<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Miami : où le Nord rencontre le Sud

29 décembre 2019

Temps de lecture : 8 minutes
Photo : Miami (c) Pixabay
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Miami : où le Nord rencontre le Sud

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Miami est célèbre dans le monde entier, et elle fait rêver. Après New York, elle est la deuxième ville des États-Unis la plus visitée par les touristes étrangers (15 millions en 2017). Depuis ses origines (pas très lointaines) elle a une image de paradis tropical. C’est aussi une position stratégique, pour les militaires, pour les immigrants, pour les trafiquants. Elle est réputée aussi pour son dynamisme immobilier, pour ses bateaux de croisière, pour ses lieux de vie et d’art (multiculturels), pour la mode et le design (moderne), où « l’argent sale » a sa part.

Conquête par le Nord, peuplement par le Sud

Située presque à la pointe sud-est de la péninsule de Floride, elle a un climat semi-tropical qui depuis la fin du XIXe (la plus ancienne maison date de 1891, la ville s’est constituée en 1896) a attiré les Américains du Nord, d’abord comme colonie agricole, puis comme villégiature. La Floride ayant été prise aux Espagnols en 1821, une partie des Indiens autochtones ayant préféré les suivre à Cuba et les autres ayant été déportés dans l’ouest des États-Unis, le pays était quasiment vide. On montre aux touristes des villages indiens aux environs. L’occupation a d’abord pris la forme de plantations (cocotiers, orangers, citronniers), puis grâce au prolongement de la ligne de chemin de fer, les hôtels, les villas, les immeubles ont proliféré sur sa réputation d’exotisme. Elle a profité aussi de la guerre d’indépendance de Cuba (1898), appuyée par les États-Unis. La ville avait alors 1500 habitants et 7500 militaires. La municipalité en a aujourd’hui 500000 (2,7 millions pour le comté de Miami-Dade, 5,5 millions pour la métropole, qui comprend aussi Palm Beach, située 100 km plus au nord). Depuis le début du XXe siècle, des industriels et hommes d’affaires du nord des États-Unis y ont fait construire des manoirs ou des villas pour y séjourner en hiver, mais Miami étant devenu un centre d’affaires de premier plan, les riches entrepreneurs, financiers, avocats, y résident désormais toute l’année. Cette population blanche (Wasp et juifs) donnait encore son caractère à la ville dans les années 1950 : une colonie de peuplement de gens du Nord (avec aussi des cadres, des médecins, des pasteurs, des retraités, des anémiques et des poitrinaires). Mais tournée vers le Sud (1et port et 1er aéroport pour l’Amérique latine).

En 2004, Miami avait le plus fort pourcentage de résidents nés à l’étranger de toutes les grandes villes du monde (59%). Par sa position, Miami est la porte d’entrée des Caraïbes (Cuba et Haïti), de l’Amérique centrale et du Sud (commerce, affaires, touristes, migrants). Les opposants à Batista réfugiés à Miami sont retournés à Cuba en 1959 (certains sont revenus déçus). La composition de la population et le caractère de la ville ont été profondément changés par l’immigration venue de Cuba à la suite de l’instauration de la dictature communiste de Castro en 1959 (400000), avec cette particularité propre à Miami que cette « immigration latino » était constituée des élites blanches, aisées, instruites, qui ont dû fuir l’île (94% des juifs ont quitté Cuba). Leur nombre, leur indépendance économique (Miami avait traditionnellement des relations intenses avec Cuba), leur haut niveau socio-culturel (les émigrés ont recréé à Miami leurs établissements d’enseignement de l’île, comme le réputé Colegio de Belen) et les liens de solidarité qui les unissaient dans ce milieu encore anglo-saxon, en ont fait une élite dominante de la ville. Depuis les années 1980, les maires sont tous nés à Cuba ou fils de réfugiés cubains. À Little Havana, l’extraordinaire restaurant Versailles est à la fois le haut lieu de la gastronomie cubaine, le point de sociabilité des anticastristes (on y a fêté la mort de Castro en 2016), et le lieu de passage obligatoire des politiciens en campagne. Les vagues suivantes de réfugiés cubains (tels que les 125000 « marielitos » en 1980, puis les « balseros » en 1994) étaient davantage des immigrants économiques pauvres ou dépendants (droit commun, handicapés mentaux), mais les réseaux familiaux et sociétaux fonctionnent.

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Il n’y a pas de vote latino cohérent à Miami. Les Cubains votent en majorité républicain, de génération en génération, par anticommunisme. En 1999-2000, l’affaire Elian Gonzalez a indigné la communauté. L’enfant de 6 ans, sauvé du naufrage où avait péri sa mère, recueilli par des parents anticastristes, a finalement été récupéré par son père à Cuba, soutenu par Castro (dans des conditions judiciaires et policières dramatiques) : il est devenu un militant communiste modèle. Par la suite, Miami a connu une forte immigration latino venue d’Amérique centrale, des immigrés économiques pauvres. Ceux-là votent démocrate, comme c’est en général le cas ailleurs. La culture hispanique (surtout cubaine, car il n’y a pratiquement pas de Mexicains) est omniprésente : monuments et musées anticastristes, musique, danse, fêtes.

