Livres de la semaine.

7 février 2025

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Livres de la semaine.

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Batailles de France : Pavie et l’Algérie, situation de l’Église, Asie, histoire et justice. Aperçu des livres de la semaine.

Frédéric Casotti, Dans les plis du drapeau, Le Cherche Midi, 19,50€.

Si pour beaucoup d’observateurs de l’Algérie le sang séchait vite au soleil, les pires tragédies seraient balayées par l’oubli réparateur et les bouleversements du monde, le roman de Frédéric Casotti nous montre avec brio qu’il n’en n’est rien. Après avoir publié une remarquable biographie de l’avocat Stephen Hecquet en 2022, il signe son premier roman : coup d’essai et coup de maître. D’abord soulignons sa parfaite maîtrise du récit et du style. Mais aussi de l’analyse. Sa langue limpide, souple, acérée dévale les pages comme un ruisseau. Ensuite le travail de documentation historique qui nous plonge dans les méandres de cette fin de guerre d’Algérie avec le souci du détail exact, comme si nous visionnons un documentaire en noir et blanc.

Avec Sous les plis du drapeau, Frédéric Casotti publie le roman sur l’OAS que l’on attendait. L’OAS et ses chefs, ses commandos deltas, son mode de fonctionnement, son nationalisme, sa vision de l’Algérie, sa dérive terroriste aveugle et ses justifications. Rien ne manque à l’appel si ce n’est un parti pris engagé qui ferait de ce livre un roman à thèse.

Il ne s’agit pas pour l’auteur de dresser un panégyrique de l’organisation qui à ce jour jette un voile sur l’hypothétique espoir d’une réconciliation franco-algérienne. Mais de disséquer les racines du mal français. En dressant un jeu de miroir, l’auteur explore la psyché de deux personnages que tout oppose, entraînés dans la tragédie algérienne. Le premier, Antoine Ettori, sous-lieutenant corse parti rejoindre les rangs de l’OAS, et Robert Féblard, militant de gauche, ancien communiste, parti exercer son métier de médecin au service du FLN par idéal anticolonial. Tous deux sont les perdants d’une histoire qui les engloutit. C’est là la force de ce roman qui nous plonge à travers un fait divers, dans les racines de notre histoire contemporaine ou comment l’Algérie demeure un ulcère qui ronge notre âme.

On lira donc ce roman comme une réflexion sur ce que signifie l’engagement.

Tigrane Yégavian

David Macaire, Christian Venard, Libres propos sur l’Église ; évêque et prêtre en dialogue sur les questions brûlantes, Artège, 19,90 €.

Dans cet entretien conduit par Antoine-Marie Izoard, directeur de rédaction de Famille Chrétienne, Monseigneur David Macaire, archevêque de Fort-de-France, et l’abbé Christian Venard, ancien aumônier militaire et aujourd’hui aumônier de la Force Publique de Monaco, abordent sans tabou les sujets brûlants de l’Église. Leur objectif : sortir du discours « spiritualo-gelatineux » habituel, comme le qualifie l’abbé Venard. Si l’un et l’autre représentent les marges de notre pays, l’un à la tête d’un Archidiocèse de Saint-Pierre et Fort-de-France et l’autre en charge de la communication du diocèse de Monaco, n’en sont pas moins plongé au cœur de l’Église de France qu’ils connaissent intimement, les faiblesses, les forces, et n’en témoignent pas moins de leur amour profond.

Refusant le postulat de la neutralité, nos deux religieux évoquent les sujets qui fâchent à commencer par la question sensible du déclin du catholicisme en France, où à peine 1% de la population pratique régulièrement sa foi, où les ordinations annuelles sont largement insuffisantes pour pallier le manque de prêtres (à peine 5 000 pour une population de 68,4 millions d’habitants). Le catholicisme est devenu une minorité dans une France où les plaies de la loi de séparation de 1905 ne semblent pas tout à fait cicatrisées, où les responsables de la conférence des évêques se retrouvent face à un dialogue difficile avec un pouvoir politique, en témoignent la consternante et blasphématoire cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, qui provoqua une onde d’émotion dans le monde musulman et témoigna de la fracture entre l’exécutif et l’Église de France. Terriblement ébranlée et humiliée par la souillure des abus sexuels, l’Église de France peine selon eux à communiquer de façon efficace.  L’institution fait les frais aussi des excès du concile de Vatican II dans un effort de suivisme vis-à-vis des évolutions d’une société en proie à l’hédonisme et la libéralisation des mœurs au risque paradoxal de se couper davantage de cette dernière. Nos auteurs s’accordent pour dénoncer les dérives de la starisation de certaines figures charismatiques adulées naguère déchues aujourd’hui à mesure que l’on nous dévoile leur passif de prédateurs sexuels, à l’instar du cas de Jean Vanier, fondateur de l’Arche ou encore de l’Abbé Pierre.

