L’internationalisation du Renminbi : un bilan d’étape encourageant 2/3

24 décembre 2022

Temps de lecture : 9 minutes
Photo : HAIAN, CHINA - MAY 15, 2022 - A staff member counts renminbi(RMB) at a bank in Haian, Nantong city, East China's Jiangsu province, May 15, 2022. According to the People's Bank of China (PBOC), the INTERNATIONAL Monetary Fund (IMF) Executive Board unanimously raised the weighting of the RENMINBI (RMB) from 10.92 percent to 12.28 percent after completing its quennial review of the valuation of Special Drawing Rights (SDR), up 1.36 percentage points. (Photo by CFOTO/Sipa USA)/39301948//2205151535
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L’internationalisation du Renminbi : un bilan d’étape encourageant 2/3

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L’internationalisation du Renminbi commence son ascension, appuyée sur le développement rapide des institutions et de l’usage. En même temps, le bilan d’étape montre que malgré les progrès significatifs du RMB, le dollar US domine encore largement les finances et les économies globales. Nous constatons également que, poussé par les forces convergentes, RMB continu sa route vers une devise plus globale.

Depuis 2009, le Gouvernement chinois pousse sans relâche l’internationalisation de sa monnaie. En guise de bilan d’étape, nous pourrions mentionner les points suivants : le rôle du RMB offshore dans le processus, la stratégie mise en place, les premiers résultats, le rôle de Hong Kong, la position encore dominante des US dollars et, en même temps, les forces convergentes qui soutiennent la poursuite de l’internationalisation du RMB.

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Stratégie de la Chine

Les stratégies payantes ont été mises en œuvre.

Utilisation des centres offshore

Normalement une monnaie internationale devait être entièrement convertible dans le compte de capital. Mais la Chine a choisi une autre route : étant donné que ses institutions sont encore immatures, le RMB serait convertible de manière contrôlée. Ainsi, l’utilisation de centres RMB offshore est un élément crucial de la stratégie d’internationalisation du RMB. Grâce à cette stratégie, la Chine met en place un pare-feu entre les marchés onshore et offshore, permettant une convertibilité totale du RMB sur le marché offshore, mais une convertibilité partielle sur le marché onshore.[1]

Le marché offshore aide l’acceptation de la monnaie en même temps qu’il permet aux autorités centrales qui gardent une sorte de contrôle concernant le rythme de libéralisation du compte de capital.

Hong Kong : une tête de pont idéale

Le choix de Hong Kong comme tête de pont au lieu de recommencer à partir de zéro par exemple à Shanghai est une stratégie très judicieuse pour l’internationalisation du RMB. La situation de « Un pays, Deux systèmes (CNY + CNH) » lui a conféré un statut spécifique. La Chine en a tiré largement profit.

Hong Kong est déjà un centre financier international mature et solide où le contrôle des capitaux est absent. Toutes les structures nécessaires sont présentes, y compris celles qui peuvent être qualifiées de « soft » (les lois et les régulations). On a tout sur place, ce n’est pas nécessaire de commencer à partir de zéro. On a un gain de temps considérable.

En même temps, Hong Kong est en Chine. Les autorités centrales peuvent travailler de façon étroite et dès le départ avec HKMA (Hong Kong Monetary Authority) pour mettre en place le plus grand centre offshore. Lorsque la libéralisation des comptes de capital deviendra complète, les deux systèmes (CNH et CNY) redeviendront un seul.

Stratégie opérationnelle

Nous constatons la mise en place d’une stratégie opérationnelle à deux volets. Cette stratégie déjà vue ailleurs s’avère payante.[2]

1/ Contournement : se développer, de façon tous azimuts, en dehors et en parallèle des institutions établies sous le système Bretton Woods : l’établissement des institutions et le développement des usages en sont les résultats.

2/ Pousser le changement, à l’instar du Roi singe[3], à l’intérieur de ces institutions, notamment au sein du FMI. L’accès au SDR est une réussite plus que symbolique.

