Les plans de la Chine pour la conquête spatiale

16 mai 2025

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Les plans de la Chine pour la conquête spatiale

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La Chine est décidée à rattraper son retard en matière de connaissance de l’espace et de conquête spatiale. Plusieurs projets sont lancés ou sont annoncés par Pékin. La présence dans le domaine de l’espace est l’un des objectifs du gouvernement actuel.

Le 15 octobre 2024, l’Académie chinoise des sciences, l’Administration spatiale nationale de Chine (CNSA) et le Bureau du programme spatial habité ont conjointement publié le Plan de développement à moyen et long terme des sciences spatiales nationales (2024-2050)[1] qui met en avant cinq grands thèmes scientifiques susceptibles d’engendrer des percées, ainsi que 17 axes de développement prioritaires.

Projet spatial

Les cinq grands thèmes sont : l’univers extrême, les ondulations de l’espace-temps, la vue panoramique Soleil-Terre, les planètes habitables, l’exploration fondamentale de l’espace. Dans le thème « planètes habitables », le Plan propose d’explorer l’habitabilité des corps célestes du système solaire et des exoplanètes, et de mener des recherches sur la vie extraterrestre.

Le Plan fixe des objectifs stratégiques en trois étapes : d’ici 2027, la Chine vise à rejoindre le groupe de tête en sciences spatiales ; d’ici 2035, elle ambitionne d’atteindre un niveau de pointe à l’échelle internationale dans les domaines clés ; d’ici 2050, elle souhaite devenir leader mondial dans des domaines majeurs, et établir la Chine comme une puissance en sciences spatiales.

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Ce Plan, dont certaines missions sont déjà en cours de déploiement, servira de guide pour les recherches spatiales à venir, permettant de mieux coordonner les ressources scientifiques nationales, de cibler les grandes missions scientifiques, de renforcer la coopération internationale, et de favoriser l’obtention de résultats majeurs dans les domaines où la Chine possède déjà une base solide ou des avantages comparatifs, contribuant ainsi au progrès de la civilisation et à l’enrichissement des connaissances humaines.

Pour l’exploration planétaire, la Chine prévoit les missions Tianwen-2, Tianwen-3 et Tianwen-4. Par ailleurs, la Chine mettra en œuvre un programme de missions habitées lunaires, en profitant des essais préalables au premier alunissage habité pour réaliser à grande échelle des expériences scientifiques spatiales.

Dans les dix prochaines années, la station spatiale chinoise se concentrera sur les avancées scientifiques mondiales, les besoins stratégiques nationaux, et quatre grands domaines : les sciences de la vie spatiale et de l’organisme humain, la physique en microgravité, l’astronomie spatiale et les sciences de la Terre, les nouvelles technologies spatiales. Autour de 32 thèmes de recherche, la Chine prévoit de mener plusieurs milliers de projets scientifiques et technologiques de manière continue. Plusieurs missions ont été présentées à destination de Mars, Vénus, Jupiter et Neptune, élargissant ainsi les horizons de l’exploration spatiale chinoise[2].

Ce plan montre une fois de plus la détermination de la Chine à rattraper ses retards en la matière, accélérant son avance rendue nécessaire par le développement de son programme spatial.

Missions Tianwen

Après un vote populaire, Tianwen (天问 : Questionnement au Ciel), une anthologie de poèmes de la période des Royaumes combattants, a été utilisé pour nommer une série de missions chinoises à l’accent astrobiologique.

Tianwen-1[3] est une mission interplanétaire de l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA), première du programme d’exploration planétaire de la Chine. Lancée le 23 juillet 2020, elle comprend six engins, dont un orbiteur, un atterrisseur, une caméra distante et le rover Zhurong[4], avec un total de 14 instruments scientifiques. Ses objectifs incluent l’étude de la géologie martienne, la recherche de traces d’eau, et l’analyse de l’atmosphère et de l’environnement spatial de Mars.

Après son arrivée en orbite martienne le 10 février 2021, l’atterrisseur et le rover ont aluni le 14 mai 2021, faisant de la Chine le troisième pays à réussir un atterrissage en douceur et à établir des communications depuis Mars, et le deuxième à déployer un rover avec succès dès sa première tentative. Le rover Zhurong a roulé sur Mars le 22 mai 2021.

Tianwen-2[5] est une mission prévue pour 2025, visant le retour d’échantillons d’astéroïde et l’exploration d’une comète. Elle explorera l’astéroïde proche de la Terre 469219 Kamoʻoalewa, dont elle prélèvera 100 g d’échantillons via des techniques inédites (ancrage et contact rapide), avec l’aide de mini-sondes et d’explosifs pour détecter des composés volatils. Après avoir largué la capsule de retour sur Terre, la sonde poursuivra vers la comète 311P/PANSTARRS, pour un an d’observations.

