Les implications pour l’armée française de la cession des Mirage 2000-5 à l’Ukraine

3 août 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Mirage 2000 sur la base de Niamey, Niger, juin 2021. (AP Photo/Jerome Delay, File)/LLT103/23228264076517/FILE PHOTO/2308161002

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Les implications pour l’armée française de la cession des Mirage 2000-5 à l’Ukraine

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Le 22 juillet 2025, sur le théâtre de guerre ukrainien, la perte d’un Mirage 2000-5 faisant partie des appareils livrés par la France à l’Ukraine à compter de février 2025, soulève de nombreuses questions non seulement sur les raisons de ce crash, mais surtout sur les conséquences négatives de la cession de ces aéronefs sur les capacités des forces armées françaises

Si les causes exactes de l’accident ne sont pas connues, il semblerait que l’avion se soit écrasé dans l’ouest du pays, loin du front de l’Est, et que le pilote soit parvenu à s’éjecter[1]. La cause la plus probable de l’accident serait une défaillance technique[2].

Un coût exorbitant pour la France

Le Mirage 2000-5 français est un chasseur de supériorité aérienne capable de tirer les missiles Mica IR et EM, grâce à son radar ultra-performant RDY. Toutefois, il n’est pas utilisé par les armées ukrainiennes au maximum de ses capacités dans la mission de défense aérienne pour laquelle il a été conçu. Au coût unitaire de 60 millions € environ pour le Mirage 2000-5[3], il est nécessaire d’ajouter les coûts de formation des pilotes et des mécaniciens ukrainiens séjournant sur les bases aériennes françaises pendant plusieurs mois[4]. S’ajoutent également les coûts de transformation de cet appareil, utilisé par les forces armées françaises dans une mission exclusive de défense aérienne (Air Defence), mais qui sert en Ukraine dans une version air/sol[5]. Des militaires français sont probablement actuellement déployés en Ukraine pour continuer sur le terrain cette formation à l’utilisation de l’avion et à sa maintenance[6]. Ces actions, qui pourraient durer plusieurs mois, devraient faire l’objet de clarifications et d’explications par le gouvernement français, dans un souci de transparence, dans une période où des économies drastiques sont demandées aux Français et où l’accent est mis sur la réduction de la dépense publique.

Impossible de compléter les stocks français

Par ailleurs, lorsque   la   France   cède   des   avions   ou   équipements   à   un   pays étranger, des prélèvements peuvent être effectués sur les stocks des forces armées françaises afin d’accroître la rapidité de livraison de ces équipements. Il s’agit ensuite de recompléter les stocks de nos forces par la production de matériels nouveaux, ce qui peut prendre du temps[7].

D’une part, les appareils cédés sont des Mirage 2000-5. Or, il semble que le constructeur ne soit pas en mesure de produire ce type d’appareils en 2025, la priorité des usines Dassault étant la production du Rafale. À la suite de la cession à l’Ukraine des Mirage 2000-5, le « recomplétement » sera donc matériellement impossible.

D’autre part, l’article 4 de la loi n°2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour la période 2024-2030 prévoit des ressources extrabudgétaires nécessaires au   financement   de   l’effort   national   de   soutien   à   l’Ukraine, mais également, en cas de cessions d’équipements et de matériels, des recomplètements nécessaires à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation militaire présentée dans le rapport annexé à la loi.

Pour rappel, la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 indiquait que, fin 2025, 253 avions de combat en parc, dont 171 Rafale (42 Rafale Marine), étaient prévus dans le parc aéronautique des armées.

Or, la nouvelle Loi de Programmation Militaire (LPM) 2024-2030 indique que le parc comprenait fin 2023 : 41 Rafale Marine,100 Rafale Air et 36 Mirage 2000 D rénovés, soit 177 appareils. Ainsi, il apparaît qu’entre les deux lois de programmation militaire, environ 80 appareils de combat ont disparu, dont les 26 Mirage 2000-5F stationnés à Luxeuil-les-Bains ! Ainsi, aucun recomplètement ne serait nécessaire, au regard de l’article 4 de la loi susvisée…

En tout état de cause, comme vu précédemment, ce recomplètement n’est techniquement pas possible. En outre, si le ministre des armées Sébastien Lecornu a annoncé qu’à l’horizon 2026, deux escadrons de Rafale seraient stationnés à Luxeuil-les-Bains pour remplacer les Mirage 2000-5 F qui y sont actuellement stationnés, la date à laquelle aura lieu cette arrivée du Rafale est inconnue. Une perte capacitaire considérable dans le domaine de la défense aérienne et de la police du ciel est donc fortement à craindre dans les années qui viennent pour les armées françaises et la France.

