Le parlement joue un rôle central dans la vie politique française. Mais son rôle et sa fonction n’ont cessé d’évoluer depuis 1789. Benjamin Morel en retrace l’historique, afin de mieux appréhender le sens de la vie politique.
Maître de conférences en droit public, Benjamin Morel est devenu, dans le contexte politique actuel, omniprésent sur les différentes chaînes de télévision. Il commente avec régularité les aléas de la vie politique, et l’objet de cet ouvrage s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Avec une majorité relative à l’Assemblée nationale depuis sa réélection en 2022, une absence de majorité depuis la dissolution, le pouvoir exécutif doit inventer ou réinventer une nouvelle méthode pour gouverner avec/face au Parlement.
Cet ouvrage permet d’inscrire cette réflexion dans la longue durée, depuis 1789, ce qui permet de comprendre les spécificités du parlementarisme « à la française » qui a pu connaître des périodes de mises en lumière, mais également d’effacement.
Face au parlementarisme
Il est évidemment possible de faire des comparaisons avec le système parlementaire britannique, qui a évolué de façon progressive, notamment pour le mode de scrutin uninominal à un tour, qui permet de constituer, dans un système bipartisan, des majorités stables. C’est au sein même du parti majoritaire, conservateur ou travailliste, que peuvent se dérouler des confrontations conduisant à des changements dans l’exécutif.
Si la période couverte par cet ouvrage en fait un livre d’histoire, on n’y trouve pas forcément une chronique de la vie politique. Plus que les actions des parlementaires, y compris les plus éminents, ce sont les fonctionnalités des assemblées, l’adoption de leurs différents règlements, qui doivent attirer l’attention. Cela peut surprendre un historien qui aurait tendance à attendre un récit de la vie parlementaire, mais, en réalité, Benjamin Morel propose une réflexion analytique, avec une précision d’entomologiste qui peut surprendre.
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Dans les turbulences de l’histoire
Les deux premières parties de l’ouvrage couvrent la période 1789 – 1918, avec des périodes qui s’inscrivent dans les turbulences de l’histoire du pays. Si, pendant la dernière décennie du XVIIIe siècle avec la constituante et l’Assemblée législative, le parlement se met en place, en se constituant comme le centre de la vie politique, au détriment de l’exécutif, il doit se soumettre, dans une démarche d’auto-soumission au Comité de salut public issu de la convention. Il est tout de même capable de mettre un terme à la terreur robespierriste avant de voir ses prérogatives réduites sous le directoire et surtout sous le consulat et l’empire.
Entre 1814 et 1918, le parlement parvient progressivement à s’imposer, en même temps que le corps électoral devient plus important, tout en restant strictement masculin. La culture parlementaire se construit, même sous le Second Empire, avant de s’imposer au pays, y compris pendant la période de la Première Guerre mondiale.
Le triomphe du Parlement, entre 1870 et 1918, correspond à un véritable changement de culture par rapport aux périodes antérieures. Les assemblées révolutionnaires se faisaient les porte-parole de la volonté générale, les représentants, désormais, libres de leur vote, entre deux élections, délibèrent véritablement, pour exprimer l’intérêt public. Cela n’empêche évidemment pas que les parlementaires puissent se faire les porte-parole d’intérêts particuliers ou de groupes d’influences, assez mal définis d’ailleurs. Il faut bien retenir ce que dit l’auteur lorsqu’il explique : « la responsabilité n’était pas perçue comme découlant d’une décision individuelle, mais comme un attribut collectif éprouvé par des organes délibérant publiquement. Ce qui était responsable devant le peuple n’était donc pas le député, mais le parlement. »
Le parlement ou le peuple ?
Au-delà des parlementaires et des séances plénières, c’est le travail en commission qui retient également l’intérêt. Le travail législatif a pour fonction d’organiser la société en apportant des réponses efficaces à des situations spécifiques, qui apparaissent au fil du temps avec l’évolution vers la modernité.
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Le personnel politique a pu également se renouveler et les dynasties de notables, dont certains issus de la noblesse ou de l’aristocratie, laisser la place à des professions libérales, médecins et avocats, mais également, grâce au parti socialiste à la petite bourgeoisie, enseignants et employés.
Il faut attendre les années 1920 et le parti communiste pour voir apparaître des ouvriers, formés dans les écoles de cadres, sur les bancs du Parlement. Cette évolution a d’ailleurs conduit à ce que se développe un régime indemnitaire pour les députés et les sénateurs, ce qui va évidemment dans le sens de la démocratisation.
Si le Parlement a pu conduire le pays pendant la guerre, en se soumettant globalement au pouvoir exécutif, il n’a pas été en mesure de le faire lorsque commence la Seconde Guerre mondiale. En réalité la crise date des années 1930, avec déjà des difficultés à constituer une majorité, et, progressivement l’usage des décrets-lois avec Tardieu et Laval a pu réduire les prérogatives du Parlement. En renonçant volontairement à son pouvoir de contrôle, et dans le contexte de la débâcle, la majorité des parlementaires se soumet finalement au projet de Laval, ce qui conduit à la suspension des deux chambres le 11 juillet 1940.
Les partis face au parlement
La IVe République a voulu construire un parlementarisme moderne, mais, dans la pratique, les tentatives ont abouti à un échec. La Refondation du parlementarisme sur des coalitions de partis n’a pu être réalisée, même si, contrairement à une idée préconçue, la IVe République n’a pas été un régime des partis. Ce serait plutôt, selon Benjamin Morel, leurs faiblesses qui ont constitué l’essentiel du problème. Et il faut reconnaître que, au sein même des groupes parlementaires, les inflexions sur certaines questions, comme la communauté européenne de défense, ont pu contribuer très largement à l’instabilité. On pourrait évidemment discuter cette analyse, à la lumière de la situation présente. L’adoption sous la Ve République de la deuxième motion de censure a bel et bien été souhaitée par des partis, pourtant opposés, qui ont pu, à cette occasion, se donner l’impression qu’ils revenaient dans le jeu politique. Du point de vue strictement parlementaire, cela peut sembler évident. Il faut toutefois tirer quelques enseignements de l’histoire, et notamment de la crise du parlementarisme pendant les années 30, pour voir quelques similitudes avec la situation présente. Une forme de décalage de plus en plus évidente entre les aspirations des Français et l’action de leurs représentants. Si l’opinion publique pouvait dans les années 30 être largement influencée par la presse, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la multiplicité des sources d’information. Au passage, il n’aurait pas été inutile que l’on trouve dans cet ouvrage une forme d’analyse du rôle des réseaux sociaux dans le travail parlementaire.
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Cet ouvrage en réalité en annonce un autre, chez le même éditeur « Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme » dont la parution est attendue le 19 février 2025. Il trouvera dans ces colonnes des lecteurs attentifs.