« Les colonnes infernales », d’Anne Rolland-Boulestreau

9 juillet 2025

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Photo : La Vendée au combat (c) Vaincre ou mourir

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« Les colonnes infernales », d’Anne Rolland-Boulestreau

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Retour sur l’un des épisodes tragiques de la Révolution avec les colonnes infernales qui ont ravagé la Vendée. Grâce à un travail sur des sources inédites, Anne Rolland-Boulestreau éclaire la complexité de ces drames.

Les guerres de Vendée constituent un épisode de la Révolution un peu plus connu depuis, notamment le film « Vaincre ou mourir », réalisé par Paul Mignot et Vincent Mottez avec le patronage du Puy du fou films.

Pour autant, la mesure des massacres et destructions perpétrés à cette occasion reste largement méconnue d’une grande partie des Français. La spécialiste Anne Rolland-Boulestreau, à travers son travail de recherches fondé sur de nombreuses sources, parfois encore inexploitées, nous permet d’y voir plus clair sur cette tragédie, les hommes concernés, et les représentations alors en vigueur au sujet de l’ennemi et de la nation.

Anne Rolland-Boulestreau, Les colonnes infernales – Violences et guerre civile en Vendée (1794-1795), TALLANDIER, juin 2025, 304 pages.

À travers cet ouvrage, l’auteur cherche à dépassionner le débat concernant la question de la Vendée. Perversion de l’esprit révolutionnaire pour les uns, populicide pour les autres (Reynald Secher), mal nécessaire pour d’autres encore, elle tente d’extraire les polémiques pour s’attacher à recourir aux nouvelles méthodes de l’historiographie, fondées notamment sur l’idée de la polymorphologie de la guerre. Elle ne manque pas, cependant, de contester au passage ceux qui, à l’image de Reynald Secher entre autres, présentent selon elle une histoire qu’elle qualifie de « biaisée » des colonnes.

Un peu à l’instar du travail d’un Colin Jones sur la chute de Robespierre, elle se base sur des sources dites « de première main » et sur la « micro-histoire », se fondant sur des archives contemporaines des événements, qu’il s’agisse de rapports des colonnes écrites au jour le jour ou de témoignages de vendéens au moment des grands procès qui débutent à l’automne 1794. L’objectif est ainsi de s’inscrire dans « les nouvelles thématiques de recherche, sur la violence, la sensibilité et les émotions, les relations interpersonnelles et les représentations mentales des hommes et des groupes », en s’appuyant en outre sur les nouvelles méthodes de l’agentivité.

Son champ d’études reste concentré uniquement sur les colonnes infernales elles-mêmes, vues de l’intérieur, ainsi que le titre l’indique ; le côté Chouans n’est jamais abordé, si ce n’est la vision extérieure qu’en ont les républicains engagés au sein des colonnes.

N’étant pas moi-même historien, ni spécialiste de quoi que ce soit malgré quelques lectures sur la révolution dont quelques références figurent en fin d’article (recensions), je me bornerai à une simple restitution de l’esprit de l’ouvrage, en me gardant de tout parti pris.

Des massacres et destructions effroyables

Anne Rolland-Boulestreau commence par rappeler le bilan global des trois années de guerre : jusqu’à 95% des maisons rasées en certains endroits, des dizaines de milliers de réfugiés, de 60 à 100 000 soldats républicains mobilisés, des milliers de viols, entre 140 et 220 000 morts au total. Le tout sur un territoire de pas plus de 15 000 km2 au plus fort de la guerre.

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Elle rappelle ensuite les trois grandes phases de celle-ci : les victoires vendéennes (de mars à août 1793), puis le tournant républicain avec la fuite des vendéens insurgés (septembre à octobre 1793), et à partir du 21 janvier 1794, jour commémoratif de la mort de Louis XVI – alors que la Vendée est déjà à genoux – jusqu’à mai 1795, le déploiement des colonnes infernales, sous les ordres du général en chef Turreau.

Cette troisième phase est décrite ainsi :  Une « tragique répétition de massacres de population civile, d’engagements à mort, d’embuscades, d’incendies, de destructions de villages, cette phase montre le couple guerrier infernal formé par l’irrésolution et la brutalité d’une armée en campagne, et ses avatars, la peur, la vengeance, la fureur ».