La mission embarque 11 instruments scientifiques, dont 8 sont destinés à la télédétection. Ces instruments, principalement des caméras et des spectromètres, servent à étudier la morphologie et la composition de la surface d’un astéroïde et d’une comète.

Tianwen-3[6], prévue pour 2028, est une mission de retour d’échantillons martiens. Elle utilisera deux lancements séparés : l’un pour un orbiteur/retourneur, l’autre pour un atterrisseur/véhicule d’ascension. Le système collectera des échantillons à l’aide d’un robot mobile et d’une foreuse, les transférera à l’orbiteur en orbite martienne, qui les ramènera sur Terre dans une capsule de rentrée atmosphérique.

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La Chine étend son programme spatial ambitieux au Système solaire externe avec Tianwen-4[7], une mission prévue pour 2029 qui ciblera Callisto, une lune de Jupiter, et effectuera un survol d’Uranus en 2045.[8] Cette mission s’inscrit dans la continuité de Tianwen-1 (Mars, 2020), Tianwen-2 (astéroïde + comète, prévu pour 2025), et Tianwen-3 (retour d’échantillons martiens, prévu pour 2028).

Tianwen-4 utilisera des assistances gravitationnelles de Vénus (2030) et de la Terre (2031, 2033) pour atteindre Jupiter en 2035. Une sonde secondaire se séparera pour survoler Uranus. L’objectif principal est l’orbite de Callisto, où un impacteur sera largué afin d’analyser les matériaux éjectés et étudier la composition, la structure et l’atmosphère ténue de la lune. Bien que moins spectaculaire que d’autres lunes galiléennes, Callisto est un témoin préservé de l’histoire primitive du Système solaire et une cible plus accessible à cause de sa faible radiation.

Parallèlement, la Chine envisage une mission Tianwen-5 vers un géant de glace : Uranus (lancement en 2035, arrivée en 2050) ou Neptune (lancement en 2040, arrivée en 2058). Ces missions pourraient inclure des aérostats atmosphériques et des impactors sur des lunes comme Triton. Elles nécessitent des avancées majeures en propulsion électrique, en production d’énergie nucléaire spatiale et en communications longue distance.

Ces projets renforcent la position de la Chine comme acteur majeur de l’exploration astrobiologique et posent les bases d’une compréhension approfondie de la formation du système solaire, l’origine et l’évolution de la vie.

Initiatives en biologie spatiale

Les efforts actuels de la Chine en biologie spatiale se concentrent sur l’adaptation des plantes aux conditions des missions spatiales et sur la compréhension du comportement des micro-organismes dans ces environnements. Par exemple, des recherches ont été menées pour développer des plantes entièrement comestibles et nutritives, adaptées aux fermes spatiales du futur.

Dans le cadre de son programme spatial habité, la Chine a initié des expériences visant à évaluer comment des formes de vie terrestre, notamment des archées et des extrêmophiles, s’adaptent aux environnements spatiaux[9]. Ces recherches sont cruciales pour préparer de futures missions d’exploration interstellaire et envisager la possibilité de migrations humaines vers d’autres planètes. Des expériences ont été menées à bord de la station spatiale Tiangong via les missions Shenzhou XIV et XV, lancées en 2022, avec environ 130 espèces de plantes et de microorganismes sélectionnées.

Les objectifs principaux sont d’étudier l’impact de la microgravité et des radiations cosmiques sur les plantes et les microbes, dans le but de soutenir des missions spatiales longues et des projets de colonisation. Ces recherches visent à comprendre l’adaptation des organismes au milieu spatial, à améliorer la productivité agricole dans l’espace, et à développer des solutions en biotechnologie végétale (ex. : projet WBEEP pour créer une pomme de terre entièrement comestible).

Les microorganismes sont étudiés non seulement pour leur rôle dans la fermentation et la santé humaine, mais aussi pour leur potentiel à produire des médicaments, ou au contraire, pour leur capacité à devenir pathogènes ou résistants aux antibiotiques. Ces mutations sont analysées selon trois théories expliquant leurs effets sur la santé humaine, la bio-ingénierie et la sécurité biologique.

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Enfin, ces recherches servent également à améliorer les cultures terrestres, comme le blé mutant Luyuan 502, issu de graines exposées à l’espace.

Durant la mission Shenzhou-XX, la station spatiale chinoise accueille une nouvelle espèce pour des expériences biologiques : la planaire, un ver plat connu pour ses extraordinaires capacités de régénération[10]. Capable de recréer n’importe quelle partie de son corps, y compris son cerveau, la planaire est un modèle idéal pour étudier la réparation tissulaire et le renouvellement cellulaire. Les chercheurs du Centre de technologie et d’ingénierie pour l’utilisation de l’espace, relevant de l’Académie chinoise des sciences, espèrent que l’observation des planaires en microgravité permettra de mieux comprendre les effets du vol spatial sur la régénération cellulaire, le vieillissement et la longévité humaine.

