National Security Strategy 2025 : un tournant pour le monde ?

10 décembre 2025

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National Security Strategy 2025 : un tournant pour le monde ?

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Le recentrage opéré par la NSS 2025 — priorité donnée aux Amériques, défense du territoire national, « America First » — modifie profondément la posture américaine à l’échelle mondiale. L’Europe est désormais invitée à être moins dépendante, à investir dans sa propre défense, voire à repenser la nature des alliances. Le Pacifique reste un enjeu pour les États-Unis, mais dans un cadre moins interventionniste et plus ciblé, fondé sur l’intérêt national et la coopération alliée.

La NSS 2025 marque un tournant significatif de la politique étrangère américaine, en affirmant que l’hémisphère occidental (les Amériques) devient la priorité numéro un.

Le document incarne une doctrine « America First » : les États-Unis s’engagent à réduire certaines obligations globales, à privilégier la défense du territoire national, la sécurité économique et la réindustrialisation intérieure, la souveraineté et la réduction de dépendances stratégiques (chaînes d’approvisionnement, technologies sensibles).

Dans ce cadre, la présence américaine à l’étranger serait ajustée : la NSS évoque un « réalignement » des forces militaires globales, en abandonnant — ou du moins réduisant — les engagements dans des théâtres jugés « moins essentiels » pour la sécurité nationale des États-Unis.

La NSS 2025 marque un tournant important de la politique étrangère américaine, en plaçant l’hémisphère occidental — Amériques — comme priorité stratégique centrale. Ce recentrage s’accompagne d’un « réajustement » de la présence militaire américaine dans le monde : les États-Unis envisagent de réduire ou de redéployer certaines forces hors de théâtres jugés moins prioritaires pour leurs intérêts directs.

En parallèle, la NSS 2025 porte un jugement très critique sur l’Europe : le document évoque un risque d’« effacement civilisationnel » pour le continent en raison, selon Washington, de politiques migratoires, de faibles taux de natalité, d’un affaiblissement des identités nationales, de pertes de souveraineté via des institutions supranationales, et d’un affaiblissement économique. L’UE et certains États sont présentés comme des entités dont les trajectoires remettent en cause la fiabilité de l’alliance transatlantique.

Ainsi, la NSS 2025 redéfinit implicitement la relation États-Unis / Europe – moins comme un partenariat d’équilibre mondial, plus comme un alignement conditionnel, souvent qualifié de « burden-sharing » : l’Europe est invitée à prendre davantage en charge sa propre sécurité.

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Impacts pour l’Europe

La nouvelle NSS a provoqué un choc politique au sein de l’Union européenne. Plusieurs dirigeants européens — notamment le président du Conseil européen António Costa — ont réagi en dénonçant ce qu’ils considèrent comme une « menace d’ingérence » dans la vie politique européenne. Le ton adopté par Washington (critique des institutions européennes, de l’immigration, de la souveraineté européenne) ravive la crainte d’une reconfiguration profonde de la relation transatlantique — non pas basée sur la confiance mutuelle, mais sur l’intérêt unilatéral américain.

En prônant le « réajustement » de la présence américaine mondiale, la NSS 2025 semble envoyer un message clair aux États européens : ils doivent assumer davantage leur propre défense. Dans ce contexte, le projet d’OTAN tel qu’initialement conçu — avec le parapluie sécuritaire américain — est sérieusement requestionné. Plusieurs analystes estiment que l’Europe pourrait devoir repenser sa posture stratégique pour garantir son autonomie.

Certains documents et analyses récents suggèrent qu’en cas de conflit majeur — par exemple une attaque russe sur un pays européen — les États-Unis pourraient ne plus intervenir automatiquement pour défendre l’Europe. Cette perspective accentue le sentiment d’abandon chez certains alliés, qui craignent une dépendance désormais trop risquée.

Dire que la NSS 2025 signifie automatiquement un retrait total des forces américaines d’Europe serait exagéré, mais le document, sa tonalité et les réactions suscitées laissent entendre un redéploiement ou une réduction progressive de l’engagement américain en Europe. Plusieurs éléments appuient cette hypothèse :

  • La NSS parle explicitement de réalignement des engagements militaires, donnant la priorité à l’hémisphère occidental.
  • Le discours sur l’Europe est tant politique qu’idéologique : le texte minimise les priorités européennes, ce qui pourrait se traduire par moins de ressources affectées à la présence opérationnelle.
  • De plus, des signaux récents — des fuites, des orientations du Pentagone, des déclarations publiques — suggèrent que, en cas de crise, les Européens ne pourraient plus compter sur une intervention automatique des États-Unis.

Mais il est important de noter que la NSS ne proclame pas non plus un retrait immédiat et massif des forces étasuniennes d’Europe. Plutôt qu’un exode, il s’agirait d’une redéfinition du rôle américain : moins « gendarme global », plus puissance centrée sur l’hémisphère occidental, laissant la responsabilité européenne — politique et militaire — à l’Europe elle-même.

L’Europe va être forcée, qu’elle veuille ou non, à accélérer sa recherche d’autonomie stratégique : réarmement, coopération européenne, renforcement de la défense collective.

Les relations transatlantiques risquent une reconfiguration majeure : davantage de pression sur l’Europe pour qu’elle prenne en main sa sécurité, mais aussi un climat de méfiance — le message américain étant reçu comme une remise en cause des valeurs et institutions européennes.

En cas de crise, l’Europe pourrait se retrouver confrontée à une plus grande incertitude quant au soutien américain, ce qui augmente les enjeux de solidarité intra-européenne.

