Les combattants étrangers sont nombreux en Syrie. Certains veulent diffuser le djihadisme international, d’autres veulent vivre de rapines. Dans tous les cas, cela déstabilise lourdement le pays et la région.
Une analyse de Farid Jeanbart
La chute du régime d’Assad, le 8 décembre 2024, a posé des défis structurels au sein de la nouvelle Syrie, contrôlée par l’ex-branche locale d’Al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Cham (Organisation de la libération du Levant – HTS).
Parmi les principaux défis figurent l’effondrement économique, l’anéantissement de la classe moyenne, la désintégration du pays sous l’autorité de facto de diverses factions et les menaces extérieures, notamment israéliennes. Mais le défi le plus crucial concerne les combattants djihadistes étrangers, venus en Syrie pour « soutenir leurs frères dans le djihad contre le régime d’Assad ». Ces combattants expérimentés et aguerris constituent la colonne vertébrale de la puissance militaire du HTS, et par conséquent, de la nouvelle armée syrienne. Contrairement à certaines sources qui sous-estiment leur nombre, ils sont présents par milliers[1]. Principalement originaires d’Europe, d’Asie et des Balkans, ils posent une problématique complexe, tant dans le contexte national syrien que dans le contexte international. Quels sont les principaux défis que ces combattants posent au nouveau régime syrien ? Et pourraient-ils s’intégrer au tissu social syrien, avec toutes ses complexités et sa diversité, tout en abandonnant leur djihadisme militant ? Cet article tentera d’apporter des éléments de réponse.
Djihadisme international vs djihadisme local
Arrivés en Syrie depuis 2012, les combattants djihadistes étrangers aspirent à soutenir leurs frères syriens dans le djihad pour renverser le régime d’Assad et établir un califat islamique. Cependant, les divergences d’opinion et les conflits d’intérêts les ont poussés à se scinder en deux principales branches du djihadisme : l’État islamique, qui prône un djihad international visant à abolir les frontières de Sykes-Picot, et le Front Al-Nusra, qui a prêté allégeance à Al-Qaïda pour des raisons tactiques tout en défendant un djihad national à l’échelle syrienne, respectant pour l’instant les frontières internationales reconnues.
Le dirigeant du Front Al-Nusra, Abou Mohammad al-Joulani, est aujourd’hui président de la Syrie (Ahmad Al-Charaa). Plus pragmatique que les leaders de l’État islamique, il cherche à construire un noyau djihadiste local afin de ne pas provoquer la peur des puissances occidentales et d’obtenir une forme de légitimité régionale et internationale. Dans la plupart de ses discours officiels, il affirme que le but principal de son organisation est seulement de renverser le régime d’Assad. Il multiplie les assurances aux pays voisins en précisant que son djihadisme est avant tout local et issu d’une expérience syrienne unique.
Les combattants étrangers, qui se comptent par dizaines de milliers, sont pris dans ces luttes entre « frères du djihad ». Toutefois, leurs factions principales, comme le Parti islamique du Turkestan, la Brigade étrangère dirigée par le Français Omar Omsen et composée majoritairement d’Européens, ainsi que les Tchétchènes, ont choisi le Front Al-Nusra. Ce dernier, devenu HTS, a su les attirer par des promesses de partage des territoires libérés du régime d’Assad et en leur accordant la liberté de gérer leurs affaires internes. En d’autres termes, les principales factions de combattants étrangers ont opté pour le djihadisme local et ont contribué à l’écrasement du djihadisme international avec la défaite de l’État islamique.
La nouvelle armée syrienne
Les combattants étrangers ont largement contribué à la chute du régime d’Assad. Des vidéos capturées par eux-mêmes pendant la première semaine de l’effondrement montrent des djihadistes français entrant dans la ville côtière de Lattaquié, accueillis chaleureusement par la population syrienne. Nous avons pu constater leur présence à Damas, notamment les Tchétchènes et Ouïghours, disposant de leurs propres barrages et brigades.
Ces combattants ont rejoint la nouvelle armée syrienne, formée principalement de brigades salafistes-djihadistes, réparties entre les 82e et 84e divisions. Ces divisions sont déployées dans le nord de la Syrie (Idlib, banlieue d’Alep, banlieue de Homs et les autoroutes reliant ces trois villes) et le long du littoral syrien. Par exemple, la 84e division, dominée par le Parti islamique du Turkestan, basée basée à Lattaquié et ses banlieues à majorité alaouite, tandis que la Brigade étrangère, également intégrée aux 84e division et composée principalement d’Européens, se situe à Idleb dans des camps isolés où même les forces de sécurité générale syrienne hésitent à pénétrer. Ainsi, les combattants étrangers partagent les territoires et l’influence avec les autres factions djihadistes syriennes, dans un équilibre de pouvoir délicat. L’incident impliquant Omar Omsen en est un exemple.