Loin d’esquiver ces scandales, les auteurs esquissent des solutions en amont et en appellent à soutenir les prêtres les plus solitaires et vulnérables dans un élan de fraternité qui fait encore trop défaut au sein de l’Église de France. D’où la nécessité impérieuse que chacun s’interroge sur son affectivité. Et de rappeler certains fondamentaux : il faut demeurer fidèle à la radicalité d’un engagement, être en mesure de comprendre que la liberté de suivre le Christ n’a pas de prix. A leurs yeux, un prêtre est celui qui permet à l’ensemble des baptisés de s’offrir par l’intermédiaire des mains des prêtres dans le sacrifice eucharistique.

Les positions de nos deux religieux sont par moment en décalage avec la ligne prônée par la presse catholique de gauche, mais on ne verra pas néanmoins de critiques adressées à la gouvernance du pape François et son lien complexe avec la France, ni plus généralement de manifestations d’auto-flagellation.  Il faut lire ce livre comme un plaidoyer contre un catholicisme tiédasse, rappeler une vision de la vie et de l’humain, à travers une invitation à la transcendance et à réparer ce qui peut l’être à l’aune de bouleversements accélérés. Oser l’amitié et rejeter l’uniformité.

Alors que les esprits chagrins se félicitent de la disparition du catholicisme en tant que religion dominante, le nombre d’adultes croissant demandant le baptême, une jeunesse en recherche de sacré sont autant de signes qui doivent nous interroger. On aurait aimé lire plus de références livresques, dans leurs échanges, pour nourrir nos lectures, mais c’est encore Bernanos et sa plume trempée entre le ciel et la terre qui revient en permanence dans leurs échanges féconds et emplis d’une belle amitié.

Tigrane Yégavian

Emmanuel Lincot et Barthélémy Courmont, L’Asie. Terre de conflits, Éditions du Cerf, 24€

Comme le disait Hegel, « l’histoire du monde voyage d’est en ouest, car l’Europe est absolument la fin de l’histoire, l’Asie son commencement. » C’est ce pivot auquel nous invitent les auteurs, qui considèrent l’Asie comme le continent central, fermement engagé dans la mondialisation dont elle est aujourd’hui le principal acteur. Il paraît donc essentiel de mieux le comprendre, et d’étudier les rapports de force et les tensions qui y règnent, pour beaucoup héritiers de l’histoire, plaies qui ne se sont pas encore refermées. Cartes à l’appui, on est confronté au caractère multidimensionnel des affrontements asiatiques, et à la difficile instauration d’un dialogue multilatéral. Sur terre comme sur mer, les dangers planent et les camps se forment. L’Asie serait-elle la nouvelle poudrière mondiale ?

Jacques Duret, Vichy et la justice, Passés composés, 23€

La séparation des pouvoirs est loin d’être une évidence. Au cours de l’histoire, et même de l’histoire récente, la justice n’a pas toujours été, ou pas complètement, indépendante. Les liens entre justice et politique sont complexes, et dépendent du rapport de force à un moment donné, dans un sens comme dans l’autre. Le régime de Vichy est plutôt bien accueilli par la magistrature. C’est ainsi que l’État français se repose sur la justice « ordinaire », qui poursuit son travail d’avant-guerre, en poursuivant notamment la répression des communistes, engagée sous la IIIe République, à laquelle s’ajoute celle d’autres « délinquants politiques ». Cependant l’action des magistrats de carrière est jugée insuffisante, et l’État français crée des juridictions d’exception, sélectionnant les juges et réduisant les compétences de la justice ordinaire. Dans cet ouvrage richement documenté, l’auteur, qui maîtrise parfaitement les arcanes du paysage judiciaire français, nous permet d’appréhender, au plus près des juridictions, les ressorts de la répression politique menée par l’État français en présence de l’occupant.

Julien Guinand, Pavie 1525, Perrin, 25€

Quelle belle collection que celles des Champs de bataille chez Perrin ! Après Crécy, Malplaquet ou encore Verdun, le dernier-né est consacré à la bataille de Pavie, qui demeure l’une des pires défaites de l’histoire de France. Dix ans après la victoire de Marignan, elle s’inscrit dans le cadre des guerres d’Italie, et oppose François Ier à son plus grand ennemi : l’empereur Charles Quint. Qui connaît son histoire de France sait que le Valois y sera fait prisonnier. Dans cet ouvrage richement documenté, l’auteur cherche à revenir aux sources de la bataille, et s’appuie sur les témoignages les plus proches de l’affrontement, afin de rompre avec de nombreux mythes et idées reçues qui ont traversé les siècles. Il parvient ainsi à dissocier les faits du récit, l’événement de sa mémoire. 500 ans après la bataille, l’ouvrage en apporte ainsi un nouvel éclairage.

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