Du fait de sa situation, Miami n’est pas seulement un port de pêche et de commerce. Ce fut à partir de 1917 une base aéronavale (aujourd’hui surtout pour la Garde côtière). C’est le troisième port d’entrée des immigrants aux États-Unis, après New York et Los Angeles. Comme souvent, les diverses communautés ethniques et culturelles se sont réparties par quartiers, selon leur richesse et leurs affinités. Coral Gables est une cité-jardin pour classes aisées blanches, hispanophones et anglophones. Les Bahaméens furent les premiers Noirs à venir dans la région (de l’archipel voisin) comme pêcheurs, mais ils ne sont plus nombreux. Little Havana était un quartier que les juifs ont délaissé lors de la vague cubaine. North Miami est à 59% peuplé de Noirs. Little Haiti (nom officiel depuis 2016) est un quartier peuplé de Haïtiens, très en vogue depuis qu’on y a promu la cuisine, la musique et les arts  du pays (on y parle le français créole). Les Haïtiens ont immigré en masse à partir de 1994, à la suite de l’intervention américaine décidée par le président Clinton pour démocratiser le pays. La gastronomie, dite multiculturelle, est en fait une mosaïque ethnique. Pour les locavores, il y a même les beignets d’alligator (les marécages des Everglades sont tout proches). Miami a eu ses émeutes raciales en 1968 (les Noirs de Liberty City manifestent contre la discrimination, la police, la concurrence économique des Cubains et les Blancs en général, il y a eu des pillages et 2 morts) et en 1980 (après la mort d’un délinquant noir du fait de policiers blancs, une émeute et 18 morts). Il y a des tensions chroniques entre Noirs et Cubains, ces immigrés récents qui ont réussi.

Chaque communauté a son lieu de mémoire : un musée juif et un monument de l’Holocauste ; dans le Design District, un musée des Réfugiés haïtiens, lieu d’événements culturels et éducatifs. La Calle Ocho est le domaine des Cubains exilés (Mémorial de la brigade qui a tenté le débarquement de la Baie des Cochons en 1961). Il y a un monument au Combattant de la liberté inconnu au cimetière des réfugiés. La Freedom Tower, premier refuge des réfugiés cubains, est devenue un musée et un mémorial des Cubains-Américains.

Il y a aujourd’hui dans le comté de Miami-Dade 74% de Blancs (Latinos compris) et 19% de Noirs, mais les Hispaniques-Latinos (toutes races confondues) sont très majoritaires, représentant 65% (dont 34,5% de Cubains, et 22% d’autres pays, surtout Colombiens et Nicaraguayens). Les Blancs non-Hispaniques ne sont que 11,9% dans Miami (57,9% en Floride). Les races ne se mélangent pas (2,7%). Beaucoup de Latinos passent au protestantisme. 39% de la population se dit protestante, 27% catholique, 8% juive. 64,5% des habitants ne parlent qu’espagnol à domicile (92,1% à Hialeah, première commune cubaine des États-Unis, une des villes les plus conservatrices du pays; 69,9% dans la ville de Miami ; 54,5% à Miami Beach), contre 21,1% anglais. Il y a des quartiers majoritairement anglophones.

 La culture et la criminalité

Le patrimoine architectural de Miami est unique, il a donné sa marque à la ville et à sa voisine Miami Beach, de l’autre côté du golfe de Biscayne. C’est une attraction touristique. Inventé et bâti des années 1890 aux années 1940 (et même recopié jusqu’à nos jours), il est visuellement réussi, mais c’est un artifice imaginé par les gens venus  du Nord. Dès ses débuts, les riches propriétaires et leurs architectes ont cherché à créer, pour leurs maisons ou pour les hôtels, un style « tropical » adapté au climat et à la végétation, ou « néo-méditerranéen », « Renaissance italienne » (la villa Vizcaya), baroque colonial (un temple baptiste est un pastiche d’église catholique coloniale espagnole), « style mission » (à Hialeah), « Pueblo », « Mille et une Nuits » « Art déco » (ou « paquebot »), tout ce qui évoque aux gens du Nord le sud, le soleil, la mer, la civilisation de la vieille Europe ou de l’Amérique hispanique. Il y a des parcs à l’italienne agrémentés de plantes tropicales (et de Flamands importés de Cuba), et des canaux vénitiens. On a démonté et transporté ici un monastère espagnol du XIIe siècle. La ville, récente, s’est construit un passé, visuellement réussi, mais c’est un artifice imaginé par des gens de l’extérieur. Dans les années 2000, il y a eu une vague de construction de gratte-ciel, qui fait ressembler Miami à d’autres grandes villes américaines. Burger King y a été fondé en 1954.