Progrès significatifs depuis 2009

Nous avons vu la vitesse du développement rapide avec laquelle la Chine a créé un réseau d’irrigation capillaire presque mondial. Avec la mise en place des swaps, des centres offshores, des banques de compensation, des systèmes de paiement et des réformes significatives et continues, l’utilisation du RMB a été constamment encouragée et boostée dans les différentes fonctionnalités d’une monnaie et dans les espaces stratégiques.

Les plateformes sont prêtes. Les premiers résultats d’utilisation sont encourageants.

Au premier semestre 2016, le FMI a accepté que le renminbi (RMB) entre en octobre 2016 dans le panier de devises (Special Drawing Right – SDR) (pondération de 10.92 %[4]), son unité de compte, aux côtés du dollar américain (41.73 %), de l’euro (30.93 %), du yen (8.33 %) et de la livre sterling (8.09 %).

C’est une consécration du RMB dans un statut international et une reconnaissance des progrès que la Chine a faits sur le chemin de la libéralisation financière, prônée depuis des décennies par les institutions internationales multilatérales. Cela veut-il dire que RMB est déjà devenue une réelle devise internationale ? Faisons un reality check.

« Le piège du dollar » est toujours présent

Malgré l’ampleur des échanges commerciaux en tant que première nation exportatrice du monde et les efforts considérables pour son internationalisation, le renminbi chinois ne représente encore que 2,7 % des paiements mondiaux (SWIFT), est seulement impliqué dans environ 4 % des opérations de change internationales et constitue environ 2,88 % des réserves de devises étrangères dans le monde.[5]

En revanche, le dollar américain détient 40 % des paiements mondiaux, 61 % des réserves officielles de change et participe à plus de 88 % des opérations de change. Qu’on le veuille ou non, force est de constater que le dollar reste de loin la devise mondiale dominante en matière d’investissement, de facturation et de réserves.[6]

Ce n’est pas un gap, mais un hiatus. En même temps, une dynamique a été créée, le vortex de l’internationalisation du RMB devient irrésistible. Des forces se convergent.

La convergence des forces

Nous distinguons trois types de force qui sont toujours présents et qui se convergent pour soutenir l’avancée de l’internationalisation du RMB :

La détermination sans faille du Gouvernement de la Chine : les réformes nécessaires sortent de la terre, bien que lentement mais sûrement.

Le développement du business entre la Chine et le reste du monde se renforce inexorablement. La Chine est le 1erpartenaire commercial de plus de 130 pays et territoires sans oublier les accords de libre-échange qui vont booster l’usage du RMB.

Les comportements négatifs des US ne vont pas s’améliorer. L’usage répété des sanctions financières et la résistance des US à mettre en œuvre les réformes plus qu’urgentes des institutions (FMI, Banque mondiale…) peuvent être considérés comme une force supplémentaire pointant dans le même sens que les deux autres forces.

Beaucoup de monde commence à se poser la question pour savoir si un nouveau système alternatif est en train de naître. Plusieurs facteurs sont en train d’encourager sans le vouloir le mouvement centrifuge vis-à-vis des USD et des institutions supportées par les US (SWIFT). Parmi lesquels nous pouvons citer l’utilisation du USD dans les sanctions et la résistance des US quant aux réformes plus qu’urgentes des institutions IMF et World Bank. Sans oublier le conflit d’intérêts flagrant relatif à la FED dans ses décisions et ses comportements dans les périodes de crise.

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Quelques événements qui pourraient accélérer le processus

Un certain nombre d’événements pourrait être des accélérateurs d’une plus large internationalisation du RMB.

Impact de la guerre en Ukraine

Les sanctions financières surtout la saisie des avoirs de la banque centrale russe et celle des propriétés privées des individus ont provoqué beaucoup d’inquiétude et de doute. Dans le dernier cas, le principe sacré de l’violabilité de la propriété privée a été ébréché. Un sentiment d’insécurité se diffuse dans certains pays, notamment au Moyen-Orient. On se demande si un jour ce type de sanctions pourrait également leur tomber sur la tête. Donc, USD is not safe any more (Le dollar US n’est plus sûr). On explore les alternatifs possibles pour garantir la sécurité de leurs investissements et de mettre leur fortune à l’abri. Après avoir examiné la très courte liste des solutions possibles, le regard commence à s’attarder un peu plus longuement sur le RMB, sur Hongkong, voire sur Shanghai.