Cette expérience s’inscrit dans la continuité d’études précédentes menées à bord de la station spatiale, impliquant notamment le poisson-zèbre (étude des protéines liées au développement musculaire et osseux) et la mouche des fruits (étude de la croissance, du mouvement et des rythmes circadiens). L’inclusion des planaires marque une nouvelle avancée dans les recherches biologiques spatiales de la Chine.

Terre 2.0

La Chine prépare aussi une mission spatiale ambitieuse appelée Earth 2.0, dont l’objectif est de découvrir une planète semblable à la Terre située dans la zone habitable d’une étoile similaire au Soleil[11]. Le projet est en phase finale de conception et pourrait être lancé d’ici fin 2026.

Le satellite embarquera sept télescopes : six utiliseront la méthode du transit pour détecter de petites variations de luminosité stellaire causées par le passage d’exoplanètes, en observant plus d’un million d’étoiles dans une vaste zone du ciel, notamment les constellations du Cygne et de la Lyre (comme l’a fait le télescope Kepler).

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Le septième télescope utilisera la microlentille gravitationnelle pour rechercher des planètes errantes (non liées à une étoile) et des exoplanètes lointaines comme Neptune, en visant le centre de la Voie lactée pour maximiser les alignements stellaires. Pour accomplir sa mission, le télescope de 3,2 tonnes doit être placé au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil par une fusée Longue Marche 3 ou 7.

Avec Earth 2.0, la Chine espère approfondir les données recueillies par Kepler et accroître les chances de détecter une véritable « seconde Terre ». La mission mobilise déjà 300 chercheurs chinois, mais pourrait s’ouvrir à la communauté scientifique internationale. L’Europe prévoit une mission similaire, PLATO, également prévue pour 2026.

100 meilleures universités pour l’Astrobiologie en Chine

La Chine investit énormément en ressource humaine pour accélérer ses recherches en astrobiologie. EduRank a publié récemment une liste des 100 meilleures universités pour l’astrobiologie en Chine[12] dont les 10 premières sont : 1. Tsinghua University 2. Peking University 3. Zhejiang University 4. Nanjing University 5. Shanghai Jiao Tong University 6. University of Hong Kong 7. University of Science and Technology of China 8. Sun Yat – Sen University 9. Wuhan University 10. Shandong University.

La coopération internationale

La coopération spatiale entre la Chine et la Russie progresse de manière significative. Un accord récent prévoit notamment la construction d’une base de recherche sur la Lune, ainsi que l’ambitieuse intention de lancer une première mission habitée vers Mars dès 2033[13].

À l’inverse, une telle collaboration semble aujourd’hui inenvisageable entre la Chine et les États-Unis. En cause : l’amendement Wolf — du nom du sénateur Frank Wolf — intégré à une loi de 2011, qui interdit à la NASA d’utiliser des fonds fédéraux pour toute coopération bilatérale directe avec le gouvernement chinois.

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En tant que principal partenaire occidental de la Chine dans le domaine spatial, l’Agence Spatiale Européenne (ESA) a quant à elle participé à plusieurs projets d’exploration lunaire et martienne[14]. Elle a notamment contribué à la mission Chang’e-4 et apporté un soutien au suivi de la mission Tianwen vers Mars. La coopération sino-européenne s’étend également à l’observation des planètes, aux missions interplanétaires, ainsi qu’au partage de données sur l’environnement terrestre, en particulier concernant les océans et le changement climatique.

[1] Wu Na, La Chine va entreprendre la recherche de vie extraterrestre, 16 octobre 2024 – Source : Beijing Daily

[2] Rémy Decourt, La Chine pourrait doubler la Nasa dans la recherche de la vie à travers le Système solaire,  Futura, 31 mars 2025.

[3] Cf. Wikipedia : Tianwen-1

[4] Zhurong doit son nom à une figure mytho-historique chinoise généralement associée au feu et à la lumière, car Mars est appelée « la planète du feu » (chinois : 火星) en Chine et dans certains autres pays d’Asie de l’Est.

[5] Cf. Wikipedia : Tianwen-2

[6] Cf. Wikipedia : Tianwen-3

[7] Cf. Wikipedia : Tianwen-4

[8] Andrew Jones, China’s plans for outer Solar System exploration, Dec 21, 2023

[9] Tuğçe Celayir (TA1TUG), Space Biology Studies in China, 24 Oca, 2023

[10] Simon Mansfield, China sends regenerative flatworms to orbit for biological research, Australia (SPX) Mar 26, 2025.

[11] Brice Louvet, La Chine se prépare à trouver la Terre 2.0, 20 avril 2022

[12] 100 Best universities for Astrobiology in China, EduRank, Updated: March 02, 2025

[13] Brice Louvet, Les États-Unis et la Chine pourront-ils coopérer dans l’espace ? 5 août 2021, 15 h 43 min

[14] La stratégie spatiale de la Chine, ASTRES, February 22, 2025.

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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