Sur une scène marquée par la politique des grandes puissances, les besoins énergétiques et des recompositions géostratégiques, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, est allée droit au but lors de l’Astana International Forum : l’Europe doit avoir le courage de sortir de sa zone de confort. L’Italie a déjà commencé.
Par Dr. Glenn Agung Hole. Maître de conférences en entrepreneuriat, économie et gestion, Université du sud-est de la Norvège & professeur honoraire à l’Université d’État Sarsen Amanzholov de l’est du Kazakhstan.
Reportage depuis l’Astana International Forum 2025
Dans un plénum bondé, aux côtés du président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev, Meloni a désigné le Kazakhstan et l’Asie centrale comme un nouveau centre de gravité mondial – économique, géopolitique et stratégique. Ce n’était pas un appel à la solidarité, mais une exhortation réaliste à l’action :
« Nous devons oser regarder au-delà de nos frontières. Les nouvelles lignes de connexion entre l’Est et l’Ouest se dessinent maintenant, et nous devons être présents là où se crée l’avenir, a déclaré Meloni à l’adresse d’une opinion publique européenne hésitante. »
Un nouveau centre de gravité géopolitique
Aujourd’hui, l’Italie compte parmi les principaux partenaires commerciaux du Kazakhstan dans l’UE et demeure le deuxième importateur de pétrole kazakh après la Chine. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont dépassé 12,4 milliards de dollars en 2023, grâce aux importants investissements de conglomérats industriels et énergétiques italiens tels qu’Eni, SAIPEM et Tenaris.
Mais le message de Meloni ne portait pas uniquement sur le commerce ; il s’agissait de positionnement.
« Nous ne parlons pas seulement d’échange de marchandises, mais de la construction d’un nouvel axe stratégique entre l’Europe et l’Asie centrale. L’Italie a montré la voie. Il est temps que le reste de l’UE suive, a-t-elle lancé, en référence au sommet UE–Asie centrale de 2024, où la relation a été élevée au rang de ‘partenariat stratégique’ ».
Le Corridor médian – bien plus qu’une infrastructure
Un thème central de l’allocution de Meloni fut l’importance du Corridor médian – axe commercial et de transport reliant la Chine, le Kazakhstan et le Caucase du Sud à l’Europe.
À la suite de la guerre en Ukraine et de l’affaiblissement des routes de transport traversant la Russie, ce couloir Est-Ouest s’est imposé comme le projet d’infrastructure géopolitiquement le plus intéressant en dehors de l’UE. Pour l’Italie, il ne s’agit pas seulement de logistique : il s’agit de bâtir un nouvel accès européen à l’Asie, indépendant des rivalités entre grandes puissances.
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« Le corridor n’est pas qu’une route. C’est le symbole d’un monde multipolaire en mutation, et le Kazakhstan est le pont qui le rend possible, » a souligné Meloni.
Matières premières, énergie et autonomie stratégique
Outre l’énergie, Meloni a mis l’accent sur les matières premières critiques comme domaine central de coopération : terres rares, cuivre, lithium – ressources dont le Kazakhstan dispose en abondance et que l’UE a placées en tête de sa liste stratégique. Elles sont essentielles à la production de batteries, de panneaux solaires, à l’industrie de la défense et aux technologies numériques.
Elle a annoncé un recours accru au Fonds climatique italien pour soutenir des projets verts dans la région – non comme aide, mais comme investissements dans un avenir commun.
Meloni a saisi l’occasion pour positionner l’Italie comme moteur de la stratégie européenne de souveraineté économique et de transition verte, tout en envoyant un signal clair sur son souhait de coopération renforcée avec des acteurs non occidentaux.
Un message implicite à l’Europe – et à la Norvège
Le discours de Meloni comportait également une critique sous-jacente. Alors que l’Italie s’est imposée comme un acteur géopolitique actif en Asie centrale, plusieurs pays d’Europe occidentale – dont la Norvège – ont choisi de rester en retrait.
Tandis que l’Italie s’engage, les autorités et les entreprises norvégiennes brillent par leur absence, malgré leur expertise en technologie verte, en traitement de l’eau et en logistique – des domaines fortement demandés au Kazakhstan.
La question reste ouverte : pourquoi la Norvège ne donne-t-elle pas la priorité à cette région, surtout au regard de ses ambitions de leadership international dans les domaines de l’énergie et du développement ?
Conclusion : l’Italie saisit la fenêtre d’opportunité
La prestation de Meloni à Astana témoigne d’une cheffe de gouvernement dotée d’une boussole stratégique claire. Ni idéaliste naïve ni spectatrice passive, elle est une réaliste qui comprend que les bouleversements géopolitiques ouvrent de nouvelles portes. Elle ne parle pas du « monde tel que nous voudrions qu’il soit », mais de celui tel qu’il est.
Et tandis que l’UE tâtonne quant à son rôle dans une réalité multipolaire, l’Italie progresse – avec le Kazakhstan comme tremplin et le Corridor médian comme pont.
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L’Astana International Forum est devenu un nouvel atelier géopolitique. La question est de savoir qui osera se présenter – et qui restera sur le quai.