La rébellion d’Omar Omsen
Les forces de sécurité du nouveau pouvoir à Damas ont lancé le 21 octobre 2025 à minuit un assaut contre le « camp des combattants français » situé à Harem, dans la province d’Idleb, et dirigé par le djihadiste sénégalo-français Omar Omsen. Sa rébellion a commencé lorsqu’une jeune fille nommée Sarah a fui le « camp des Français » avec l’aide d’une femme à l’intérieur du camp. Omsen réplique en fouettant la femme 40 fois et en kidnappant la fille de Sarah. Depuis un certain temps, les autorités syriennes observent Omar Omsen d’un mauvais œil, car il dirige indépendamment le camp, appliquant ses propres lois djihadistes, son tribunal islamique et terrorisant les habitants de Harem. Profitant du kidnapping, le nouveau régime syrien envoie les forces de sécurité générale pour contrôler le camp. L’opération échoue : les djihadistes français sont plus expérimentés, tandis que les forces syriennes sont jeunes, mal équipées et peu expérimentées. Les combattants étrangers commencent à encercler les forces de sécurité, obligeant le régime à mobiliser des factions de l’armée dotées d’armements lourds et d’artillerie.
Omsen appelle alors les autres brigades étrangères à le rejoindre, menaçant que si le président syrien réussit à anéantir le « camp des Français », elles seront les prochaines cibles. Certaines factions, principalement ouzbèkes[2], répondent positivement, frustrées par le pragmatisme du président et ses concessions aux États-Unis, perçus comme l’ennemi numéro un des djihadistes. Les tensions augmentent et de plus en plus de combattants étrangers rejoignent Omsen. L’équilibre des forces tourne en défaveur du nouveau régime, tandis que certaines factions syriennes refusent de combattre leurs « frères » pour « satisfaire l’Occident ». Le régime est contraint d’interrompre l’opération, et un accord est trouvé via des cheikhs et dirigeants djihadistes étrangers, assurant le retour au calme et « l’application de la loi syrienne sur Omar Omsen » dans l’affaire du rapt. Cette rébellion illustre la puissance supérieure des djihadistes étrangers sur le terrain et leur autonomie face au régime syrien. L’intégration de ces combattants dans la nouvelle Syrie demeure complexe, même s’ils occupent des postes clés dans l’armée ou l’administration. Ils préfèrent conserver leurs propres sphères d’influence et camps, véritables îlots isolés. Leur rôle en tant que colonne vertébrale militaire du nouveau régime islamique souligne la fragilité extrême de la Syrie, fragmentée entre autorités de facto au nord et au sud et camps de djihadistes étrangers.
Conclusion
La rébellion d’Omsen montre la difficulté d’intégrer les djihadistes étrangers dans le tissu social syrien. Résidant dans des camps autonomes, éloignés de la population, ils fonctionnent selon leurs propres systèmes légal, militaire et social. Leur nombre augmente avec l’arrivée de familles et amis djihadistes, souhaitant s’établir définitivement en Syrie, par crainte de représailles dans leur pays d’origine.
Leur principal défi est leur isolement et leur méconnaissance de la complexité du tissu social syrien, ainsi que leur refus du pragmatisme du président. Le revirement soudain du discours d’Ahmad Al-Charaa, qui a rencontré Poutine, Trump et Macron, et prévoit une base militaire américaine à Damas[3], crée un profond désarroi parmi les djihadistes étrangers. La rébellion d’Omsen cristallise ces frustrations, révélant la faiblesse du nouveau régime et l’échec de l’intégration.
La Syrie devient progressivement une république djihadiste, mais le risque majeur est sa transformation en « djihadistan », refuge pour tous les djihadistes internationaux planifiant des attaques contre l’Occident. Anciennement reconnue pour sa tolérance et sa diversité religieuse, la Syrie risque de tomber sous l’influence croissante des djihadistes étrangers, sous le regard inquiet de l’Occident.
[1] 1 Il n’y a pas de chiffres précis concernant leur nombre. Mais les recensements réalistes estiment leur nombre à 30 000 combattants, sans compter leurs propres familles. Ce nombre est le plus proche de la réalité, en tenant compte du fait que des combattants étrangers viennent s’installer en Syrie depuis 2012, et que le flux, à travers la frontière turco-syrienne, ne s’est pas arrêté. En plus, ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine se comptent en centaines, ce qui n’est pas significatif.
[2] 2 Les Ouzbeks ont amené des familles entières en Syrie qui se comptent par milliers. Ces familles se sont installées dans les villages alaouites, décimés par les massacres perpétrés par le nouveau régime islamiste en mars 2025.
[3] Selon Reuters, la base militaire américaine se situera à l’aéroport militaire de Mazzé, au cœur de Damas. Le but de cette base est de surveiller un éventuel accord sécuritaire entre Israël et la Syrie. https://www.reuters.com/world/middle-east/us-military-establish-presence-damascus-airbase-sources-say-2025-11-06/.