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La ville a une foire d’art contemporain et d’autres pour la musique électronique, l’alimentation et les vins. Elle a ses entrepôts convertis en galeries, ses musées d’art moderne, ses ventes de rue. Ses hôtels participent au mouvement en faisant aménager leurs espaces par des designers en vogue. Le cinéma et la télévision ont beaucoup contribué à l’image de Miami dans les années 1980 (la série Miami Vice associait le décor et le crime). Un ancien joueur anglais a un projet de stade de football.

Par ailleurs, Miami (3e ville des États-Unis pour la richesse) est haut placée dans la liste des villes américaines pour la criminalité (son aire métropolitaine a le plus fort taux de criminalité violente), qui y a ses traditions (le bandit Al Capone avait acquis une maison en 1928), et des particularités notables. Il y a beaucoup de vols et de cambriolages, surtout là où le luxe et l’argent sont voyants (villas, vêtements, voitures), comme à Miami Beach (où le couturier Versace a été assassiné par un serial killer en 1997). Mais s’il y a plus d’assassinats dans la commune de Miami qu’à Miami Beach, il y a moins de viols (peut-être du fait de la structuration et de l’éthique de la communauté cubaine).

Le paradis et les trafics

À Miami, on peut se baigner en plein hiver dans des eaux turquoise, juste devant les hôtels, au bord de plages de sable fin (artificielles). C’est donc une destination de vacanciers d’Amérique et d’Europe du Nord, un lieu de consommation moderne (baskets rares et cours de yoga). La région a remplacé en partie l’exotisme et les plaisirs de La Havane au temps de Batista. Certains quartiers sont aménagés pour les piétons.  Il y a des distractions en plein air (des festivals de musique et de danse, des carnavals), une vie nocturne animée et une grande permissivité. Un lieu de plaisir, d’aucuns disent : « une autre capitale du vice ». Elle est la deuxième ville américaine après New York pour les touristes étrangers. Miami est aussi le siège du Centre national des ouragans, fréquents dans la région (en 2017, plus de 5 millions de personnes ont été évacuées, il y a eu 5 morts, dont deux crises cardiaques).

Une ville propice aux affaires aussi. Elle a connu tout au long de son histoire des périodes de booms immobiliers spéculatifs (dans les années 1920, et après 1945, lorsque beaucoup d’anciens militaires des trois armes entraînés dans la région pendant la guerre s’y sont établis), entrecoupées de scandales et de faillites vite dépassées. C’est le premier port de passagers du monde (5,5 millions), essentiellement pour les croisières vers les Bahamas, les Caraïbes, les Amériques, et la première concentration de banques internationales des États-Unis. Au temps de la prohibition, l’alcool coulait à flots, et le jeu prospérait, pour attirer les gens du Nord. Depuis 1980, Miami a le titre de « capitale mondiale de la drogue », qui y entre par avion ou par bateau (3/4 des entrées de cocaïne dans le pays). Le narcotrafiquant Escobar se vantait d’avoir posé son jet privé sur l’aéroport des « rich people » pendant plus d’un an, sans être inquiété. Une dame, venue de Colombie aussi, s’est fait une célébrité en dirigeant un trafic d’une main de fer, au point d’être créditée de 200 morts, dont une partie de ses propres mains. Les Panama Papers ont révélé de nombreux cas d’agents et avocats d’affaires soupçonnés de recycler de l’argent sale dans l’immobilier, la restauration, les discothèques, le sport, les boutiques et les galeries d’art (l’art contemporain est ici un commerce, comme ailleurs). 90% des ventes de l’immobilier récent se font « cash ».  Un tiers des ventes se font à des étrangers. Miami est « la capitale mondiale des croisières », mais les bateaux des compagnies de croisières sont enregistrées dans des paradis fiscaux.

On a dit qu’elle était « la ville la plus exaspérante, la plus exaltante, la plus vivante du monde ». En effet, elle est un exemple significatif et extrême de l’association contemporaine de l’hédonisme, de la culture moderne, de l’ouverture sociétale, et des risques afférents.

À propos de l’auteur
Thierry Buron

Thierry Buron

Ancien élève à l’ENS-Ulm (1968-1972), agrégé d’histoire (1971), il a enseigné à l’Université de Nantes (1976-2013) et à IPesup-Prepasup. Pensionnaire à l’Institut für Europaeische Geschichte (Mayence) en 1972-1973. Il a effectué des recherches d’archives en RFA et RDA sur la république de Weimar. Il est spécialisé dans l’histoire et la géopolitique de l’Allemagne et de l’Europe centre-orientale au XXe siècle.
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