L’Ouzbékistan veut devenir un acteur clé de l’extraction des minéraux critiques, y compris des terres rares, dans la bataille géopolitique qui se joue autour des chaînes d’approvisionnement.
Dans un contexte de turbulences géopolitiques et d’obstacles géo-économiques perturbant les marchés mondiaux, l’Ouzbékistan investit massivement pour valoriser ses vastes gisements de minéraux critiques, notamment de terres rares. Comme son voisin kazakh d’Asie centrale, il détient d’importantes réserves de ce que l’on qualifie désormais, non sans cliché, de « nouveau pétrole » ou d’« or invisible ».
Tachkent voit dans ces matières premières stratégiques la promesse d’une nouvelle aventure industrielle et invite des acteurs étrangers, surtout européens, à participer à leur mise en valeur.
Importantes réserves
Selon le ministère ouzbek des Mines et de la Géologie, le pays possède des réserves concernant 28 types de minéraux critiques, parmi lesquels le cuivre, le lithium, le graphite, le germanium, le tungstène, le vanadium, le tantale, le niobium, ainsi que de vastes gisements de diverses terres rares. Leur extraction figure parmi les grandes priorités de la stratégie nationale de développement et du secteur minier.
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Tachkent mise donc désormais sur la création d’un véritable écosystème économique dédié à l’extraction, à la production et à la transformation de ces ressources, indispensables aux technologies de demain. Elles entrent dans la fabrication des semi-conducteurs, des batteries de nouvelle génération, des véhicules électriques, des systèmes d’énergie renouvelable, ainsi que de toute l’électronique moderne et de nombreux équipements médicaux.
Turbulences géopolitiques et considérations géo-économiques
Alors que la rivalité sino-américaine et les tensions géopolitiques façonnent la scène internationale, le contrôle de la production de minéraux critiques – surtout des terres rares – n’a jamais été aussi crucial. Depuis le milieu des années 1980, la Chine investit sans relâche dans l’extraction, la production et le raffinage de ces ressources stratégiques et s’est ainsi forgé un quasi-monopole sur le marché mondial.
Pékin a atteint cette position en maîtrisant toute la chaîne de valeur, de l’extraction au produit fini. Aujourd’hui, le pays assure plus de 60 % de la production mondiale de terres rares et, plus déterminant encore, 90 % des capacités de raffinage. Ce quasi-monopole lui donne une influence décisive sur l’économie mondiale, que les autorités chinoises n’hésitent pas à utiliser comme levier géo-économique pour obtenir des concessions, tant politiques qu’économiques.
Dans le contexte de la guerre commerciale avec Washington, Pékin a imposé de vastes restrictions à l’exportation de minéraux critiques et de terres rares, visant non seulement les États-Unis mais aussi de nombreux autres pays. Tandis que la Chine exploite son quasi-monopole sur « l’or invisible » à des fins géostratégiques, un véritable sprint s’est engagé dans le monde pour bâtir des industries nationales et desserrer l’étau chinois sur la filière.
De grandes ambitions dans un contexte géopolitique agité
L’Ouzbékistan entend tirer parti de cette conjoncture et de la complexité géo-économique mondiale qui l’accompagne. Tachkent veut devenir non seulement un carrefour de l’extraction, mais aussi de la production et du raffinage des minéraux critiques et des terres rares.
Dans son discours d’ouverture au Forum d’investissement de Tachkent la semaine dernière, le président ouzbek, Chavkat Mirzioïev, a exposé ses ambitions pour le pays. Il ne s’agit pas de rester un simple fournisseur de matières premières, mais bien d’implanter des industries nationales situées plus haut dans la chaîne de valeur de ces ressources stratégiques :
— L’Ouzbékistan possède d’importantes réserves de minéraux, dont le tungstène, le molybdène, le magnésium, le lithium, le graphite, le vanadium, le titane et bien d’autres. Au total, la valeur de nos ressources souterraines est estimée à 3 000 milliards de dollars, a-t-il précisé.
— Nous disposons de toutes les conditions pour faire de notre région un pôle de production de biens à haute valeur ajoutée fondés sur ces minéraux. À cette fin, nous construisons des technoparcs « Métaux du futur » dans les régions de Tachkent et de Samarcande.
Investissements de plusieurs milliards
Selon le premier vice-ministre ouzbek des Mines et de la Géologie, Omonullo Nasritdinhodjaev, le pays mise sur la création d’entreprises dédiées à l’exploitation de ces ressources. L’acteur principal de ce nouveau secteur sera l’usine ouzbèke des métaux technologiques (UzTMP), fondée en 2024 au sein du Centre scientifique et industriel des métaux rares et alliages durs, lui-même rattaché au complexe minier et métallurgique d’Almalyk (AMMC).
— D’ici 2028, UzTMP mènera plus de 70 projets liés aux minéraux critiques pour un coût total de 1,6 milliard de dollars, ce qui aidera à attirer des investissements, a-t-il déclaré à la conférence internationale MINEX Central Asia 2025, organisée en Ouzbékistan cette semaine.
Il précise que, au cours des trois prochaines années, les projets prioritaires viseront les gisements de tungstène, de lithium et de molybdène. Les revenus issus de ces activités devraient dépasser 1,5 milliard de dollars d’ici 2028. En 2025, UzTMP prévoit de produire 842 tonnes de molybdène, 96 tonnes de tungstène, 37,7 tonnes d’alliages durs, ainsi que du tellure, du sélénium et du rhénium. Les recettes de l’année sont estimées à 70 millions de dollars, dont plus de 50 millions provenant des exportations.
Soutien européen
Désireuse de diversifier ses approvisionnements de la Chine, l’Europe – en quête pressante de sources sûres pour les minéraux critiques et les terres rares – est la bienvenue pour participer à cette prometteuse aventure industrielle ouzbèke.
Lors d’un entretien la semaine dernière avec le directeur du Development Strategy Center, un think tank basé à Tachkent, son dirigeant, Eldor Tulyakov, a lancé un appel clair aux responsables politiques et aux entreprises européennes :
Des installations de production de minéraux critiques existent déjà dans les régions de Navoi et de Tachkent. L’Ouzbékistan compte parmi les dix premiers producteurs mondiaux d’or et d’uranium, et il existe de nombreux autres matériaux dont la production pourrait augmenter. Mais pour y parvenir, nous avons besoin d’équipements neufs, de technologies modernes et de compétences techniques, a-t-il expliqué au média Geopolitika.
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Tulyakov a précisé que l’Europe possède largement ce savoir-faire et que les pays européens figurent parmi les partenaires privilégiés de l’Ouzbékistan. Il a donc encouragé les entreprises européennes à contribuer au développement du secteur, y voyant un partenariat gagnant-gagnant :
C’est une excellente façon de tisser des liens commerciaux concrets avec l’Europe. Certes, l’Ouzbékistan est riche en ressources, et la prospection comme l’extraction sont prioritaires, mais nous avons besoin d’aide. L’accès à des technologies modernes est crucial. À ce titre, une importante délégation suédoise nous a récemment rendu visite : leurs équipements, de haute qualité et très demandés, ont fait l’objet d’échanges prometteurs avec les autorités ouzbèkes.
Dans cet article, nous employons « minéraux critiques » comme terme générique ; les terres rares en constituent une composante particulièrement importante.