Le risque important de nouvelles pertes

En France, l’armée de l’Air et de l’Espace a mis en place, depuis plusieurs décennies, une organisation et des processus rigoureux, visant à assurer la maintenance de ses appareils et à en assurer une fiabilité technique maximale, qui limite ainsi le taux d’attrition. Une heure de vol nécessite plusieurs heures de maintenance de ces appareils à l’électronique de plus en plus précise et prégnante. Des visites complètes sont fréquemment effectuées au premier niveau (appelé NTI1) sur les bases aériennes et au deuxième niveau (NTI 2) au sein des Ateliers Industriels Aéronautiques.

Il est prévisible que l’Ukraine ne sera nullement en mesure – de surcroît pour une « micro-flotte » de 6 appareils (désormais 5 après le crash) – de mettre en place une telle organisation. Cela signifie que ces visites NTI 1 et NTI 2 devront être réalisées soit en France, soit en Ukraine sous la supervision de mécaniciens français.

L’autre problématique est celle de la formation des pilotes et des mécaniciens, alors que l’Ukraine doit déjà former des équipages et des mécaniciens pour les avions F-16 Falcon qu’elle a reçus de ses partenaires occidentaux. Le président ukrainien aurait   annoncé   vouloir   à   terme   disposer   d’une   vingtaine   d’avions de chasse français. Le 18 juillet 2025, après une conversation avec Emmanuel Macron, Volodymyr Zelensky a déclaré que la France était prête à former de nouveaux pilotes ukrainiens de Mirage 2000[8].

La France ne disposait que de 26 Mirage 2000-5F, avant d’en céder six à l’Ukraine. Ces avions étaient mis en œuvre au sein de l’escadron de chasse 1/2 Cigognes, basé à Luxeuil-les-Bains depuis 2015. Les missions de cet escadron sont d’assurer la police du ciel en France et à l’étranger, par exemple en Estonie dans le cadre de l’OTAN. En outre, quatre de ces appareils sont constamment déployés à Djibouti   et   ces   avions   peuvent   également   assurer   l’accompagnement   de   raids nucléaires.

En conclusion, la cession des Mirage 2000-5 français à l’Ukraine représente un coût important pour la France. De plus, la capacité opérationnelle des forces armées françaises à court et moyen terme est menacée, surtout si d’autres appareils sont cédés dans les prochains mois[9]. Et ce, pour une efficacité opérationnelle des forces ukrainiennes restant à démontrer. En effet, le risque existe de voir l’Ukraine perdre de nouveau des Mirage 2000-5, soit en raison de problèmes de maintenance, soit en raison de l’environnement de guerre. Pour rappel, quatre avions de chasse F-16 livrés à l’Ukraine par ses partenaires occidentaux en 2024 se sont écrasés en août 2024[10], puis en avril 2025[11], mai 2025[12] et juin 2025[13]. Enfin, il est regrettable de constater que ces évolutions ont lieu dans un climat d’opacité et d’absence de transparence vis-à-vis des Français.

[1]https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-zelensky-annonce-la-perte-d-un-premier-mirage-francais-apres-un-incident-2384609.html

[2] https://www.youtube.com/watch?v=Pjeg7BvRJEg

[3] Si l’on se réfère à la cession de 12 Mirage 2000-5 à l’Indonésie par le Qatar pour un coût total de 680 millions d’euros en 2023/2024.

[4]https://france3-regions.franceinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/mirage-2000-francais-livres-a-l-ukraine-les-pilotes-et-les-mecaniciens-ont-ete-formes-a-nancy-3104329.html

[5] D’après France 3, les transformations permettent aux appareils de délivrer des armements air/sol pour mener des opérations de frappes aériennes et de défense anti-guerre électronique. Les équipements ont été ajoutés sur la base aérienne de Cazaux, tandis que les pilotes et mécaniciens ukrainiens ont reçu une formation intensive sur la base de Nancy.

[6] Voir exemples des cessions de Mirage 2000 français à Taïwan ou aux EAU.

[7] Les usines Dassault ne peuvent pas produire, en temps normal, plus de deux avions Rafale par mois.

[8] https://www.challenges.fr/monde/ukraine-la-france-est-prete-a-former-de-nouveaux-pilotes-pour-les-mirage-selon-zelensky_619486

[9] https://www.yenisafak.com/fr/international/zelensky-evoque-avec-macron-la-possibilite-delargir-la-flotte-aerienne-ukrainienne-avec-des-avions-mirage-44686

[10] https://fr.euronews.com/my-europe/2024/08/30/lukraine-confirme-le-crash-dun-des-f-16-fournis-par-loccident-et-la-mort-du-pilote

[11] https://www.aerobuzz.fr/breves-defense/un-premier-f-16-ukrainien-abattu-par-la-russie/

[12] https://www.aerotime.aero/articles/ukraine-f16-crash-pilot-ejects-safe-combat-mission

[13] https://www.kyivpost.com/post/55368

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À propos de l’auteur
Ana Pouvreau

Ana Pouvreau

Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.

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