Entrée de la Chine au Moyen-Orient[7]

Avec la visite en cours de Xi Jinping à Ryad, on constate l’entrée remarquée de ce nouvel acteur au Moyen Orient. Les différents accords de coopération de longs termes (par exemple, Iran : 25 ans, Qatar : 27 ans, etc.) en termes d’énergie, du commerce, de l’infrastructure ainsi que des technologies sont également de nature à booster l’élargissement de l’internationalisation du RMB.

PetroRMB ?

Le règlement pour les achats du pétrole et du gaz se fait déjà entre la Chine et la Russie. Ce n’est pas une nouvelle. Le seul inconnu est la vitesse de croissance du volume.

Il se passe à peu près la même chose entre la Chine et l’Iran. L’utilisation du RMB est un fait dans les transactions liées au pétrole.

L’Arabie Saoudite et la Chine discutent depuis plusieurs années la possibilité de régler les achats du pétrole partiellement en RMB au lieu des dollars. [8]

La Chine est maintenant le 1er client de l’Arabie Saoudite en termes du pétrole. Elle souhaiterait régler ses achats en RMB. Ainsi Ryad peut payer en RMB l’aide de la Chine pour son grand projet de transformation 2030 en termes d’énergie renouvelable, d’infrastructure et de technologies. Il suffit de feuilleter les nombreux projets de coopération pour dresser la longue liste d’achats.

Ce n’est nullement un secret que Ryad achète des armes sophistiques chinoises que les US ne veulent pas vendre tel que les missiles moyenne portée de la série DF21, des drones militaires et probablement des chasseurs par la suite. Ces achats peuvent être réglés également en devise chinoise.

Le PetroRMB faisait surement partie des conversations entre Xi Jinping et les 6 pays du Gulf Cooperation Council pendant la semaine dernière. Si cette solution est acceptée, le jour de la signature de l’accord serait à marquer par une pierre blanche dans l’histoire du système monétaire mondiale. Elle présagerait et préparerait une accélération qui hâterait l’arrivée du Tipping point.

La mise en place progressive du PetroRMB pourrait se réaliser via Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange Co. Ltd. (SHPGX) comme l’a souhaité Xi Jinping dans son keynote speech lors du sommet du Gulf Cooperation Council la semaine dernière. Ce centre a été créé en 2015 à Shanghai et opérationnel depuis le 26 novembre 2020. Ainsi l’infrastructure est déjà prête. Le petroRMB se ferait étape par étape.

En même temps, beaucoup d’observateurs estiment que la transition totale de l’Arabie saoudite vers le RMB dans les accords pétroliers est peu probable à court terme. [9]

Accord de l’investissement UE – Chine

Cet accord conclu en décembre 2020 après 7 ans d’âpre négociation est en sommeil pour le moment. C’est une possibilité que le processus soit dégelé bientôt. On ne serait pas complètement surpris d’y découvrir une sorte d’ouverture pour l’internationalisation du RMB dans les libérations liées aux investissements.

Avec RMB, mais sans la Chine

Reuters a révélé que le cimentier indien, UltraTech, a payé en monnaie chinoise une importation de 157 000 tonnes de charbon du producteur russe SUEK. L’agence qui s’est procuré la facture de la transaction, datée du 5 juin, évalue la cargaison à 172 652 900 yuans (25,81 millions de dollars). [10] Il paraît que d’autres sociétés ont aussi passé des commandes de charbon russe en utilisant la facilité de paiement en RMB yuan.

Cet événement est presque une anecdote. Mais en réalité, il est lourd de conséquences, car il ne s’agit pas de relations bilatérales, mais celles entre deux pays souverains (la Russie et l’Inde) et de la monnaie d’un troisième pays souverain (la Chine et RMB). C’est le commencement des relations multipoint à multipoint sans que la Chine soit impliquée en direct. Une nouvelle pratique qui pourrait devenir une habitude, copiable par beaucoup d’autres.