Une histoire de l’État républicain

La question que pose alors Anne Rolland-Boulestreau est la suivante : « Quelles sont les responsabilités de ces hommes, le sens (ou non) qu’ils donnent à leurs actions, leurs représentations de l’ennemi et de la nation ? ».

Et sa méthode : « Il faut s’intéresser à chaque général, chaque officier dans sa colonne. Suivre les groupes, mais aussi l’individu au fil des événements qu’il vit, la manière dont il les rapporte, et saisir finalement son rapport au monde (…) ».

Dans le contexte de la Terreur, l’auteur cherche ainsi à « identifier les rouages du pouvoir militaire ou civil, central ou local, qui sont intervenus dans cette guerre inouïe, au sens premier du terme ». Qu’est-ce qui, aux yeux des républicains, a pu justifier une telle violence et destruction des êtres ?

« L’ennemi vendéen, cet Autre si menaçant, car si semblable, est à la fois fantasmé et animalisé, pour mieux l’éradiquer », au point qu’Anne Rolland-Boulestreau qualifie ces événements de « guerre de misère ».

Elle s’intéresse notamment – toujours en se basant sur les rapports et témoignages – aux phénomènes de peur panique et d’épouvante suscités de part et d’autre par la guerre et tout ce qui y est lié : embuscades, attaques-surprises, exactions diverses, ainsi qu’à l’attitude de tel ou tel chef face à ces réactions de ses troupes.

Sans oublier la part des représentations idéologiques dans l’armée républicaine, considérant « que la terre de Vendée est corrompue par le « fanatisme » religieux, synonyme d’intolérance (…) peuplée de « hordes de barbares », ces deux termes dessinant les contours d’un pays inquiétant et menaçant directement la République française ».

Le recours à la rhétorique

La rhétorique est d’ailleurs très présente. Il s’agit, pour les républicains sur le terrain, de déshumaniser les Vendéens auprès des autorités parisiennes, de sorte que « d’ennemis à combattre, ils deviennent des fléaux à éradiquer ou des proies à chasser ».

Les métaphores médicales sont utilisées, justifiant les mesures radicales. On parle d’infection, de gangrène ou de peste (dont les épidémies restent encore bien présentes dans les esprits de l’époque). Il convient donc de prendre des mesures pour lutter contre la pourriture des chairs qu’elles engendrent et les fléaux qu’elles représentent, justifiant ainsi l’action radicale des colonnes. Avant d’opter finalement pour l’analogie avec la rage, qui semble mieux symboliser la démence furieuse, la violence et l’agitation extrême que décrivent certains en parlant des Vendéens face à leurs ennemis, maladie que l’on ne peut alors pas encore soigner et qui nécessite des mesures radicales, à l’image des purges, à savoir les exterminations et incendies de villages. Il s’agit d’éradiquer la maladie, d’éviter la contagion, en ne gardant pas non plus de prisonniers.

Et quand ce n’est pas à une maladie, les Vendéens sont assimilés à des bêtes sauvages, celles qui se tiennent en embuscade (loups, fauves) pour attaquer sauvagement les soldats républicains isolés ou au repos, qu’il convient donc de chasser et d’abattre.

C’est dans ce contexte que prend place le plan Turreau, soutenu par les représentants du peuple, malgré des contestations et dénonciations de la violence de l’armée républicaine. Le général en chef ne manque pas, à cette occasion, d’adapter le vocabulaire employé et de faire mine d’ordonner l’évacuation à l’arrière des femmes, enfants et vieillards, lui qui avait préconisé dès janvier 1794 de les tuer.

Il sera finalement destitué en mai 1794, non sans que ses changements de vocabulaire soient repris, les décisions étant désormais prises par le Comité de salut public.

Stratégies et réalités de terrain de la guerre

Anne Rolland-Boulestreau nous explique en détail les politiques et stratégies militaires élaborées et mises en œuvre durant toute cette période des colonnes en action, sous fond de rivalités entre généraux et factions politiques (girondins, dantonistes, hébertistes, sans-culottes, dont on sait que certaines vont se trouver anéanties au cours de cette période), avec les changements de cap initiés au gré de l’évolution du contexte et de la situation. Elle étudie en outre la question peu connue et étudiée des effectifs de ces colonnes et de leur hétérogénéité, de même que leur caractère mouvant, ainsi que de leur armement parfois défaillant et l’état de leur impréparation, comme de leur mauvaise connaissance du terrain.

