L’enfer et les bonnes intentions. Éditorial du hors-série n°6

12 septembre 2017

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L’enfer et les bonnes intentions. Éditorial du hors-série n°6

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Le Moyen-Orient vit en enfer, nous dit Georges Corm dans l’entretien qu’il nous a accordé. Mais il croule moins sous les bombes que sous les bons sentiments.

Conflits HS n°6, automne 2017

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L’enfer est pavé de bonnes intentions. En 2003, Washington intervenait en Irak pour construire un « Grand Moyen Orient » démocratique, une Amérique en miniature qui rayonnerait sur la région. En 2011, les «printemps arabes » soulevaient une vague d’enthousiasme dans nos pays : enfin le Moyen-Orient s’ouvrait à la modernité et entrait dans la normale telle que les Occidentaux la définissent. La même année, des intellectuels compatissants appelaient à renverser Kadhafi. Malgré (ou à cause) de ces références morales, les trois événements ont contribué plus que tout autre à la décomposition du Moyen-Orient.

Fallait-il préférer les dictatures, souvent corrompues et brutales ? Ne fallait-il pas soutenir la croisade américaine pour la liberté, aider ces révolutions qui nous évoquaient le « printemps des peuples » de 1848, renverser les tyrans ? Les « bien intentionnés » ont leurs arguments.

Le problème des bonnes intentions, c’est qu’elles ne sont pas si bonnes qu’elles le prétendent. En s’abritant derrière elles les puissances promeuvent leur intérêt avec plus d’efficacité. Qui croit que les islamistes aspiraient vraiment à la démocratie à l’occidentale ? Ils s’en servaient pour prendre le pouvoir et le confisquer ensuite. Et qui pense que la guerre d’Irak n’était motivée que par des considérations généreuses ? L’ancien secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, l’avouait sans fard: « Nous ne sommes pas là pour les figues », plutôt pour le pétrole laissait-il entendre.

Derrière les bonnes intentions et les bons sentiments, la manipulation qui privilégie, on le sait, les images et les émotions qu’elles suscitent.

Derrière les bonnes intentions et les bons sentiments, la manipulation qui privilégie, on le sait, les images et les émotions qu’elles suscitent.

Derrière les bonnes intentions et les bons sentiments, la manipulation qui privilégie, on le sait, les images et les émotions qu’elles suscitent. Un nouvel exemple en est fourni par un petit enfant, Omran Daqneesh, rescapé des ruines d’Alep en août 2016. Secouru, il est filmé et sa photo (ci-contre) fait le tour des médias ; il devient le symbole de l’atrocité du siège de la ville. De rares journalistes comme ceux du Parisien ou d’Arrêts sur images émettent des doutes sur ce reportage. Ils sont inaudibles au milieu du tintamarre des lamentations. Ce bruit et les larmes qui l’accompagnent ont un but : faire pression sur Assad pour qu’il renonce à son assaut sur Alep-Ouest et pour que les rebelles conservent cette partie de la ville.

En juin 2017, le petit Omran réapparaît (1). Son père accorde des entretiens: il se déclare favorable au régime d’Assad; il ne voulait pas, explique-t-il, que son fils soit utilisé ; il craignait pour la vie de l’enfant, un souci que les photographes n’ont pas éprouvé quand ils l’ont mis en avant ; pour cette raison il a refusé d’être interviewé par les rebelles même contre argent. La nouvelle est rapidement évoquée dans quelques journaux qui précisent aussitôt que ces déclarations sont sujettes à caution, la famille vivant dans la zone tenue par les forces loyalistes.

Ne tombons pas dans le travers que nous reprochons aux « bien intentionnés ». La parole du père d’Omran n’est sans doute pas libre aujourd’hui. L’était-elle autrefois quand il vivait dans Alep-Ouest tenue par les rebelles ? La question aurait mérité d’être posée.

Émotions, bons sentiments et bonnes intentions constituent le socle de la géopolitique compassionnelle. Mais celle-ci n’est qu’un habillage de la géopolitique traditionnelle dont les intérêts priment. Ne croyez pas ceux qui prétendent l’inverse, ils sont manipulés ou manipulateurs. Décidément, on ne fait pas de bonne géopolitique avec de bons sentiments.

Pascal Gauchon

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