L’internationalisation du RMB va continuer son ascension 

Malgré le poids faible de la monnaie chinoise actuellement, son internationalisation poursuit sa route sous la poussée de ces forces convergentes.

L’infrastructure globale est prête avec une capillarité croissante. Étant le 1er partenaire commercial de plus de 130 pays et territoires, il est inévitable que la Chine pousse inlassablement l’utilisation du RMB qui serait accepté de plus en plus facilement dans les espaces de coopération (RCEP, SCO, BRICS).

L’internationalisation du RMB améliore les efficacités des opérations en éliminant les va-et-vient intermédiaires par exemple via USD. Elle réduit les coûts des transactions, la dépendance en devises étrangères trop volatiles et les taux de changes.

À travers le réseau des centres de règlement présent sur les continents, le RMB offshore peut fonctionner 24/7, en bénéficiant les capacités globales et les expertises chinoises.

Pour les multinationales, le pooling des cash en RMB de leurs filiales ou branches leur permet de manager ces cash directement sans être obligé de passer par USD. Par exemple dans le cas de Sumsung ou celui d’Alstom.

Le règlement global, les négociations de devises et d’autres services basés sur le réseau d’infrastructure financière chinoise sont en train de transformer le système monétaire mondial.

Les relations multipoints à multipoint va devenir petit à petit une tendance.

Vis-à-vis de cette évolution, les pays asiatiques sont plutôt enthousiastes. Ils y voient une opportunité. Parmi les pays européens, les avis sont partagés. Certains craignent que l’influence croissante du RMB internationalisé puisse menacer potentiellement le rôle de l’EUR.

Le bilan d’étape est encourageant. L’internationalisation du RMB continue irrésistiblement. En même temps, à côté des progrès réels et des forces convergentes, on voit aussi droit devant la dure réalité d’une longue marche de quelques décennies à venir.

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Bibliographie

中国人民银行:2022 人民币国际化报告 (People’s Bank of China : the 2022 Year Book of RMB internationalisation)

William H. Overholt, Guonan Ma and Cheung Kwok Law, Renminbi rising, a new global monetary system emerges, Wiley, 2016

Robert Minikin and Kelvin Lau, The offshore Renminbi, the rise of the Chinese currency and its global future, Wiley, 2013

Ray Dalio, Principles for dealing with the changing world order, why nations succeed and fail, Simon & Schuster, 2021

James Rickards, Currency Wars, the making of the next global crisis, Portfolio Penguin, 2011

Delphine Lahet, Le degré d’internationalisation du Renminbi : Un bilan d’étape fondé sur une revue de la littérature,Revue d’économie politique 2017/5 (Vol. 127)

Barry Eichengreen, Masahiro Kawai, Renminbi Internationalization: Achievements, Prospects, and Challenges, Brookings Institution Press and ADBI, February 11, 2015

Zhongxia Jin, Yue Zhao, Haobin Wang, and Shao Suya, Renminbi from Marketization to Internationalization, May 25, 2022

[1] Edwin L.C. Lai, The importance of the offshore RMB market, Cambridge University Press, 17 June 2021.

[2] Cf. Alex Wang, « La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ? », Conflits.

[3] Cf. le célèbre roman classique “西游记- Voyage à l’Ouest”, dans lequel, le Roi singe se faufile sous forme miniaturisée dans le vendre du monstre pour le vaincre de l’intérieur.

[4] Il a été réajusté à 12,28% en 2022.

[5] PBoC : the 2022 year book of Renminbi’s internationalization (2022年人民币国际化报告)

[6] Blog iBanFirst : L’internationalisation du renminbi : la Chine en route vers une devise mondiale ? le 17 mars 2022

[7] Cf. Alex Wang, La Chine joue au go au Moyen Orient, Conflits, Revue de Géopolitique, le 1er mars 2022

[8] L’Arabie saoudite pourrait-elle abandonner le dollar pour le yuan ? Daniel Lacalle, le 4 mai 2022

[9] Capital Economics exclut la transition totale de l’Arabie saoudite vers le yuan dans les accords pétroliers, Arab News, Publié le 20 mars 2022

[10] The Economies Times, Le 22 juin, 2022.

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.
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