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Impact sur le Pacifique occidental

Même si le Pacifique n’est plus priorisé comme auparavant, la NSS 2025 ne l’ignore pas totalement : le document indique que des intérêts stratégiques persistent, notamment la nécessité de « dissuasion contre la Chine », la protection des passages maritimes, et le maintien de l’équilibre en cas de crise — notamment autour de Taïwan ou de la mer de Chine. Autrement dit : le Pacifique n’est plus au cœur de la doctrine, mais demeure un « champ d’intérêt » important pour les États-Unis.

Les alliés en Asie-Pacifique (Japon, Corée du Sud, Australie, etc.) sont encouragés à renforcer leurs propres capacités, la solidarité en matière de défense s’intensifiant. Cela signifie que les États-Unis pourraient moins compter sur leur seul rôle de gendarme mondial, et que la responsabilité de la sécurité régionale reposerait davantage sur les alliés locaux — ce qui pourrait réduire le rôle direct des forces américaines.

La Chine n’est plus présentée comme la menace ou le défi principal pour les États-Unis. Elle est nettement reléguée derrière d’autres priorités nationales[1]. L’ordre implicite des priorités américaines apparaît désormais comme :

  1. la sécurité intérieure et la protection des frontières,
  2. la stabilisation de l’hémisphère occidental (retour assumé à une logique Monroe),
  3. la sécurité économique et la réindustrialisation,
  4. la Chine et la région indo-pacifique.

La Chine n’est plus décrite comme un adversaire central, mais plutôt comme :

– un concurrent économique,

– un risque pour les chaînes d’approvisionnement (tout en restant un partenaire commercial),

– un acteur régional dont la domination serait « idéalement » à empêcher pour protéger les intérêts économiques américains.

Pour la première fois, Washington reconnaît implicitement la possibilité d’être dépassé militairement par la Chine. La dissuasion d’un conflit autour de Taïwan est qualifiée de « priorité », mais plus d’intérêt vital ; la supériorité militaire y est même présentée comme souhaitable, mais non garantie. Le document suggère que si les alliés de la première chaîne d’îles n’augmentent pas fortement leur engagement, la défense de Taïwan pourrait devenir impossible en raison d’un rapport de force défavorable.

Enfin, bien que les États-Unis réaffirment leur opposition à tout changement unilatéral du statu quo dans le détroit de Taïwan, l’écart grandit entre leurs déclarations politiques et ce qu’ils semblent réellement prêts à entreprendre pour l’assurer.

Ce réalignement stratégique pourrait diminuer progressivement certaines de leurs capacités ou bases dans la région si elles ne sont plus jugées prioritaires. Cela pourrait impliquer une réduction de la présence permanente, des rotations moins fréquentes, ou un recentrage sur les théâtres jugés vitaux (Amériques, dissuasion nucléaire, défense du territoire, etc.).

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En guise de conclusion

Trump a franchi une étape importante en publiant sa nouvelle stratégie de sécurité nationale — du moins sur le papier. Il s’agit d’un réajustement majeur qui prend enfin acte d’une réalité essentielle : les États-Unis n’ont plus les moyens d’être le « gendarme du monde ». La priorité est désormais recentrée sur l’hémisphère occidental.

Mais Trump dispose-t-il réellement des leviers nécessaires pour mettre en œuvre ce réajustement révolutionnaire ? Rien n’est moins sûr. Il devra composer non seulement avec les résistances de ce que l’on appelle les deep states américains, mais aussi avec celles des bureaucraties de ses alliés. Les difficultés rencontrées dans la recherche d’un règlement du conflit russo-ukrainien illustrent déjà l’ampleur des obstacles.

À cela s’ajoute un impératif stratégique : réduire la dépendance économique vis-à-vis de la Chine. Le soja et les terres rares sont là pour rappeler à Trump les limites de son autonomie. Conserver l’avantage dans la course technologique n’a rien d’une évidence : dans plusieurs domaines, comme l’IA ou les technologies vertes, la Chine talonne les États-Unis, voire les dépasse déjà.

Appliquer une version actualisée de la doctrine Monroe suppose également de reconnaître que la Chine est désormais profondément implantée dans le « jardin » américain via les Nouvelles Routes de la Soie : port de Chancay au Pérou, relations croissantes avec le Brésil (soja, usines BYD…), projets de coopération avec l’Argentine. Quant à la Russie, elle n’a aucune intention d’abandonner le Venezuela.

L’Union européenne, de son côté, comprend qu’elle sera contrainte d’acquérir plus rapidement une autonomie stratégique réelle. Cependant, après des décennies d’imprégnation culturelle, sécuritaire et politique venue d’outre-Atlantique, elle semble avoir perdu une partie de sa capacité à se définir par elle-même. À moins que la France ne retrouve à temps l’ambition nécessaire pour reprendre en main son destin — et peut-être celui de l’Europe.

Dans le Pacifique occidental, la stabilité régionale dépendra d’une compréhension plus fine des dynamiques locales. Elle ne peut se réduire au seul renforcement des alliances traditionnelles : la réalité géopolitique y est plus complexe et exige une approche nuancée. Il est indispensable d’essayer de promouvoir une coexistence, au moins un modus vivendi pacifique avec la puissance dominante de la région qu’est la Chine.

Enfin, un élément notable apparaît dans cette nouvelle NSS : les thèmes de « démocratie » et de « liberté » sont quasiment absents. Le message implicite semble clair : cette stratégie repose d’abord sur la défense d’intérêts concrets, non sur une croisade idéologique.

Une chose est sûre : le monde après NSS 2025 sera différent par rapport à celui d’avant. Que chaque acteur saisisse les opportunités libérées par ce document historique.

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[1] Cf. Arnaud Bertrand,  Nouvelle stratégie de sécurité nationale : un changement radical, mais plein de contradictions, Groupe Gaulliste Sceaux, Etats-Unis, 07 Déc 2025.

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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