. L’édition de 2018 a réuni près de 80 chefs religieux des principales confessions mondiales. Dans une Asie centrale bordée par l’Iran, l’Afghanistan et le Caucase, traversée de mouvements fondamentalistes et de velléités de califat internationalistes, défendre et prôner le dialogue interreligieux est apparu comme une nécessité.

Ce forum est particulièrement important aux yeux des autorités kazakhes. L’actuel chef de l’État, Kassym-Jomart Tokaïev, a longtemps exercé les fonctions de chef du secrétariat de ce Congrès lorsqu’il présidait le Sénat du Kazakhstan. Car dans un pays où près de 40 confessions religieuses cohabitent, cette démarche est non seulement un outil diplomatique, mais aussi un impératif de politique intérieure.

On pourra toujours trouver un aspect irénique à ce type de réunion et se demander si elles ont une réelle utilité, mais elles ont le mérite d’exister et de proposer une réponse nécessaire aux chocs que tentent de créer des mouvements fondamentalistes. Jean-Paul II a tenté une chose similaire avec les rencontres d’Assise ainsi que le pape François lors de son séjour en Égypte (2017) et surtout à Abou Dhabi (2019), avec la signature du Document sur la fraternité humaine. Dans un monde de nouveau marqué par les guerres et les conflits de haute intensité, toutes les initiatives en faveur de la paix et de l’échange sont toujours de bonnes choses.

Congrès 2022

Le Congrès qui s’est tenu en septembre 2022 a marqué une nouvelle étape dans l’approfondissement de cette diplomatie des religions avec, pour la première fois, la venue et la participation du pape. Un accroissement de visibilité pour le Congrès souligné notamment par Bulat Sarsenbayev, l’un des fondateurs de l’événement : « Pour comparer avec le premier congrès, il n’y avait que 17 délégations. Maintenant, nous avons plus d’une centaine de délégations, et cela montre qu’il y a un intérêt dans le monde, et qu’il y a un soutien des chefs spirituels. » Le pape François a insisté sur la nécessité de dialoguer « avec tous » pour « renforcer le multilatéralisme ». Son souhait était de rencontrer le patriarche Kirill à Astana, après la rencontre de Cuba (2016). Une rencontre annulée quelques semaines avant le congrès, le patriarche russe ayant refusé d’y participer. Le pape a dû se contenter d’une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères de l’Église orthodoxe russe, ce qui lui a toutefois permis de tenter ses pourparlers de paix et de réconciliation. Une rencontre des chefs religieux que le pape ne veut pas transformer en bouillie néosyncrétiste : « Ne cherchons pas de faux syncrétismes conciliants, mais gardons nos identités ouvertes au courage de l’altérité, à la rencontre fraternelle. »Dialoguer et échanger oui, mais dans le respect des identités et des spécificités de chacun. Un vaste programme pour le congrès d’Astana qui s’affirme d’année en année comme l’un des leviers essentiels de la diplomatie kazakhe.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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