Le Hezbollah se finance essentiellement par de l’argent liquide, qui provient notamment de la diaspora libanaise. Plusieurs saisies récentes à l’aéroport de Beyrouth fragilise ces routes de financement et démontrent que le Hezbollah perd le contrôle du Liban
La récente saisie, à l’aéroport international de Beyrouth, de près de sept millions de dollars en espèces dissimulés dans des valises en provenance du Congo a ravivé les soupçons autour des circuits financiers du Hezbollah. L’affaire, révélée par plusieurs médias arabes et confirmée par les autorités douanières libanaises, met en lumière un pan opaque du financement de cette organisation politico-militaire chiite : le recours aux diasporas africaines et aux transferts de fonds en liquide, contournant les circuits bancaires officiels.
Du Congo au Liban
Trois passagers, à bord d’un vol en provenance de Kinshasa via une compagnie éthiopienne, ont tenté d’introduire la somme dissimulée dans trois valises. L’un d’eux aurait déclaré ne transporter que 200 000 dollars, mais la fouille a révélé une somme bien supérieure. Les voyageurs, originaires d’une localité du Liban-Sud, bastion traditionnel du Hezbollah, ont été remis au bureau des crimes financiers. Officiellement, l’argent était destiné à des « commerçants ».
L’Afrique, depuis plusieurs décennies, joue un rôle central dans les circuits financiers parallèles du Hezbollah. La forte implantation des communautés chiites libanaises dans des pays comme la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Nigeria a permis la constitution de réseaux de dons, de transferts et d’activités commerciales servant de relais. Longtemps tolérés, ces circuits sont désormais sous surveillance croissante des États africains eux-mêmes, ainsi que des puissances occidentales, inquiètes d’un possible financement de la reconstruction militaire du Hezbollah, véritable État dans l’État libanais.
Selon les informations relayées par les médias, l’homme porteur de la somme n’a d’abord présenté aucune déclaration douanière, ce qui a provoqué l’ouverture de ses bagages. La saisie a été confirmée par le parquet financier, mais classée sans suite après intervention du Conseil supérieur chiite, qui a invoqué l’immunité religieuse. Interrogé par des journalistes, un représentant du Conseil aurait déclaré : « Cette somme appartient à une institution religieuse et a pour objectif d’aider la population dans cette période de crise. »
Circulation de l’argent
La saisie du 19 juin n’est pas un cas isolé. En février dernier, les services de douane de l’aéroport de Beyrouth ont intercepté 2,5 millions de dollars en espèces, transportés par un passager en provenance de Turquie. Le suspect s’était vu remettre l’argent à la zone franche de l’aéroport Sabiha Gökcen d’Istanbul par un homme venu d’Iran. L’argent, dissimulé dans des bagages, a été découvert lors d’un contrôle ciblé. Ce qui a provoqué un tollé, c’est que cette somme a été rapidement revendiquée publiquement par le Conseil supérieur chiite, la plus haute autorité religieuse de la communauté chiite libanaise. Ce dernier a affirmé qu’elle était destinée à des « œuvres sociales », sans fournir davantage de précisions.
Cette dépendance croissante au cash s’explique par la conjoncture géopolitique. Le Hezbollah subit un tarissement progressif de ses sources traditionnelles de financement. La guerre de 2024-2025 contre Israël a mobilisé d’immenses ressources humaines et financières. Parallèlement, l’affaiblissement du régime syrien de Bachar el-Assad, qui assurait le lien logistique entre Téhéran et Beyrouth, a compromis la viabilité de la « route terrestre » de l’axe chiite. Quant à l’Iran, affaibli par les sanctions et surtout par la guerre de douze jours, il ne peut plus garantir le niveau d’aide d’autrefois.
Le rôle vital de l’aéroport de Beyrouth
Mais c’est surtout la perte du contrôle de fait de l’aéroport international de Beyrouth qui symbolise le changement d’époque. Pendant près de deux décennies, cet aéroport a constitué un maillon logistique vital pour le Hezbollah. Ce contrôle ne s’exerçait pas de manière institutionnelle, mais reposait sur la proximité géographique avec la banlieue sud – son fief –, l’influence au sein des douanes et des services de sécurité, et la capacité de dissuasion politico-communautaire du parti. Il permettait l’acheminement discret de fonds, de cadres et parfois de matériel militaire, notamment via des vols opérés par des compagnies iraniennes comme Mahan Air.
Depuis la guerre, ce bastion logistique est devenu un espace disputé. La décision libanaise de suspendre les vols en provenance de Téhéran, à la suite de menaces israéliennes de frappes, a marqué une rupture. Elle a montré que même dans ses zones d’influence, le Hezbollah n’est plus à l’abri d’un encadrement contraignant. La réaction du parti, dont les partisans ont bloqué les accès à l’aéroport en février 2025, a illustré cette perte de maîtrise : on ne manifeste pas pour ce que l’on contrôle encore.
Ce basculement est lourd de conséquences. Il rend les transferts de fonds plus risqués et plus visibles. La saisie de l’argent en provenance du Congo, issue d’un banal contrôle de routine, le montre bien. Mais il est permis de penser que ce succès n’est pas uniquement dû à la vigilance des douaniers libanais : il s’inscrit dans un contexte régional et international de surveillance renforcée, voire de coopération discrète avec des services étrangers décidés à entraver les capacités logistiques du Hezbollah.
Dans ce contexte, le recours à des valises de billets n’est pas seulement une méthode pratique : c’est un aveu de fragilité. Le financement informel devient un indicateur de la pression croissante exercée sur l’organisation par les sanctions et les frappes ciblées. C’est aussi peut-être le signe d’un frémissement institutionnel : celui d’un État libanais qui, malgré ses failles, commence à réinvestir certains domaines-clés de sa souveraineté longtemps délaissée.