L’historienne s’intéresse ensuite au profil des hommes de cette guerre, en particulier celui des généraux. Question primordiale, peu étudiée jusque-là, il s’agit là pourtant de choix qui peuvent s’avérer déterminants, écrit-elle. En partie politiques, ils s’accompagnent aussi parfois de l’hostilité de certains aux plans, malgré leur engagement républicain, voire de contestation par les subalternes, la question de l’autorité étant centrale en la matière.

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Les ambitions personnelles, amitiés, inimitiés, rivalités, jouent par ailleurs un rôle non négligeable dans la marche des choses.

De même, les questions logistiques ne doivent pas être éludées. L’auteur aborde ainsi avec précision les ressentiments et drames liés aux pénuries de ravitaillement en nourriture (sans omettre la question des intoxications engendrées par le pain périmé), celles en cartouches et autres équipements indispensables à la guerre, sans oublier des éléments aussi fondamentaux que les souliers, par exemple, dont l’absence peut s’avérer très problématique lors des longues marches des colonnes, notamment en hiver, voire l’uniforme, dont l’absence peut valoir – comme cela est arrivé à certains – de se retrouver égorgé par ses propres alliés, l’absence de signe distinctif lui valant d’être confondu avec l’ennemi. De surcroît, les pénuries jouent un rôle dans les maladies et décès liés aux conditions sanitaires et à la malnutrition, de même que l’évacuation compliquée et la prise en charge difficile des blessés.

Des fléaux révélateurs de l’état des colonnes

Outre les aspects évoqués, c’est aussi l’indiscipline qui semble caractériser l’armée républicaine envoyée en Vendée. À commencer par l’importance du pillage, particulièrement étendu.

« Cette économie du pillage en temps de guerre porte préjudice à l’ordre militaire. Les généraux de colonne sont autant lucides que démunis face à ces problèmes de discipline ».

Elle conduit à des désertions en pleines manœuvres militaires, au mépris de la hiérarchie, impuissante, qui se trouve désabusée face à un tel désordre. D’autant plus qu’il se généralise et nuit au fonctionnement de l’armée en mission, le faisant alors comparer à la lèpre. Ces pillages apparaissent comme le symptôme d’un conflit mal maîtrisé et d’un État qui ne dispose pas des moyens de sa politique. Certains soldats vont même jusqu’à assassiner des civils républicains pour de menus larcins.

Mais ce n’est pas tout. L’ivresse et les réseaux de prostitution au sein de l’armée constituent deux autres fléaux.

L’alcool fait partie intégrante de l’armée et des champs de bataille depuis des temps immémoriaux jusqu’à au moins la Première Guerre mondiale. Mais ici il cause des troubles à l’ordre public, y compris parmi des officiers et même certains généraux qui parfois risquent de mettre en péril certaines expéditions par des décisions erratiques.

« Vin, convivialité et violence font bon ménage ». Cependant, tout cela se trouve minimisé par les républicains sur le terrain, préférant user de la thématique de « la fabrique des héros », célébrant la bravoure et l’exemplarité du héros républicain à travers des exemples bien choisis. Stratagème classique et potentiellement efficace.

Une guerre fratricide

Dans la conclusion de l’ouvrage, Anne Rolland-Boullestreau revient notamment sur sa contestation de la thèse de Reynald Secher selon laquelle l’État républicain en gestation aurait fait preuve d’une volonté génocidaire. Reprenant la définition du mot génocide, elle entend écarter cette hypothèse au terme de ses travaux, qualifiant plutôt l’épisode vendéen de guerre civile, fratricide, la « sale guerre » par excellence.

Ce qui n’enlève rien à son horreur et à celle des massacres perpétrés à cette occasion.

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À propos de l’auteur
Johan Rivalland

Johan Rivalland

Johan Rivalland, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Cachan et titulaire d’un DEA en Sciences de la décision et microéconomie, est professeur de Marketing et d'Economie.

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